Chapitre 28


   — Bonne journée ! je lance aux enfants alors que nous arrivons devant l'école.

   — À ce soir ! me lancent-ils en chœur.

   J'ai dû faire un détour pour les accompagner. En général, c'est Isabella qui s'en charge, car son travail commence un peu plus tard. D'ailleurs, je vais bientôt pouvoir appeler pour dire qu'elle sera absente aujourd'hui, car ce doit être ouvert.

   Julia me fait un signe de la main puis court retrouver ses amies. Diego la suit. Apparemment, il est accepté par les filles, vu la façon dont elles l'accueillent en riant. Bianca ne rejoint personne. Elle me fait penser à moi, lorsque je la vois se diriger seule vers un banc libre. Lorsqu'elle remarque que je suis toujours là, je lui adresse un sourire, qu'elle me rend, bien que crispé.

   Je tourne les talons. Je marche un moment sur le trottoir, les voitures passant près de moi, me frôlant presque. J'essaie de ne pas penser à Raphaël, à notre sortie de la veille, au fait que ses paroles m'aient blessée. Il est venu me voir seulement pour mon frère, parce qu'Émilien le lui a demandé. Cela m'a fait bien plus de mal que je l'admets. J'ai vraiment cru qu'il venait pour moi, pour qu'on se reconstruise. Ensemble. Mais non. Il veut mettre les choses au clair tant que mon frère n'est pas là, puis il disparaîtra. Il est ami avec mon frère, mais je pense qu'il s'arrangera, et fera tout pour que l'on ne se recroise jamais, après avoir mis cette histoire au clair avec Nathaël.

   Je prends une grande inspiration puis me souvient brusquement que je dois appeler le travail d'Isabella. Je fouille dans mon sac et en sors mon téléphone. Je regarde dans les numéros enregistrés dans mon téléphone puis compose le numéro de l'agence. Après quelques tonalités, la secrétaire déroche enfin.

   — Agence immobilière Durais, bonjour.

   — Oui bonjour, je suis Ophélia Lansay, la sœur de Isabella Lansay. J'appelle pour vous prévenir qu'elle ne pourra pas venir aujourd'hui. Elle est malade.

   Il y a un petit silence à l'autre bout du fil.

   — Isabella Lansay ? demande la secrétaire d'une voix plus froide. Elle ne vient plus depuis longtemps. Elle a été licenciée.

   Le monde s'écroule. Je me fige au milieu de la rue, hébétée. C'est impossible ! Les gens me contournent, agacés. Mais, pour une fois, je m'en fiche. Ma préoccupation est toute autre...

   — Pardon ?! je m'exclame. Mais...

   — Si vous n'avez rien d'autre à me dire, je vous souhaite une bonne journée.

   — Non, attendez ! Depuis combien de temps est-ce qu'Isabella a été licenciée, s'il vous plaît ?

   Je l'entends fouiller dans ses papiers. Puis elle dit :

   — Mme Lansay a été licenciée il y a trois semaines.

   Trois semaines ?! Comment avait-elle réussi à me cacher ça ?

   — C'était pour quelle raison ?

   — Elle arrivait tous les jours en retard, ne travaillait pas et attendait que l'on fasse le travail à sa place.

   —Je suis désolée...

   La secrétaire se radoucit en entendant mes excuses :

   — Ce n'est pas à vous de vous excuser. Mais vous comprenez bien que nous ne pouvons pas garder des employés qui ne travaillent pas.

   — Bien sûr, je comprends.

   J'acquiesce dans le vide.

   — Bonne journée.

   Je raccroche et me passe une main sur le front en regardant le ciel gris au-dessus de ma tête. Licenciée...

   Une plus grosse responsabilité vient de tomber sur mes épaules. Je dois, avec mon tout petit travail, subvenir aux besoins de ma famille. Je n'ai pas fait d'études, parce que je n'en ai pas eu l'occasion. Isabella, avec son salaire, pouvait nous maintenir à flots. Mais maintenant... Comment vais-je faire ? Avec trois enfants, un salaire assez médiocre et une sœur qui va continuer de boire comme un trou ?

   Je retiens mes larmes er renifle. Je vais bien trouver une solution... Mais non, il n'y en a pas ! Je suis seule. Je pourrai demander de l'aide à Émilien en tout dernier recours, pour le bien des enfants. Il est temps que je mette ma fierté de côté. Pour les enfants.

