Chapitre 3
Isabella et moi faisons la course pour manger. J'ai de l'avance, donc je gagne ! Elle fulmine et je fête intérieurement une petite victoire. La première en presque trente ans.
Je me laisse tomber sur le canapé avec Julia et Diego pendant que ma sœur et sa fille terminent leur repas.
Isabella délaisse Diego. C'est toujours "Bianca par-ci, Bianca par-là". Le pauvre petit ! J'ai déjà vécu ça et je peux dire que subir l'indifférence d'une mère est la pire chose qui soit. Je me promets d'en toucher deux mots à Isabella.
Celle-ci arrive justement dans la pièce. Enfin...Je devrais plutôt dire qu'elle déboule dans la pièce. Ce terme est plus approprié. Elle me toise et lance aux enfants, sans les regarder :
— Allez dans votre chambre ! Et fermez la porte derrière vous.
Ils obéissent. Lorsque la porte claque, je suis seule face à ma sœur et sa colère. Elle va dire des choses qui ne vont pas me plaire, je le sens !
Elle s'assoit calmement à côté de moi. Nous restons silencieuses, puis elle explose :
— Comment as-tu pu oser me parler de cette façon ?!
— Il fallait bien que quelqu'un le fasse.
— Je...
Elle ne finit pas sa phrase, et je m'en amuse mauvaisement.
— Tu ?
— Je te hais !
J'acquiesce.
— Je sais. Et ne t'inquiète pas, c'est réciproque.
— Tu ne mérites pas que je t'aide.
Mon sourire est froid.
— Qui aide l'autre, Isabella ? Car il me semble que tu as hérité de l'argent de nos parents, mais que tu as tout dilapidé !
Ma sœur tressaille.
— Toi non plus, tu n'as pas d'argent !
Mon sourire devient glacial.
— La différence, ma chère sœur, est que je n'ai jamais eu d'argent. J'ai dû travailler car nos adorables parents ne m'ont rien donné. Ils t'ont légué leur argent, leur maison, tous leurs biens. Tu as vendu la maison, ainsi que le reste, pour ne garder que l'argent. Tu t'es mariée. Tu as eu deux enfants. To mari est mort. Tu as dépensé sans travailler, car tu ne voulais pas salir tes jolies mains. Nous nous sommes...retrouvées. Nous avons survécu ensemble, pour nos enfants. Pour qu'ils n'aient pas à souffrir.
Isabella déglutit.
— Je t'ai quand même aidée ! Tu étais dans une misère et je t'ai gentiment sortie de là. C'est grâce à moi, que Julia et toi êtes en vie.
Je me lève brusquement et pointe un doigt vers elle, menaçante.
— Ne dis plus jamais ça ! je rugis.
Elle sursaute. Je ne hausse jamais la voix, d'ordinaire. Mais cette fois, c'en est trop. Plus clame, je poursuis :
— Tu n'es pas l'héroïne de l'histoire, Isabella. Retiens bien ça !
Elle ouvre la bouche, mais je crie :
— Tais-toi !
Curieusement, elle obéit.
— Julia et moi endurons tes remarques jour après jour. Même ton fils ne te supporte pas ! Je ne te suis pas redevable, Isabella. J'aurais préféré mourir de froid et de faim dans la rue plutôt que de te revoir et de vivre avec toi pour entendre tes insultes du matin au soir.
Elle vacille, comme si je l'avais giflée.
— Bianca m'aime.
Je ricane.
— Je t'ai parlé de ton fils, il me semble. Non ?
Elle se rend compte de son erreur et ouvre la bouche, mais je la fais taire.
— Je plains Diego de t'avoir pour mère, Isabella. Tu le délaisses et ça le fait souffrir...
— Diego est un faible ! rétorque-t-elle méchamment. Il ne mérite pas d'être mon fils.
Des sanglots résonnent dans le couloir. J'ai le cœur brisé pour lui.
— Alors, c'est comme ça que tu le vois ? Tu me déçois, Isabella.
Elle me toise et se lève du canapé.
