Chapitre 7
La nuit n'est faite que d'affreux cauchemars. Des souvenirs...
Premier flashback : Ophélia a huit ans
C'est un dimanche matin. Ma mère tresse les cheveux d'Isabella pour aller à la messe. Je suis assise sur une chaise de la cuisine, et je les regarde. Elles se ressemblent, alors que je n'ai rien en commun avec elles.
- Pourquoi je n'ai pas le droit d'y aller, moi ? je demande.
J'aimerais demander à Dieu bien des choses...
Maman se tourne vers moi, furieuse. Elle marche vers moi, et tire sur mes cheveux roux. A cause d'elle, je n'aime pas cette couleur. J'aurais préféré être brune, comme Isabella. Comme mon frère. Eux, maman les aime.
- Je ne veux pas qu'une créature de l'Enfer pénètre dans une église de Notre Seigneur.
- En quoi est-ce que je suis une créature de l'Enfer ?
Je ne comprends pas. Maman tire une chaise et s'assoit à côté de moi. Elle ne me regarde pas. J'ai compris depuis longtemps qu'elle n'aime pas me regarder. Je suis trop laide.
- Tes cheveux ont la couleur des flammes de l'Enfer. Estime-toi heureuse que je t'ai laissée vivre. Ma mère t'aurait tuée dès la naissance, avec des cheveux pareils. Tu es une malédiction, l'œuvre du Diable...
J'ai les larmes aux yeux.
- Est-ce que tu m'aimeras, un jour ?
Maman se lève et me gifle brusquement.
- Comment peux-tu espérer une chose pareille ? Personne ne peut t'aimer, petite sotte.
Émilien entre à cet instant et me lève de ma chaise. Je tremble et je pleure. Maman a pensé à me tuer à la naissance, simplement parce que j'avais les cheveux roux, et qu'il s'agissait forcément d'une malédiction.
- Tais-toi ! hurle mon frère à ma mère. Moi je l'aime, et je la protègerai toujours de vous tous !
Lorsqu'il m'emmène vers sa chambre, je pleure contre son épaule jusqu'à m'endormir.
Fin du flashback
***
Deuxième flashback : Ophélia a treize ans
Je me dispute avec ma mère. Comme chaque jour. Je ne sais pas combien de claques j'ai reçues en seulement treize ans d'existence, mais beaucoup, c'est certain.
- Qu'est-ce que je t'ai fait pour que tu me haïsses ainsi ? je crie.
Je suis à bout. Je n'en peux plus. Ma mère me déteste.
Elle ricane mauvaisement.
- Tu existes ! Voilà pourquoi !
- Et pourquoi est-ce que c'est mal que j'existe ?
- Je te l'ai déjà dit ! Tu es une créature de l'Enfer !
- Explique-moi en quoi.
Je m'assois sur une chaise. J'attends. Je vois que ma réplique trouble ma mère. Mais elle reprend rapidement contenance et s'assoit le plus loin possible de moi.
- Très bien, dit-elle sèchement. Mais ne va pas pleurer dans les bras de ton frère après.
Ouche ! Ce qu'elle vient de dire fit mal.
- Il ne sera pas toujours là pour toi, tu le sais, ça ?
Elle prend plaisir à me faire souffrir. Je conserve une expression neutre.
- Ce n'est pas le sujet.
Elle paraît déstabilisée par mon ton froid. Je ne la laisserai pas faire, cette fois. J'en ai marre d'être faible.
- Qu'est-ce qui fait, pour toi, que je sois une "créature de l'Enfer" ?
Les yeux bruns de ma mère me lancent des éclairs. Elle pose ses mains à plat sur la table, qui se tient entre nous.
- Il faut que je t'explique comment j'ai été élevée.
Je me cale contre le dossier de ma chaise et l'observe.
- Je t'en prie.
Elle affiche un petit sourire méchant. Mais je reste calme. Elle ne m'aura pas cette fois-ci.
- Ma mère était très pieuse. A chaque fois qu'elle croisait un roux, elle se signait. Tu sais que, les femmes rousses, à une époque, étaient brûlées vives parce qu'on pensait qu'il s'agissait de sorcières ? Eh bien, c'est là que tout a commencé. Dans notre famille, les roux étaient considérés comme des esprit malfaisants. Alors tu imagines que quand je t'ai vue, j'ai eu envie que tu n'existes pas. Je n'aime pas les roux. Je les hais, même. Et tu es rousse, Ophélia. Alors je ne t'aimerai jamais. Pour moi, tu fais partie de l'Enfer.
J'acquiesce lentement. Chaque mit est un coup de poignard en pleine poitrine.
- Tu m'as demandé, quand tu avais huit ans, pourquoi tu ne pouvais pas aller à l'église avec nous. Tout simplement parce que les créatures de l'Enfer, les sorcières comme toi n'ont pas leur place dans une église. Dieu ne veut pas de toi, Ophélia. Tu n'es pas assez bien pour prier Notre Seigneur.
Fin du flashback
***
En me réveillant le lendemain matin, je me souviens brusquement de quelque chose : je revois Émilien ce soir.
Cette pensée me rend nerveuse.
Je prends mon petit-déjeuner en vitesse. Isabella et les enfants sont déjà partis, mais c'est normal, car je commence plus tard qu'eux. Je culpabilise pour Julia. Hier soir, je n'étais pas là. Ce soir, ce sera pareil. J'espère qu'elle ne m'en voudra pas trop.
Je laisse un mot sur la table pour dire que je ne serai pas là ce soir. Lorsque je repasserai ici pour me changer, Isabella ne serait pas encore rentrée.
En remarquant l'heure, j'enfile rapidement mon manteau et mes bottines et ferme la porte de l'appartement à clé. Je dévale ensuite les escaliers et ouvre la porte de l'immeuble.
