Chapitre 50
Le lendemain matin, je me réveille stressée.
— Tu lui as dit qu'on se retrouverait vers quelle heure ? je chuchote.
Raphaël ne me répond pas, ce que je trouve bizarre. Et puis, c'est très silencieux... Puis je me rends compte que le lit de son côté est vide. Je me lève brusquement, et me précipite dans la cuisine. Il est là, sur une chaise, de dos. Je pousse un soupir de soulagement et m’appuie dans l’embrasure de la porte.
— Tu es là...
Raphaël se tourne vers moi, l’air surpris.
— Je voulais te laisser dormir un peu...
— J’ai eu peur !
Il me sourit tristement.
— Je suis désolé.
— Non, c’est moi qui suis désolée. J’aurai dû... Enfin, je sais que tu te lèves plus tôt que moi... Mais c’est plus fort que tout, et je...
— Tout va bien, Ophélia. Respire...
Je me masse le front et m’assoie à côté de lui.
— À quelle heure doit-on retrouver ton frère ?
— À 11 heures. Je lui ai dit que nous ne pourrions pas rester longtemps.
J’acquiesce. Raphaël n’a pas envie de voir son frère. Ses muscles sont tous crispés depuis que je lui ai annoncé que son frère m’avait fait du chantage et voulait nous voir.
— Ce sera la dernière fois que nous le verrons, Ophélia. La dernière fois.
— C’est ton frère, Raphaël.
Il fronce les sourcils.
— Il n’est plus mon frère. Tout ce qu’il a fait est impardonnable.
— Il m’a dit que tu...tu ne l’avais jamais défendu contre votre père.
Raphaël tressaille et me jette un regard noir.
— J’ai parlé à mon père, plusieurs fois. Il n’y a pas que lui qui s’est pris des coups.
— Raphaël, je...
— Je vais prendre une douche. Tu ferais mieux de t’habiller si tu veux qu’on arrive à l’heure.
J’ouvre la bouche, mais il est déjà parti. Je suis tellement maladroite, avec les mots ! Mon menton posé sur ma main, je regarde dehors avec peine, puis me lève.
Je reste indécise devant la porte de la salle de bain, puis je me lance :
— Raphaël, ce n’est pas... Ce n’est pas ce que je voulais dire. Je ne voulais pas te faire de peine... C’est juste ce que Nathaël m’a dit. Il s’est senti abandonné, parce que tu étais doué en tout, et qu’il se sentait mis à l’écart... Je suis désolée, je ne voulais pas...
La porte s’ouvre et je manque de perdre l’équilibre. Je lève les yeux. Raphaël me regarde tendrement.
— C’est moi le fautif. Je n’aurai pas dû me mettre en colère et être aussi sec avec toi. Je ne peux pas pardonner à mon frère après ce qu’il nous a fait. Il y a des choses qui ne s’effaceront jamais entre nous. Rien ne pourra être comme avant, même avec toute notre bonne volonté, car mon frère...
Il ferme les yeux et serre les poings.
— Notre relation peut être encore plus forte qu’avant, Raphaël.
— Je... (Il soupire avant de planter ses yeux dans les miens.) J’ai peur.
Je recule d’un pas, surprise. Jamais Raphaël ne m’a dit une chose pareille...
— Tu as peur ?
— J’ai peur que notre relation ne survive pas à cause de ce qui s’est passé. J’ai toujours peur que tu partes.
— J’ai toujours peur que ce soit ton frère en face de moi, et pas toi. J’aurai toujours peur d’être trompée, je rétorque d’une voix dure. C’est à nous de faire ce qu’il faut. Nous devons être forts et surmonter tout cela. Nous devons avoir confiance l’un dans l’autre. Je serai forte, parce que je t’aime, Raphaël.
— Je t’aime aussi, Ophélia. Pardon d’avoir douté...
Je pose mes lèvres sur les siennes.
— Je ne t’en veux pas.
🍂🍂🍂
Étonnamment, Nathaël est en avance. Il a décidé de faire un effort, visiblement. Je lis dans ses yeux qu’il sait que c’est la dernière fois qu’il nous voit.
— Vous vous êtes remis ensemble, à ce que je vois, dit-il en regardant nos mains liées.
Raphaël serre mes doigts encore plus forts, comme s’il avait peur que son frère ne nous sépare simplement en regardant nos mains entremêlées.
— Ce que tu as fait n’a pas effacé l’amour que nous éprouvons l’un pour l’autre, rétorque Raphaël.
Sa mâchoire est verrouillée. Nathaël se lève du banc où il était assis.
— Tant mieux.
Je perçois l’étonnement brusque de Raphaël. Puis Nathaël me tend la main.
— Je dois te parler, Ophélia, avant que vous ne vous en alliez.
J’accepte sa main tendue. Je sens que Raphaël se retient difficilement de protester avant de lâcher ma main pour que je suivre son frère.
— Ophélia, merci. Tu es la seule femme qui a réussi à percer mon cœur. La seule, l’unique. Tu es une femme merveilleuse, et je tenais à te le dire.
Il jette un coup d’œil vers son frère.
— Quand j’ai pris la place de Raphaël à l’époque, je suis parti lorsque tu étais enceinte. Tu sais pourquoi ?
— Tu ne voulais pas t’encombrer d’un enfant.
