Chapitre 31


Samedi

J’angoisse tellement que je change de tenue sept fois.

- Tu vas voir qui ? me demande ma fille.

Je me racle la gorge.

- Euh...

- C’est bon, je ne demande plus rien, fait-elle avec un sourire. Je te laisse vivre ta vie !

Je me penche vers elle et l’embrasse sur le front, à la racine de ses cheveux.

- Je t’aime, ma puce.

- Moi aussi ! Je vais voir Diego !

Elle sort de la pièce en courant pour aller retrouver son cousin, et je termine de me préparer. Il est déjà 13 heures. Il m’a dit qu’il serait là à 15 heures. J’ai largement le temps ! Mais je ne peux m’empêcher de courir partout pour me tenir occupée, fébrile.

Je prépare le repas en chantonnant, alors que j’ai une voix horriblement fausse. J’entends les enfants rigoler dans le salon, et je rougis. Isabella n’est pas à la maison. Elle est partie cette nuit, mais je pense qu’elle reviendra ce soir, ou demain. Il n’est pas rare qu’elle s’absente plusieurs jours, ces temps-ci...

J’ai fait des crêpes. Nous mangeons très tard aujourd’hui, parce que j’ai mis beaucvoup de temps à me préparer. Je me suis pourtant levée à 6 heures du matin parce que je n’arrivais pas à dormir ; je n’ai quasiment pas fermé l’œil de la nuit ! Heureusement, je me sens plutôt en forme. Ce matin, au lieu de me faire un thé, j’ai bu du café ! Et je n’aurai peut-être pas dû, parce que ça m’a rendue encore plus nerveuse qu’auparavant !

Alors que je retourne une crêpe dans la poêle, je me fige soudain. Je n’ai pas de rencard aujourd’hui ! Pourquoi est-ce que je me mets sur mon trente-et-un ? C’est totalement idiot... Déconfite, je regarde ma crêpe. Les enfants entrent dans la pièce.

- C’est prêt ? demande Diego. J’ai faim !

- Moi aussi ! renchérit Julia.

Puis elle découvre l’expression sur mon visage.

- Tout va bien, maman ?

Trois paires d’yeux se braquent sur ma personne. Je ris nerveusement.

- Oui, tout va bien. Je... Tu es sûre que je ne fais pas trop habillée ?

Je panique un peu. Qu’est-ce que je dois mettre ? Je dois être à l’aise dans mes vêtements. Mais je veux être bien habillée. Raphaël est toujours parfait ! Quant à moi... Je finis toujours décoiffée, dans toutes les situations !

C’est Julia qui a choisi ma tenue.

- Tourne-toi, ordonne-t-elle.

Je m’exécute, de plus en plus nerveuse. Ma fille m’observe d’un œil critique, puis elle m’adresse un grand sourire.

- Tu es parfaite ! s’exclame-t-elle avec un immense sourire qui dévoile ses dents de travers. Mais ça aiderait si tu me disais où tu allais...

- Julia...

- Oui, oui, je sais ! J’arrête !

Elle file en courant dans la pièce d’à côté. Je soupire, puis me tourne vers Bianca.

- Tu es vraiment certaine que ça ne te dérange pas de garder Julia et Diego ? Je m’en veux de te demander ça... Tu n’as pas à porter une responsabilité pareille sur les épaules.

Elle hausse les épaules.

- De toute façon, maman ne reviendra pas avant la nuit - si elle revient.

- Faites attention quand même. On ne sait jamais. Et...empêche Julia de regarder par la fenêtre, quand je m’en irai. Je préfère qu’elle ne voit pas avec qui je vais. C’est mieux pour elle. Et pour nous tous, je soupire.

Bianca m’observe avec attention. Puis elle hoche la tête, sans me poser de questions.

- Très bien. Je ferai ça.

- Merci, chérie.

Ma nièce se fige, la bouche entrouverte. Puis elle tourne les talons et disparait dans le couloir.

- Je reviens, me lance-t-elle.

J’acquiesce dans le vide. La porte de la salle de bain claque.

- Diego ! Julia ! Éteignez la télé, on mange !

J’entends Julia ronchonner, et Diego éclater de rire. La maison est mieux ainsi, sans les disputes incessantes entre moi et Isabella...

Je ferme les yeux. C’est si agréable...

Ma crêpe ! Vite, je la dépose dans une assiette, et je repousse la fumée qui s’échappe de la poêle de ma main. Heureusement, elle n’est pas brûlée, seulement bien croustillante.

