Chapitre 23
Je trébuche dans les marches de l'escalier de la résidence, et tombe sur les genoux. Ma cheville se tord, et je réprime un petit cri de douleur.
Voilà longtemps que je ne m'étais pas tordue de cheville...
Prudemment, je me relève. Ma cheville me lance quand je marche, mais je pense que ce n'est pas très grave.
Il y a encore un étage à monter. En m'appuyant sur la rambarde en métal, je parviens jusqu'en haut.
Isabella sera là. Elle ne sera pas couchée à cette heure-ci, car sa série préférée passe ce soir à la télévision. Et comme il faut que je passe par le salon pour aller à la chambre... De toute façon, il faudra bien que je l'affronte tôt ou tard...
J'actionne la poignée. Il n'y a aucune lumière dans le salon. C'est étrange...
Je fronce les sourcils.
— Il y a quelqu'un ? je lance.
Pas de réponse.
J'avance dans la pièce et claque la porte d'entrée derrière moi.
— Julia ? Diego ?
Silence. Mon coeur bat vite. J'angoisse. Je sais qu'il serait mieux que j'allume la lumière, mais j'ai si peur de voir quelque chose d'inhabituel... Je déglutis lentement. Ma gorge est sèche. Je frisonne. Et si... ?
Ma main trouve le bouton pour la lumière, et l'actionne. La clarté m'éblouit momentanément, puis je cligne des yeux.
— Julia ? Diego ? Bianca ? Isabella ? Il y a quelqu'un ? je crie.
La porte était ouverte. Il y a forcément quelqu'un, à moins qu'ils soient sortis...
Julia et Diego n'ont peut-être pas vu mon mot. Ils me cherchent peut-être dans les rues de la ville...
Je secoue la tête. Ou sont Isabella et Bianca ? Ils doivent sûrement être tous ensembles quelque part.
Je dois vérifier dans la maison. Et si quelqu'un s'était évanoui ? Et si... ?
Non. Ils sont quatre. Ils n'ont pas pu disparaître comme ça...
— Diego ? Ju...
— Tante Ophélia ? m'interrompt une voix.
— Bianca ! je m'écrie en me tournant vers elle, si brusquement que les semelles de mes chaussures crissent sur le sol avec un bruit effroyable.
Elle se frotte les yeux.
— Tu es rentrée, dit-elle.
— Oui, ça m'a pris du temps... Où sont Diego et Julia ?
— Ils dorment.
— Vous avez mangé ?
Elle hausse les épaules.
— J'ai fait des pâtes.
Je pousse un soupir de soulagement, puis m'exclame :
— Attends une seconde ! Vous êtes tous seuls ? Où est Isabella ?
Bianca ne me répond pas.
— Ou est ta mère, Bianca ?
Elle hausse à nouveau les épaules.
— Je ne sais pas.
— Comment ça, tu ne sais pas ?! je m'interroge, prise de panique. Tu es bien revenue avec elle ?
Bianca baisse les yeux sur ses pieds.
— Non, je ne suis pas rentrée ici avec elle après la messe. Elle m'a dit de rentrer à pieds.
— Vous êtes tous seuls depuis que je suis partie ? Oh, je n'aurais jamais dû...
— Je pensais que tu savais où était maman !
— Non, Bianca. Je n'en ai aucune idée.
Je me laisse tomber sur le canapé et me prends la tête entre les mains. Bianca s'assoit à côté de moi, bien qu'en restant à une petite distance. Et soudain, quelque chose me frappe. Jamais Bianca ne m'a parler aussi longtemps. Est-ce le fait qu'elle avait peur et soit soulagée qu'il y ait au moins une adulte de présente à la maison ? Elle m'a toujours manqué de respect. Elle la toujours regardée avec dédain. Comme Isabella.
Je suis là seule adulte présente à la maison. Je dois garder la tête froide, car j'ai trois enfants avec moi. C'est à moi de les rassurer.
— Bon. Bianca, que t'a dit ta mère après la messe ?
— Elle m'a dit qu'elle avait quelque chose à faire et que je devais rentrer toute seule ici. Qu'elle ne serait pas longue. Ensuite, elle est partie.
Je me prends a nouveau la tête entre les mains. Moi qui me trouvais irresponsable, j'ai trouvé pire que moi ! Ma sœur se comporte en adolescente, et pas en mère. Elle oublie souvent qu'elle a deux jeunes enfants à sa charge ! Au moins, elle ne boit plus, et ne ramène plus de gens bizarres à la maison. C'est déjà ça...
— Tu as facilement retrouvé le chemin ?
Ma nièce me regarde avec dédain. Je la reconnais enfin !
