Chapitre 18

Ma bouche s’entrouvre, mais je ne parle pas. Mes mains glacées ne bougent pas entre celles de Raphaël. Je reste immobile, dans le vent glacial, des mèches de cheveux échappées de mon chignon me fouettant le visage.

- Ton...ton...ton frère ? balbutié-je, mes yeux plongés dans ceux de Raphaël.

Il ne répond pas et se relève, m’entraînant avec lui.

- Le parc va bientôt fermer, dit-il.

Nous arrivons dans une rue.

- Tu as faim ? demande-t-il poliment.

- Ne change pas de sujet, s’il te plaît.

Il s’éloigne.

- Il me semble que ce restaurant est ouvert...

Je rejette sa main, et me plante au milieu de la rue.

- Raphaël.

Il s’arrête, puis se retourne lentement vers moi, le visage à demi caché dans l’ombre.

- Tu vas m’expliquer maintenant. J’ai besoin de savoir...

Moi qui voulais lui faire part de ma colère, voilà que ma voix tremble et que mes yeux se remplissent de larmes ! Je tente de les chasser, mais elles embrouillent ma vision.

- Je veux des réponses ! crié-je. Et tu vas...me les donner.

Je sanglote. Quel frère ? Depuis quand Raphaël a un frère ? Comment ce dernier pourrait-il lui ressembler autant ? Pourquoi se serait-il fait passer pour Raphaël ? Comment n’ai-je pu rien remarquer ? Et Julia... Est-elle la fille du frère de Raphaël, et on de mon premier amour, comme je l’ai toujours pensé ? Est-ce que tout cela est vraiment réel ? C’est vraiment n’importe quoi...

Soudain, des bras solides m’entourent, et la chaleur, ainsi que l’odeur rassurante, de Raphaël m’enveloppent dans un cocon agréable.

Je me sens si perdue à cet instant que j’accepte son étreinte, enroulant me bras autour de lui afin de le garder près de moi. Je pose mon front contre son torse, me laissant bercer par les doux battements de son cœur.

Lorsque je suis finalement calmée, je me détache de lui, presque à contrecœur. Son regard vert suit chacun de mes mouvements avec inquiétude, comme si j’étais aussi fragile que du verre. Voir cette émotion dans ses yeux après tout ce temps me bouleverse. J’affiche un pauvre sourire sur mes lèvres dans une vaine tentative de le rassurer, mais cela ne le convainc pas le moins du monde. Comment arrive-t-il si bien à me percer à jour ? Est-ce que...même le temps n’est rien, face à l’amour ?

Non. Je n’ai pas le droit d’espérer. Je ne peux pas espérer qu’il m’aime encore. Il a des explications importantes à me donner. Ensuite, il partira.

Je dois garder la tête froide.

Alors je plante mes yeux dans les siens, carrant les épaules pour affronter la vérité.

- J’ai besoin de réponses, répété-je, sur un ton beaucoup plus calme. Si tu dis la vérité, cela veut dire que j’ai vécu des années dans le mensonge, en pensant que tu m’avais lâchement abandonnée. Je ne savais même pas que tu avais un frère avant aujourd’hui... Tu ne peux pas lâcher subitement que ce frère est la cause de toute cette situation sans me donner d’explications ensuite ! (Ma voix se brise soudain à la fin de ma tirade.) Comment puis-je te croire, Raphaël ?

Son regard qui se perdait au loin revient sur moi à l’énonciation de son prénom. Les contours de son visage s’adoucissent, mais il serre les poings en disant :

- Mon frère a toujours été doué pour semer le doute et briser mon bonheur. Tout le contraire de toi avec Émilien. Quand je vois avec quelle force il recherchait sa sœur... Si j’avais su que c’était toi, sa sœur disparue, vous auriez pu vous retrouver bien avant.

- Pourquoi ton frère chercherait-il à te nuire ? interrogé-je en repoussant une mèche de ses cheveux égarée sur son front.

Il attrape mon poignet alors que je baisse ma main.

- Il en a toujours été ainsi, lâche-t-il, la voix rauque, ses yeux ne lâchant pas les miens.

Aussi brusquement qu’il m’a saisi le poignet, il me relâche. Je comprends qu’il ne dira rien de plus pour le moment. Il a besoin d’un peu de temps avant de m’expliquer.

- Tu as froid, dit-il soudain.