- Qui veut la crêpe croustillante ? je demande aux enfants lorsqu’ils arrivent dans la cuisine, tout en remettant de la pâte à crêpe dans la poêle.

- Moi ! hurle presque Diego.

- Beurk ! font Julia et Bianca en même temps.

Je pourrai les photographier à cet instant précis, les deux cousines. Elles ont la même expression dégoûtée sur le visage. Elles ne font pas partie de la même famille pour rien...

Bianca détourne la tête alors que Julia l’observe.

- Bianca, ton assiette, s’il te plait ! je lui demande lorsque la seconde crêpe est prête.

- Pourquoi tu ne la donnes pas à Julia ? rétorque-t-elle.

- Allez, sinon ça va brûler !

Bianca ne bouge pas. Je fais signe à Julia.

- Amène-moi son assiette !

Bianca finit avec une crêpe devant elle.

- J’ai mis ce que tu aimes dedans. Enfin...il me semble que tu aimes les complètes ?

- Oui, répond-elle en regardant sa crêpe. Merci.

Je fais un clin d’œil à ma fille, qui me rejoint aux fourneaux pour analyser la préparation de sa crêpe.

- Jambon et fromage, me demande-t-elle avec un sourire.

- Ça a changé depuis la dernière fois ? Avant, tu ne prenais que tu fromage, remarqué-je.

- C’est parce que je grandis ! Les goûts changent, maman !

******

- Bon, je vais vous laisser. Vous m’appelez au moindre problème, d’accord ? Même petit vous semble-t-il. Vous m’appelez dès qu’il y a...

Bianca pousse un soupir ennuyé et Julia me pousse vers la sortie.

- Dépêche-toi, maman, ou tu vas rater ton rendez-vous !

Mon cœur loupe un battement.

- A très vite ! je lance en leur faisant un petit signe de la main.

La porte d’entrée se referme sur une Bianca maussade, un Diego nerveux et une Julia souriante et enjouée.

Mon petit rayon de soleil..., je pense avec tendresse, alors que je descends les marches de l’escalier de la résidence.

Raphaël n’est pas encore là. Je consulte mon téléphone. Pas de message. Je hausse les épaules. Il arrivera bien à un moment donné ! Je ne sais même pas où est le rendez-vous avec Nathaël...

Et si c’était Nathaël qui se présentait à moi ? Comment...

- Ophélia ?

Je me retourne. Il est là. Ses yeux verts étincelants, et toujours aussi élégant.

- Salut, je dis, mal à l’aise.

Il fait un pas vers moi.

- Ne m’approche pas ! je m’exclame en reculant de plusieurs petits pas.

J’expire.

- Pardon. Es-tu bien Raphaël ?

Question idiote. Il fronce les sourcils.

- Bien sûr que oui.

- Comment est-ce que je peux en être certaine ? Dis-moi quelque chose que je suis la seule à connaître !

Il plisse les yeux.

- On s’est revus chez ton frère. Il s’appelle Émilien Lansay. Il ne t’avait pas revu depuis plusieurs années. Tu as une fille. Je l’ai vue quand je suis arrivée chez toi la semaine dernière. Elle a tes cheveux roux. Un autre homme est venu t’embêter pendant que nous discutions, ce même jour. Nous sommes allés au restaurant, et je t’ai expliqué ce qui s’était passé. Tu...

Je lève une main.

- C’est bon, je te crois, Raphaël.

Il me sourit. Il me semble moins froid que la dernière fois, quandf nous nous sommes quittés dans cette même rue.

- Il va falloir que nous inventions quelque chose pour que je sache que c’est bien toi.

- J’y ai déjà pensé, me dit-il.

Il remonte une manche de sa chemise et me montre son bras. Il s’est écrit son prénom sur la peau.

- Tu sais que s’écrire sur la peau peut provoquer des cancers ? je ne peux m’empêcher de lui demander, inquiète pour lui.

- Je suis un, grand garçon, Ophélia, fait-il, agacé.

Je ferme la bouche tandis qu’il abaisse sa manche.

- Et c’est juste pour un temps, ajoute-t-il. Après, on ne se reverra plus.

C’est comme un coup en pleine poitrine. Mais il a raison. Après tout, n’ai-je pas dit exactement la même chose la dernière fois ?

Je hoche la tête.

- Tu viens ? me demande Raphaël en indiquant sa voiture du bout de son index. Nous allons finir par être en retard.