— Bien sûr que oui. J'ai fait le trajet d'ici à l'église des dizaines de fois...ce n'est pas loin. Mais maman avait l'air un peu bizarre, un peu ailleurs... J'avais l'impression...
Elle se tait.
— Que quoi ? je l'interroge, le plus délicatement possible.
Bianca regarde ses mains croisées sur ses cuisses en disant :
— Que je n'existais plus pour elle.
Je pince les lèvres. Qu'a donc fait Isabella ?
Lentement, avec prudence, je pose ma main sur le genou de Bianca.
— Elle va bien finir par revenir.
Ma nièce me jette un regard noir, mais ne se dégage pas. Je prends ça pour une amélioration !
— Ta mère a sûrement eu quelque chose de très important à faire. Elle va arriver très vite. Et si tu retournais te coucher ?
Elle serre le dents.
— Je ne suis plus une gamine, tante Ophélia. Tu n'as pas besoin de me dire des choses aussi bêtes, en pensant que je vais tout avaler ! Je suis capable de comprendre !
Ses poings sont serrés. J'ai sûrement été maladroite dans mes mots...
— Excuse-moi, Bianca. Je voulais essayer de te rassurer, pas de te faire sentir comme une petite fille...
— Pas grave, marmonne-t-elle.
Un silence s'installe entre nous deux.
— Je sais comment elle est, tu sais, poursuit-elle ensuite d'une voix plus douce.
— Qui ça ?
— Maman. Je sais que vous vous disputez tout le temps. Je sais que ce ne sont pas de petites disputes pas importantes. Je sais que vous vous détestez.
Le mot "détester" est faible. Mais je ne dis rien. Je dois la laisser vider son cœur.
— J'ai peur qu'elle m'abandonne, me confie-t-elle, la voix un peu rauque.
Je remarque qu'elle pleure. Quelques petites larmes roulent sur ses joues. Je sais que ce sont des "vraies". Alors, avec une certaine maladresse mais sans pouvoir m'en empêcher, je la prends doucement dans mes bras. Elle pose sa tête contre mon épaule.
— Elle n'aime pas Diego. Je ne sais même pas pourquoi... Je pensais qu'elle m'aimait, mais...
Je m'écarte légèrement d'elle et lui relève le menton pour la forcer à croiser mon regard.
— Écoute-moi, Bianca. Je pense que ta mère t'aime, bien que ce soit à sa manière...
— Je n'en peux plus des disputes, tante Ophélia. Vous vous entretuez !
Je n'ose pas lui dire qu'elle n'est pas tes loin de la vérité.
— Pourquoi vous vous détestez à ce point-là ?
Je prends une grande inspiration.
— Ta mère me reproche d'être venue au monde.
— Mais pourquoi ?
— Je n'ai jamais su clairement pourquoi, Bianca.
— Pourquoi est-ce qu'elle n'aime pas ceux qui ont les cheveux roux ?
— C'est compliqué...
— Je voudrais savoir, tante Ophélia. S'il te plaît.
Je pousse un long soupir.
— Très bien. J'étais la seule de la famille à avoir les cheveux roux. Ni Isabella, ni notre frere, ni notre père, bi notre mer, n'avaient les cheveux roux . Je ne sais pas d'où ils me viennent, mais peu importe...
— Un frère ? Vous aviez un frère ?
Je ne relève pas l'utilisation au passé. Elle ne doit pas savoir que j'ai revu Émilien. Si jamais elle raconte quelque chose à sa mère, ou qu'elle fait une bourde sans le vouloir... Je préfère la laisser elle aussi dans l'ignorance.
— Ma mère haïssait mes cheveux roux. J'ai grandi avec l'idée que j'étais l'incarnation du diable, comme le pré rendait ma mère.
— Pourquoi n'aimait-elle pas tes cheveux ? Ce ne sont que des cheveux...
— C'était la couleur des flammes, du diable, des malédictions, des sorcières... Son père était curé, très conservateur, donc elle a grandi avec l'idée que tous les roux étaient très gens maudits, qui ne méritaient pas d'exister dans le monde que Dieu avait créé. Voilà pourquoi je ne suis pas croyante, Bianca. Sans Lui, ma vie aurait été beaucoup plus simple. Et aussi moins douloureuse, ajouté-je à voix basse, plus pour moi-même que pour elle.
— C'est affreux ! s'exclame ma nièce.
Elle plaque aussitôt une main sur ma bouche.
— Je m'en suis remise, Bianca.
C'est faux. Je ne m'en remettrai jamais. Ma mère a commis des actes si effroyables qu'ils en sont inoubliables...
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top