Chapitre 19
Raphaël baisse les yeux vers la table. Puis, sans que je m'y attende, il attrape ma main posée sur la table et la serre dans la sienne. Il expire lentement, comme s'il souhaitait se calmer sans y parvenir.
J'ai peur de ce qu'il s'apprête à me dire. Je dois dire que je ne l'ai jamais vu dans cet état.
Il se passe soudain une main sur le front.
- Je ne sais pas par où commencer.
- Pourquoi tu ne m'as jamais dit que tu avais un frère ?
Il ferme les yeux un court instant, et il m'apparaît si fatigué que les poils de ma nuque se hérissent.
- Mon frère et moi ne sommes pas du tout en bons termes. Il n'est même plus mon frère à mes yeux. Surtout après ce qu'il t'a fait. Ce qu'il nous a fait à tous les deux.
- Raphaël... Ne m'en veux pas de te demander ceci, mais... Pourquoi ton frère se serait-il fait passer pour toi ? Quelle réelle raison le pousserait-il à faire cela ?
J'essaie de tout prendre calmement. Raphaël paraît si effondré, si bouleversé soudainement. Je dois prendre sur moi. Je dois rester calme.
- Mon frère s'est donné un but dans la vie : me retirer tout ce qui pourrait me rendre heureux.
Ma bouche s'entrouvre sous le choc de cette révélation. Nous avons tous les deux une famille pourrie, apparemment !
- Il ne peut pas s'être fait passer pour toi, Raphaël. Je te connais tellement bien... Certaines choses ne trompent pas. J'aurais forcément tout découvert un jour ou l'autre. C'est...invraisemblable. Mais...tu as utilisé plusieurs fois l'exemple d'Émilien et moi. Est-ce que ce frère...serait ton frère jumeau ?
Il acquiesce lentement en me serrant toujours la main, et mon monde s'effondre, tel un château de cartes.
- Quoi ? Mais je... Il y a forcément quelque chose qu'il aurait mal fait et qui aurait pu le trahir ! J'aurais forcément remarqué si ce n'était pas toi...
Raphaël secoue la tête.
- Je te l'ai dit, fait-il tristement. Il a toujours été doué pour se faire passer pour moi. Il me connaît certainement mieux que moi-même, mais...
Je reprends brusquement ma main et la ramène contre moi pour le regarder dans les yeux, méfiante.
- Qu'est ce qui me prouve que tu es vraiment Raphaël, dans ce cas ?
- Ophélia...
Il me regarde, l'air peiné. Mais je ne peux plus être sûre de rien, à présent.
- Lia, c'est moi. Je te le jure.
- Je ne peux pas savoir que tu es celui que tu prétends être ou non.
- Alors pose-moi une question. N'importe laquelle. Ainsi tu sauras si c'est réellement moi ou non.
- Non. Je ne pourrais jamais savoir. Tu dis que ton "frère" te connait mieux que quiconque.
- J'allais dire autre chose, mais tu m'as coupé la parole.
Je serre les poings sous la table, m'enfonçant les ongles dans la peau afin de rester ancrée dans le présent.
- Je t'en prie, continue.
Mon ton est glacial.
- Ophélia. J'ai coupé les ponts avec mon frère pour qu'il ne puisse plus me nuire, et qu'il ne sache plus rien de ma vie. Je venais de me débarrasser de lui quand tu m'as rencontré. J'étais assez souvent absent à l'étranger pour lui tendre quelques pièges. Émilien m'a beaucoup aidé. Je voulais être certain qu'il ne me retrouverait pas et qu'il ne me ferait pas de mal maintenant que j'avais trouvé la femme que j'aimais. Il a fini par me retrouver au moment où je m'y attendais le moins. Le moment où je t'avais laissée seule. Crois-moi, je te dis la vérité.
Je faillis me laisser convaincre par son ton suppliant, mais me repris.
- Donne-moi une preuve de ce que tu avances. Je veux être certaine que tu es bien mon Raphaël.
Ce terme m'a échappé. Son regard vert se fige brusquement, ses yeux fixés sur mon visage, mais je n'y prête pas attention.