Je lève les yeux au ciel. Pas de doute, c’est bien Raphaël qui se tient devant moi, même s’il n’est plus aussi chaleureux qu’avant. Il en a marre de perdre son temps avec moi, comprends-je. Je me dirige vers la voiture et ouvre la portière, m’engouffrant à l’intérieur de l’habitacle.

- On va où ? je le questionne, en attachant ma ceinture de sécurité.

Raphaël me jette à peine un coup d’œil.

- C’est un bar à une demi-heure de route environ.

- C’est drôle. On se retrouve tous dans la même ville, en ce moment.

Il pousse un soupir agacé.

- C’est logique, Ophélia. Nous sommes dans une capitale, ici.

- Certes. Qu’est-ce que tu as contre moi ?

- Rien du tout.

Je hausse un sourcil.

- C’est toi qui a insisté pour m’accompagner. Si tu n’as pas envie de savoir, tu peux très bien...

- Ça suffit, Ophélia. Tais-toi.

Il serre étonnamment fort le volant. Ses jointures sont blanches. Je me détourne, et nous roulons dans les rues.

- C’est parce que tu n’as pas envie de perdre ton temps ?

- Qu’est-ce que tu racontes ?

- On n’est plus ensemble. Tu as expliqué toute l’histoire à ta petite amie ? Parce qu’elle pourrait ne pas comprendre...

Sa mâchoire se serre.

- Je n’ai pas de petite amie.

Sa voix est dure. Pas de petite amie ? Lui ? Ah ! Il est sûrement marié !

- Et je ne perds pas mon temps. Si nous avons eu un enfant ensemble, je préfère le savoir. Même s’il est mort.

Il n’y a aucune émotion dans sa voix. Ça me fait mal.

- Et ça ne te ferait rien, de savoir que tu as perdu un enfant ?

- Si. Je ne sais pas sans cœur.

- Je le pensais il y a quelques années. Maintenant, j’ai une opinion un peu...différente.

- S’il s’avère que notre enfant est mort, que c’était le mien, je serai forcément triste. Mais c’est terminé entre nous, Ophélia. Il faudra bien tourner la page.

Choquée, j’ouvre la bouche, mais rien ne sort. Les larmes me montent aux yeux, et ma gorge me brûle lorsque je retiens mes sanglots.

- Tu ne serais même pas triste de ne pas connaître ton enfant ?

- Bien sûr que si. Mais c’était il y a longtemps. Nous avons chacun refait nos vies. Tu as une fille, et moi...

- Et toi ?

- Je vais me marier.

Mes mains tremblent. Je les coince sous mes cuisses.

- Qui est l’heureuse élue ?

- Tu ne la connais pas.

- Donc tu as bien une petite amie !

- C’est ma fiancée.

Je me force à lui sourire.

- Je suis heureuse pour toi, vraiment. Félicitations.

- Merci.

- Elle sait ce que tu fais aujourd’hui, avec ton ex-fiancée ?

C’est une provocation.

- Oui, elle le sait. Je ne compte pas gâcher ce mariage...

Ma gorge se serre. Je devine sans mal la suite qui se cache derrière cette phrase : pas comme le nôtre a été gâché.

- Tu lui as donc aussi tout raconté sur ton frère, je présume. Pour ne pas gâcher le mariage, je répète.

- Oui. Elle sait tout depuis longtemps.

- Comment elle s’appelle ?

- Amelia.

- C’est très joli, comme prénom.

- Je lui dirai. Elle sera ravie de l’entendre.

- Elle sait qui je suis ?

- Bien sûr. On se raconte tout.

- Elle n’était pas avec toi chez Émilien ?

- Non. Elle est chez ses parents. J’irai la chercher un peu plus tard. Tu la rencontreras peut-être si tu vas chez Émilien. Je suis souvent chez lui.

- J’éviterai de venir quand vous serez là-bas. Mais merci pour l’invitation, je dis, avec un sourire hypocrite.

Je me cale dans mon siège, le cœur meurtri. Si Raphaël pense que je viendrai voir sa fiancée, il se fourre le doigt dans le l’œil ! Je n’ai aucune envie de voir l’homme que j’aime avec sa petite amie ! Mais si lui est heureux, tant mieux. Je ne suis qu’une ombre.

- Je suis vraiment heureuse pour toi, je souffle avec sincérité, alors que je regarde le paysage défiler au-dehors. Vraiment heureuse...

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