L’étrange grimace déforme à nouveau son visage.
— C’est ce que je t’ai dit. Mais c’est absolument faux. Je suis parti parce que je ne supportais pas l’idée de continuer à te tromper, et surtout, de tromper l’enfant que tu portais. Il était hors de question que je sois le père d’un enfant qui n’était même pas le mien. Sinon, cet enfant aurait cru toute sa vie que j’étais son père, et jamais je n’aurai pu vivre en vous trompant tous les deux sur mon identité. La vérité, Ophélia, c’est que je t’aimais trop pour continuer ce que je faisais, car je savais que c’était mal.
Cette révélation me fait mal.
— Je voulais que tu parles à Raphaël pour qu’il n’y ait plus aucun secret entre vous. C’est tout. Je veux juste que tu sois heureuse. Et je te promets...que tu ne me reverras jamais, ni toi ni Raphaël, ni Julia. Je ne me mettrai plus entre vous, je me tiendrai à l’écart. Je vous laisserai vivre votre vie.
Je hoche la tête.
— Merci d’avoir été sincère, Nathaël.
Il ne me répond pas, se contentant de m’observer un long moment avant de tourner les talons. Il rejoint son frère et lui murmure quelques mots à l’oreille, avant de partir dans la direction opposée à là où nous nous trouvons encore, Raphaël et moi. Dès que Nathaël a disparu derrière les arbres, je cours rejoindre Raphaël, me jetant dans ses bras, qui s’ouvrent spécialement pour moi. Il me serre contre lui, me murmure des mots tendres que personne d’autre que nous n’entendra.
— Qu’est-ce qu’il t’a dit ? je demande.
— Qu’il me pardonnait. Et qu’il comprenait que je n’arrive pas à lui pardonner.
Je me laisse aller dans les bras de l’homme que j’aime pendant un moment, avant qu’il ne s’écarte doucement de moi.
— Je t’aime, Ophélia.
Et soudain, il pose un genou à terre.
— Ophélia, je sais que je n’ai pas de bague, et que ce n’est pas le meilleur moment pour te faire ma demande, mais... Est-ce que tu acceptes de m’épouser ? Et cette fois, en allant jusqu’au bout ?
Je retiens difficilement mes larmes et acquiesce au moins mille fois.
— Oui, oui, oui, Raphaël. Je te le répéterais cent fois s’il le faut...
— Seulement cent fois ? me taquine-t-il en se redressant.
Je l’embrasse. Ses lèvres ont un goût de tendresse, et de rêve.
— Peut-être qu’on a enfin le droit d’être heureux, murmure Raphaël à mon oreille.
Je plonge mes yeux dans le vert des siens.
— Il me reste encore une dernière chose à faire.
🍂🍂🍂
Émilien, Amelia et les enfants sont rentrés du bord de la mer. Julia était heureuse de nous retrouver, et Raphaël et moi étions prêts à être parents pleinement, ayant profité de nos derniers jours en amoureux, même si nous continuerions de nous aimer, qu’elle soit là ou pas. Mais tout est différent avec un enfant. Nous ne pouvons pas faire les mêmes choses que quand nous sommes seulement un couple.
Aujourd’hui, nous avons tous les trois pris la route pour nous rendre à la maison de mon enfance. J’ai demandé à Émilien de ne pas m’y accompagner cette fois-ci, que j’avais besoin d’être seule avec mon fiancé et ma fille. Il a été très compréhensif.
J’ai finalement parlé de ce que j’ai vécu avec ma mère à Raphaël. Il ne m’a pas interrompue une seule fois pendant mon récit, et m’a serrée très fort quand j’ai terminé. Il n’en a pas parlé, il ne m’a pas jugée, et je me sens beaucoup mieux maintenant. J’avais tout gardé pour moi, et j’avais besoin d’en parler à quelqu’un, même si je n’en avais pas pris conscience jusqu’ici.
J’ai également mis en vente l’appartement que j’occupais avec ma sœur. Une page du passé se tourne, et aujourd’hui, je vais tourner la dernière.
C’est moi qui ai pris le volant. Quand nous sommes arrivés devant la maison, je me suis arrêtée un court instant. Elle tombe en ruine, car elle n’a jamais été rachetée. Puis je suis remontée en voiture, et j’ai laissé la maison derrière moi pour me rendre à l’hôpital où j’avais perdu Théo.
Ils m’ont indiqué le lieu où étaient enterrés les enfants. Nous nous y sommes rendus, tous les trois.
En ce moment, nous marchons à travers les pierres tombales, à la recherche de celle de mon fils. Julia ne dit rien. Ce spectacle doit être dur pour elle. Elle est jeune, et j’espère que ce lieu ne la marquera pas trop. Mais Théo est mon fils, même si je ne l’ai jamais connu. Et il est son frère. Elle doit être au courant, car je ne suis pas sûre de trouver la force de lui en parler plus tard...
Soudain, je m’arrête devant une pierre tombale. Celle de Théo.
— Julia, je murmure doucement. Je te présente ton grand frère.
Elle reste face à la tombe, sans rien dire. Le temps lui-même semble s’être figé, jusqu’à ce qu’elle s’accroupisse au sol et dise à la tombe :
— Je suis très heureuse de te connaître, Théo.
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top