— Je me fiche bien de ton avis ! Tu es encore plus faible que lui !
Je tente de prendre sur moi. Mais j'ai envie de lui faire ravaler son petit sourire victorieux.
Alors je la gifle, aussi fort que je peux.
Ma sœur chancelle en se tenant la joue. Ses yeux me regardent d'un air effaré. Son sourire a disparu.
— Tu oses...
— Oui, j'ose. Je ne regretterai jamais ce geste, crois-moi. Alors, ça fait quoi d'être frappée ? Tu as mal et honte, non ?
— Je te hais.
— Change de disque, celui-ci est rayé.
Elle serre les dents, et je continue :
— Je connais mieux les gifles que toi. J'ai vécu avec ces gestes toute mon enfance. Je ne méritais pas d'avoir mal. Pourtant, jour après jour, les gestes, les mots se répétaient. D'autres coups ont suivi. J'en garde des cicatrices, Isabella. Qu'elles soient sur mon corps ou dans mon cœur, ça a été douloureux. Nous avons eu les même parents, Isabella. Nous n'avons pourtant pas été élevées de la même manière. Toi avec amour et fierté, moi dans la souffrance et dans la peur.
Je me rapproche d'elle.
— Lorsque j'ai eu 18 ans, notre mère m'a mise à la porte. Tu t'en souviens, n'est-ce pas ? Tu riais, et il neigeait. J'avais froid. Elle se fichait que je vive ou non. Elle m'avait assez fait souffrir pour que je m'en souvienne toute ma vie. Mon sort l'indifférait totalement. Je refuse que ton fils ait à subir la même chose !
— Si c'est le cas, tu ne pourras rien faire.
— Moi, je lui accorderais toujours de l'attention. Je lui offrirai une épaule sur laquelle s'appuyer.
— Ce n'est pas ton fils.
— En te comportant de cette façon avec lui, ce n'est pas non plus le tien.
Nous nous confrontons un long moment du regard. Puis elle ricane :
— Ton avis m'est complètement égal.
— Je sais. Mais je protégerai Diego de toi.
Sa joue droite est rouge. Je gifle la gauche.
— Une gifle pour Diego, et l'autre pour toutes ces années où j'ai souffert.
— Je n'ai rien fait !
— Tu m'as insultée. Et tu as participé à toutes ces années de souffrance.
Je n'attends pas sa réplique et sors dans le couloir, pour aller réconforter Diego.
Avec ses grands yeux innocents, il me demande :
— Pourquoi tu l'as frappée, tantine ?
Je soupire.
— C'est une vieille histoire. Elle n'a pas été très gentille quand nous étions petites, ta maman.
— Ah.
— Tu ne m'en veux pas ?
Il hausse les épaules.
— Non. C'est toi que je vois comme ma maman, tu sais ?
Mon cœur fond.
— Diego...
Il me fait un rapide câlin, puis s'enfuit dans la salle de bain. Je pousse un long soupir et me dirige vers la cuisine pour me préparer un thé. J'entends des voix, ce qui signifie qu'Isabella a allumé la télévision.
Je me rends dans le salon avec ma tasse de thé. Un visage qui ne m'est pas inconnu sourit. En fond, la voix du présentateur est en train de dire :
— ...donc monsieur Lansay a donné beaucoup à cette association. Un de ses proches amis l'a aidé et la directrice de cette association a pleuré de joie. L'ami de monsieur Lansay a accepté de discuter un instant avec nous ! Alors...
Ma tasse de thé se brise en morceaux sur le sol, coupant ainsi la fin de la phrase du présentateur. Je n'écoute plus. Je regarde ce visage. Ces yeux bleus. Ce sourire sincère. Ces cheveux bruns en bataille.
J'aurais reconnu cet homme entre mille, même si je ne l'ai pas revu depuis presque douze ans.
Ces yeux-là ne trompent pas. Je les vois chaque matin quand je m'habille, dans le reflet que me renvoie mon miroir.
À la télévision se tient Émilien Lansay.
Mon frère jumeau.
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top