Chapitre 34


Vendredi soir

- Tu m’accompagnes à l’école des enfants ? je propose à Maja. Comme ça, vous pourrez discuter pendant le trajet, ça aidera peut-être...

- Laisse-moi deviner... Bianca est méfiante à propos de moi ?

J’adresse un sourire crispé à mon amie et lève les mains en l’air en signe d’impuissance. Elle éclate de rire.

- Ne t’inquiète pas, mes pâtes à la bolognaise la feront changer d’avis ! Elle ne voudra plus partir ! rit-elle.

Je la rejoins, même si mon rire est un peu forcé. Maja le remarque ; elle est assez observatrice !

- Tout va bien se passer, Ophélia.

Je ne lui ai pas tout expliqué sur cette soirée. Mais elle se doute que ça a un lien avec ce que je lui ai déjà dit.

- Je te raconterai toute l’histoire quand ce sera terminé, je lui promets.

- Seulement quand tu t’en sentiras capable.

Maja pointe un index autoritaire dans ma direction, ce qui m’arrache un sourire sincère, bien qu’infime.

- Merci de me faire sourire, Maja !

- C’est le rôle d’une amie, Ophélia ! me répond-elle d’une voix enjouée. J’ai tellement hâte de voir ta fille ! Elle doit être trop mignonne !

- C’est la petite fille la plus adorable de la Terre entière !

- Tant que ça ! rit Maja.

Je lui donne un coup de coude.

- Tu verras, quand tu auras des enfants ! Ce seront toujours eux les plus beaux, à tes yeux !

- Oh ! J’aime bien les enfants, mais être maman n’est pas pour moi ! Trop de stress...

Elle m’adresse un clin d’œil. Je lève les yeux au ciel, mais sourit, car elle n'a pas tort.

- On est arrivées. Il faut aller les chercher à la garderie.

- C’est jusqu’à quelle heure ?

- La garderie ? Jusqu’à six heures et demie.

- Heureusement que la librairie n’est pas très loin !

J’acquiesce, puis entre dans le bâtiment. Nous sommes accueillies, Maja et moi, par un bruit assourdissant mêlant cris des petits et rires des plus grands. Je m’adresse à la dame qui garde les enfants.

- Bonsoir. Je viens chercher Bianca, Diego et Julia, s’il vous plaît.

La dame acquiesce. Elle sait bien qui je suis.

- Julia est assise avec ses cousins, juste là, m’indique-t-elle.

- Merci.

Je me dirige vers la table. Julia lit un livre. Attendez, quoi ? Depuis quand est-ce qu’elle sait lire ?! Ils viennent à peine d’apprendre à lire à l’école ! Et ce n’est pas un tout petit livre...

Je m’agenouille près d’elle.

- Tu sais lire ?

Julia tourne sa jolie bouille d’ange vers moi.

- Oui. Pourquoi ? Je lis tous les soirs à la garderie. Avant, j’avais du mal, mais maintenant...

Elle hausse les épaules et se replonge dans sa lecture. Abasourdie, je la contemple un moment avant de me redresser. Je prends tout à coup conscience de la précocité de ma fille.

- Tu peux me passer ton livre, deux petites secondes ? je lui demande, d’une voix tremblante.

Elle me le tend aussitôt. Je le feuillette. Ce livre possède trois-cent-quatorze pages, et elle en est déjà à plus de la moitié.

- Tu l’as commencé quand ?

Julia pose un doigt sur son menton et fronce les sourcils pour se concentrer.

- Hier soir, je crois. Je n'ai pas pu lire pendant la journée...

- Et tu l’as eu où ? Ce n’est pas tellement un livre pour ton âge...

- Maman ! Moi, je l’aime, ce livre ! Il y a plein de mots tarabiscotés !

- Et tu comprends tout ce que tu lis ?

Ma voix est blanche.

- Ben oui. Pourquoi ?

D’accord. Calme-toi, Ophélia, calme-toi...