   Cette pensée me rappelle la conversation que j'aie eue avec Isabella quelques jours auparavant, quand nous avons vu Émilien à la télévision. Elle voulait lui demander de l'argent... Elle était déjà licenciée de son travail ! Je comprends mieux, à présent.

   Je me mets à sangloter au beau milieu de la rue. Pourquoi, pourquoi faut-il que ça arrive ?

   — Madame ? Vous allez bien ? s'enquit quelqu'un à ma gauche.

   Les yeux remplis de larmes, je ne vois pas qui me parle. Je les essuie rageusement et tente un pauvre sourire. Puis j'acquiesce.

   — Oui, ça va. Il faudra bien.

   Le regard de l'homme est plein de compassion.

   — Les journées qui commencent mal ne se terminent pas toujours de la façon dont elles ont débuté, m'assure-t-il.

   Je remarque qu'il est à béquilles. Et qu'il lui manque une jambe.

   — La vie nous met à l'épreuve. Sinon, ce serait trop simple ! Quoi qui vous ait fait pleurer, vous surmonterez tout ça. Vous y arriverez.

   Je lui souris. Cet homme a égayé ma journée.

   — Merci beaucoup.

   Il m'adresse un signe de tête, et repart en clopinant. Je sors un mouchoir de mon sac et m'essuie les yeux et le nez. Puis je prends une grande inspiration et reprend ma marche vers la librairie.

   Je serai forte. Je me le suis promis il y a quelques jours. Et même avec toutes ces révélations, il faut que je remplisse cette promesse. La force m'aidera à avancer, même si ce sera loin d'être facile.

   J'arrive à la librairie un peu plus tard. Je pose mon sac sur la table à côté de la machine à café et me dirige vers la comptoir où jai apercu Maja en entrant, qui discutait avec une cliente. Effectivement, je suis un peu en retard, mais je sais que si le directeur l'apprend, il n'en tiendra pas compte. Cela fait un long moment que je travaille ici, et c'est la première fois que j'arrive quelques minutes après mon heure habituelle.

   — Salut Maja !

   Elle se tourne vers moi et me scrute.

   — Que t'est-il arrive, Ophélia ? J'ai eu peur que tu n'arrives pas ! Ça ne te ressemble pas d'être en retard au travail... Qu'est-ce qui s'est passé ?

   Je soupire.

   — Ma sœur a perdu son travail. Cela fait un moment, mais elle me l'a caché. Et donc maintenant...

   Je m'interrompts, la gorge trop nouée pour continuer, pendant que Maja colle une main sur sa bouche.

   — Tu vas devoir t'occuper des trois enfants, c'est ça ?

   Maja sait que je vis avec ma sœur et nos enfants. Nous ne sommes pas proches, mais des collègues qui nous entendons assez bien. Et je dois dire que ça me fait du bien de me confier à elle.

   — Je ne sais pas comment je vais faire, je soupire. Il va falloir que je trouve une solution. Et puis...

   En quelques mots, je lui raconte que ma sœur a recommencé à boire et à inviter des gens bizarres à la maison.

   — ...ça s'est déjà passé il y a quelques temps, et je pensais que c'était terminé, mais elle recommence. Et, même si je fais tout pour que les enfants ne sachent pas trop ce qui se passe, ça va finir par être difficile de les empecher de découvrir ce qu'il se passe... Je suis désolée de te raconter tout ça, Maja. Je ne sais pas ce qui m'arrive... D'habitude, j'arrive à tout garder pour moi... Désolée.

   Maja pose une main sur mon épaule dans un geste réconfortant. Je ne la repousse pas.

   — Tu as sûrement besoin de parler à quelqu'un, dit-elle gentiment. Je suis là si tu as besoin. Etp pour les enfants aussi. Je peux les accueillir chez moi si tu as besoin, un jour.

   Je la prends dans mes bras sans réfléchir.

   — Oh Maja ! Je suis tellement désolée d'avoir été si distante avec toi ! Je suis désolée... Je ne sais pas trop comment parler aux gens et...

   — Calme-toi, Ophélia. J'ai bien compris que c'était difficile pour toi. J'ai conscience d'être parfois un peu trop "rentre-dedans" et ce n'est pas comme ça qu'il fait que je sois avec toi, parce que ça te fait du mal.

   — Tu es comme tu es, Maja. C'est moi qui suis...

   Je me retire de son étreinte et essuie mes larmes en lui adressant un sourire. Puis elle me tend une main.

   — Alors, amies ? On reprend sur des bonnes bases ?

   Je la prends en riant.

   — On reprend sur des bonnes bases ! Merci, Maja.

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