Je cherche la voiture de Loïs des yeux. Il se trouve à ma gauche, adossée contre le capot. Lorsqu'il me voit, il se redresse et se dirige directement vers moi pour m'embrasser.
- On y va ? je demande, à bout de souffle. Sinon on finira par être en retard...
Il acquiesce lentement, mais me vole un dernier baiser.
Et nous partons, direction le boulot !
***
La journée s'est plutôt bien déroulée. Ce midi, Loïs nous a bien fait rire, Maja et moi, avec ses blagues nulles. Quelques clients m'ont agacée, mais j'ai réussi à conserver mon clame.
J'ai expliqué à Loïs que j'avais rendez-vous avec quelqu'un ce soir. Il m'a aussitôt paru jaloux, alors je lui ai avoué que j'allais voir mon frère. Je ne lui ai pas raconté toute l'histoire, car je ne suis pas encore prête à le faire. Mais avec le temps, ça viendra.
Loïs m'a proposé de m'emmener à l'adresse donnée par mon frère, et j'ai accepté. Émilien m'a même envoyé un carton d'invitation en me disant qu'il faudrait que je le montre à l'entrée. Ça ne rigole pas pour les fêtes, chez lui !
J'ai hâte de retrouver Émilien. Mon frère m'a tellement manqué, ces dernières années !
Un coup de klaxon retentit dans la rue. Je jette un coup d'œil à ma montre. Oh mon Dieu ! Je vais être en retard !
J'adresse un rapide regard à mon reflet dans le miroir accroché dans le couloir de l'entrée. J'ai mis ma vieille robe noire. Elle est assez chic pour faire penser à une robe de soirée, même si ce n'en est pas une (c'est une robe pour les enterrements). Mais sans le chapeau et le gilet qui vont normalement avec, ça fait un peu moins austère.
J'attrape mes clés et les fourre dans mon sac.
Puis j'expire un grand coup et claque la porte de l'appartement derrière moi.
Loïs m'embrasse et soupire de soulagement lorsque je pénètre dans sa voiture.
- Tout va bien ? me demande-t-il avec inquiétude.
Je lui souris, mais mes mains tremblent nerveusement sur mes cuisses.
- Un peu angoissée, mais c'est tout.
Loïs m'adressa un sourire sincère
- Tout va bien se passer, Ophélia.
Le trajet se fait en silence. Nous ne savons pas quoi dire, alors Loïs monte le volume de la radio, où de la musique rock est diffusée.
Loïs finit par se garer. Je déglutis lentement en regardant la maison. Mon frère m'attend là, quelque part en ces murs... Est-il aussi impatient que moi pour nos retrouvailles ?
- Tu ne veux pas que je vienne ? Tu es toute pâle...
Je balaie les inquiétudes de Loïs d'un geste de la main et ouvre la portière en inspirant lentement.
- Tu n'as pas d'invitation, Loïs. Et je dois le faire seule.
- Tu vas y arriver, Ophélia. Je crois en toi.
Émue, je lui souris avant de sortir de la voiture.
- Tu m'appelles dès que tu souhaites rentrer !
J'acquiesce et referme la portière. Loïs démarre et me fait des signes de la main en partant.
Je me retrouve seule, agrippée de toutes mes forces à mon sac, comme s'il s'agissait d'une bouée de sauvetage.
Au niveau du portail, deux hommes se chargent de contrôler les invitations. Je présente la mienne puis, sur leur demande, montre aussi ma carte d'identité. Ils m'ouvrent finalement le portail et je les remercie en bafouillant devant tant de mesures de sécurité.
La maison (peut-on vraiment appeler ça une maison ?!) d'Émilien est grandiose. Le jardin à lui seul est exceptionnellement fabuleux. D'aussi loin que je me souvienne, j'ai toujours aimé les plantes.
Quelqu'un me bouscule violemment et je trébuche. Une main attrape mon bras pour me remettre sur pieds.
- Merci, dis-je.
Mais l'homme est déjà reparti, marchant d'un pas pressé. Il va jusqu'à la porte, entre et la referme derrière lui à toute vitesse, comme s'il avait quelque chose d'important à faire qui ne pouvait pas attendre...
Curieuse, je me plante devant ladite porte et pose une main tremblante sur la poignée.
J'inspire. J'expire. Et j'entre.
Mes talons claquent contre le sol en marbre du vestibule. Je reste bouche-bée devant tant de luxe.
Face à moi se dresse un magnifique escalier de marbre, comme dans les châteaux des princesses dans les contes de fée.
De l'étage me parviennent des voix tandis que le rez-de-chaussée semble désert.
Prenant mon courage à deux mains, je me dirige vers l'escalier et grimpe les marches. Le premier étage est une vaste salle remplie de monde.
Sur une estrade tout au fond se tient Émilien. Il fait un discours, qui semble avoir débuté depuis quelques minutes. Je comprends mieux l'empressement de l'homme qui m'a bousculée dans le jardin. Il était en retard, comme moi, et voulait écouter le discours de mon frère.
Étant pour ma part à l'entrée de la pièce, il se trouve loin, mais je pourrais le reconnaître entre mille. Je sourie en imaginant la ride de concentration qui doit sûrement marquer son front. Pour le moment, il a les yeux baissés sur son texte.
Lorsqu'il relève la tête, son regard bleu tombe sur moi. Le monde disparaît sous mes pieds. Il a compris. Je le sais à sa voix qui flanche soudainement. Et puis, il est difficile de ne pas me reconnaître, avec mes cheveux roux !
Une larme solitaire roule sur ma joue alors qu'il garde les yeux rivés sur moi. Je suis si fière de lui.
A travers mes larmes, je vois les gens applaudir plus que je ne les entends. Je comprends que son discours est terminé.
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