- Tu peux rester avec eux ? je demande à Maja.

Elle acquiesce. Je me dirige vers la dame.

- Est-ce que la maîtresse de Julia est encore là ou elle est déjà partie ?

- Je crois qu’elle est encore là. C’est le bâtiment juste en face, madame.

- Merci beaucoup !

Je pénètre dans le bâtiment en face de la garderie. De la lumière filtre par-dessous la porte juste en face de moi. Je toque.

- Bonjour ! Excusez-moi de vous déranger, mais est-ce que la maîtresse des Grande Section est là ?

- Oh ! Entrez !

Je pousse la porte. Une femme d’une quarantaine d’années me fait face.

- Bonjour ! Vous êtes la maman de Julia, n’est-ce pas ?

- Oui, oui, c’est ça...

- Ça tombe vraiment bien que vous soyez venue me voir, parce que je voulais justement vous parler depuis un moment, mais je ne trouve jamais le temps de vous envoyer un mail. Je ne vous croise jamais le matin ni le soir !

- Oui, ma sœur ne peut plus déposer les enfants, donc c’est moi qui m’en charge, mais c’est un peu compliqué parce que mes horaires sont un peu compliqués...

- Je vois... Mais revenons-en à Julia. Ah, asseyez-vous, excusez-moi !

Elle me montre un siège de la main, face à son bureau. Je m’assieds.

- Que pensez-vous de Julia ? je lui demande en croisant les mains sur mes genoux.

- Elle est très précoce. Mais quand je dis très, cela veut dire que... Elle l’est beaucoup trop.

- Je sais. Je viens de la voir lire un livre de plus de trois-cent pages à l’instant, avec des mots complexes. Elle n’a que six ans !

- Je le sais bien, madame. Je comprends que vous puissiez être paniquée. Je le serai également à votre place. Elle n’est pas à sa place dans cette classe. Elle ne le sera pas non plus l’année prochaine. Voyez-vous, elle n’est pas seulement précoce au niveau lecture. Elle s’ennuie en classe. Elle s’ennuiera aussi l’année prochaine. Il serait peut-être mieux pour elle qu’elle saute l’année prochaine, le CP. Il ne faut pas qu’elle saute trop de classes pour éviter qu’elle se trouve en décalage sur le plan mental, mais je ne pense pas qu’elle sera particulièrement en difficulté. Elle est très intelligente...

Sauter une classe ? Voire plusieurs ?

Je me lève en chancelant.

- J’ai un rendez-vous, donc je vais devoir y aller...

La maîtresse de Julia m'observe d'un air grave.

- Pensez-y, madame.

- Et si Julia ne s’y fait pas ? Et si elle se fait harceler, entre autres, parce qu’elle est plus jeune et jugée comme différente ? J’ai peur pour ma fille, et je veux la protéger.

La maîtresse de Julia semble me voir sous un nouveau jour.

- Vous savez, elle va se construire seule. Vous ne serez pas toujours là pour elle.

- Je ne l’ai pas été assez pendant son enfance. Il faut que je sois à la hauteur. Elle n’a que moi comme parent. Je dois être mère et père à la fois...

- Je sais que c’est difficile. Mais parlez-en avec elle. Si elle rejette l’idée, il ne faut en aucun cas la forcer. Mais dans le cas contraire...

- Je vais devoir y aller. Merci pour cette conversation, madame.

Je sors en coup de vent. Ma Julia, différente ? Sauter des classes ? Oh non... Je ne veux pas qu’il lui arrive du mal à cause de ses différences...

La maîtresse peut dire et penser ce qu’elle veut, mais je dois protéger ma fille de tout ce qui est mal. C’est mon rôle. Je ne lui parlerai pas du fait de pouvoir potentiellement sauter une ou plusieurs classes. Je ne veux pas qu’elle soit trop en décalage... Même si elle l’est déjà en ce moment-même...

Oh, pourquoi ? Pourquoi... ?

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top