Je ne m’en suis même pas rendue compte...

- Tu es toujours aussi attentif, observé-je.

Nos yeux s’accrochent, pour ne plus se lâcher.

- Je le suis seulement avec toi, Ophélia.

Il s’arrache à mon regard avant que je ne puisse dire autre chose. Alors, avec une certaine hésitation, je mets ma main dans la sienne. Il imbrique aussitôt ses doigts aux miens, et avance dans la rue sombre.

- Où m’emmènes-tu donc ?

- Au restaurant.

- Je ne peux pas, Raphaël... Je n’ai pas d’argent sur moi, expliqué-je.

Il hausse les épaules.

- Je t’invite. Même si tu avais eu de l’argent, je ne t’aurais pas laissée payer.

- C’est hors-de-question ! m’exclamé en me figeant brusquement.

Il se retourne, et m’adresse un sourire en coin.

- Ravi de savoir que ton tempérament est de retour...

Je le regarde fixement, prise d’un vertige. Le temps a passé, mais rien n’a changé. En présence de Raphaël, je m’exprime plus librement. Il en a toujours été ainsi, et peut-être que cela ne changera jamais. Comment bien d’autres choses, songé-je, en pensant à l’amour que j’éprouve toujours à son égard.

- Et il faut qu’on discute, Raphaël. C’est plus important qu’un repas.

- Rien n’est plus important que ta santé, Ophélia. Et puis... On peut très bien discuter au chaud, autour d’un bon repas, non ?

- Je...

Il est trop proche. Je ferme les yeux une demi-seconde, puis les rouvre.

- Très bien, cédé-je, avec un petit soupir.

Il m’entraîne à sa suite. Le restaurant dans lequel nous entrons est très chaleureux. Ce que j’ai toujours apprécié chez Raphaël, c’est que, même s’il possède beaucoup d’argent, il se comporte comme une personne normale.

C’est un homme qui nous accueille au comptoir, avec un très large sourire.

- Madame, Monsieur ! Bonsoir, et bienvenue !

- Bonsoir ! nous répondons à l’unisson.

Il éclate de rire.

- Quel couple harmonieux !

Je me sens rougir sous la lumière tamisée, mal à l’aise. Raphaël se racle la gorge, l’air gêné :

- Ma femme et moi désirons dîner ici ce soir, s’il vous reste encore une table disponible.

Le sourire de l’homme se fait éclatant, tandis que je reste bouche bée devant le terme que Raphaël a utilisé pour me désigner. Sa femme..., songé-je avec amertume. J’ai failli le devenir... Mais tout ceci est terminé pour de bon, maintenant.

- Voici votre table pour la soirée, annonce soudain l’homme, me sortant de mes pensées.

Hein ? Je n’ai pas du tout suivi la conversation. Heureusement, Raphaël est là :

- Merci beaucoup. Pourriez-vous nous apporter le menu, s’il vous plaît ?

- Bien entendu.

Raphaël tire une chaise, et me fait signe de m’asseoir.

- Merci, dis-je en m’asseyant face à lui.

La table est éclairée par de petites bougies. L’atmosphère de ce restaurant est très...romantique.

L’homme revient avec la carte. Sur un clin d’œil, il disparaît.

Raphaël attrape un menu et je fais de même, sortant de ma torpeur. Je pars en quête du plat le moins cher, mais le regard de Raphaël que je sens rivé sur moi me pousse à relever la tête vers lui.

- Qu’est-ce que tu as ?

Il se penche vers moi par-dessus la table et m’adresse un regard mi- amusé, mi- sévère :

- Je te connais, Ophélia. Choisis ce qui te fais plaisir. Sinon... Je choisirais pour toi.

Je lève ma carte pour ne pas qu’il me voit rougir. Son ton est si taquin... C’est comme à l’époque. Je me fige. Enfin presque. Nous ne sommes plus ensemble aujourd’hui, contrairement à avant.

Nous nous trouvons dans ce restaurant ce soir, afin d’éclaircir les problèmes du passé. Pour rien d’autre.

Il faut absolument que je me concentre.

Il me faut des réponses.

Il me faut la vérité.

Lorsque je plante à nouveau mes yeux dans ceux de Raphaël, son humeur rieuse s’évapore, et son visage devient sombre, à l’instar du mien.

Ce soir, il ne s’agit pas de retrouvailles.

L’heure des explications a sonné.


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