- Que faisait mon frère en rentrant le soir ? me questionne-t-il alors.
Je réfléchis. Cette époque est si lointaine !
- Il retirait son manteau qu'il suspendait à la patère, puis ses chaussures qu'il rangeait dans le placard. Ensuite il buvait un verre de vin dans le salon avec moi, m'embrassait et me demandait si ma journée s'était bien passée...
En face de moi, il lève une main avec une grimace.
- Attends. Il t'embrassait après avoir bu ?
- Oui. Pourquoi ?
Il se renverse contre le dossier de sa chaise, l'air soulagé.
- Alors ce n'était bel et bien pas moi, mais bien mon frère. Je ne t'aurais jamais embrassée après avoir bu, mais toujours avant, parce que je sais que tu n'aimes pas l'odeur de l'alcool. Cela ne te dérangeait pas, quand il le faisait ?
J'ouvris de grands yeux devant cette explication.
- Ça n'a pas dû me choquer à cette époque...
- Mon frère aimait et doit sûrement toujours aimer l'alcool. Il ne peut pas résister...
- C'est vrai que c'est une période où tu buvais plus que d'habitude...
Le visage de l'homme en face de moi s'assombrit.
- Ce n'était pas moi. Ne me compare pas à... cet homme.
- Donne-moi d'autres preuves, s'il te plaît. Je vais besoin.
Nous passons les minutes suivantes à parler de mes soirées de l'époque. Il relève tout ce qui ne colle pas et je me rends compte qu'il me dit la vérité. Je me prends la tête entre les mains, les yeux remplis de larmes.
- Mon Dieu... Ce n'est pas possible. Pourquoi...?
Raphaël reprend ma main dans la sienne et la serre très fort, en prenant garde à ne pas me faire mal.
- Je suis désolé, Ophélia. Tellement désolé. Je n'ai pas réussi à te protéger de lui.
Ma main libre forme un poing, une fois encore.
- Comment s'appelle ton frère ?
Ses yeux verts prennent alors une teinte plus foncée. Je comprends qu'il est en colère, très en colère.
- Il s'appelle Nathaël. Et je ne veux plus jamais à avoir à prononcer son prénom, conclut-il d'une voix sombre.
- Désolée.
Il soupire longuement et resserre sa prise autour de ma main.
- Ne le sois pas. Je n'aurais pas dû être aussi froid avec toi alors que ce n'est pas de ta faute. Tu as le droit de t'informer sur celui qui t'a fait du mal. Je suis désolé, moi, que ce soit mon frère, ma famille, qui ait osé s'en prendre à toi.
Un silence s'installe entre nous deux.
- Ophélia...
- Oui ?
Ses joues rosissent. Il est mal à l'aise. Mais pourquoi ?
- Dis-moi, Raphaël.
Il plonge son regard dans le mien.
- Il t'a touchée ?
Je retire avec lenteur ma main de la sienne, et évite son regard. Comment parler de ça avec un homme qui n'est plus mon compagnon ?
Il se racle la gorge, conscient de ma gêne, et lâche ma main.
- Je suis désolé de t'avoir posé cette question. C'est juste que...
- Oui, il m'a touchée, je lui réponds, d'une toute petite voix.
Je le vois serrer les poings, si fort que ses jointures en blanchissent.
- Je suis désolée, ajouté-je. Je pensais que c'était toi...
Il repose sa main sur la mienne.
- Ce n'est pas de ta faute, Ophélia. C'est la sienne, et la mienne. Tu n'as donc pas à t'en vouloir. Mon...frère et moi sommes les seuls responsables de cette situation. J'aurais dû te mettre au courant dès le début pour tu préparer mais...je voulais tellement laisser le passé derrière moi...
Je pensais que c'était toi. Je pensais avoir fait l'amour avec Raphaël. En fait... j'ai eu des rapports avec son frère jumeau qui s'est fait passer pour lui. Cette pensée me donne la nausée. Quelle horreur !
Puis, une autre pensée affreuse me foudroie sur place.
Julia... Est-elle réellement la fille de Raphaël, comme je l'ai toujours pensé ? Et si elle était... la fille du frère de Raphaël, Nathaël ?
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