• Only words •

"Est-ce que tu ressens les mots ?"

Il leva la tête de son cahier, rencontrant le regard sérieux d'un gars qu'il ne connaissait pas. Mais assurément, c'était à lui qu'il avait parlé, il était le seul à pouvoir lui répondre — pour avoir essayé, il savait que sa chaise, et cette partie de la bibliothèque en général, n'étaient pas très causantes.

"Hein ? Lâcha-t-il pitoyablement. Si je ressens quoi ?

— Les mots, répéta l'autre sans se départir de son sérieux spectaculaire en disant quelque chose d'aussi stupide. Est-ce que tu les ressens ?"

Il lança un regard circulaire autour de lui, gêné d'être le second protagoniste de cette discussion bizarre. Personne. Il était donc tout seul face à l'adversité.

"Euh, je sais pas ? Ça veut dire quoi ?"

Le gars qui lui avait posé la question roula ses yeux si fort que l'interloqué eut l'impression d'être con.

"Si je te dis 'Une petite fille pleure', ça te fait quoi ?

— Bah pas grand-chose, ironisa l'interpelé en se demandant si 'ressentir les mots' voulait dire pleurer avec une petite fille imaginaire.

— On est d'accord, acquiesça l'autre, honnête."

Alors pourquoi tu me poses la question ducon ?

"Autre test, le relança l'autre aussitôt. Si je te dis qu'elle pleure parce que son papa l'a abandonnée, est-ce que ça te fait quelque chose ?

— Ah ben toujours pas, répondit l'interpelé, blasé, songeant à son devoir super urgent à rendre pour le lendemain qui n'avançait pas beaucoup.

— Merveilleux, un faux-cul m'a dit l'inverse il y a dix minutes pour me faire dégager, acquiesça l'autre une nouvelle fois.

— Parce qu'il y en a d'autre à qui tu demandes ça ? S'étonna l'interpelé en haussant ses sourcils jusqu'au plafond.

— Ouais. Dernier test : si je te demande de penser à cette petite fille, et de la visualiser. Vois ses larmes qui roulent sur ses joues. Ses yeux, chauds, gonflés, et son nez qui coule, son bout piquant, et qui tord sa gorge quand elle respire, tout au fond, là où ça fait mal. Elle ne peut plus respirer correctement, elle a des gros hoquets bruyants et douloureux, elle n'arrive qu'à prendre de l'air sans réussir à le respirer vraiment, et sa poitrine gonfle et gonfle mais elle ne peut pas le relâcher. Elle est si triste que ses lèvres se penchent toutes seules vers le bas, très fort, et que ses yeux pleurent encore plus à cause de cette sensation-là, qui pousse tout et fait déborder le cœur de larmes. Elle passe maladroitement ses mains sur ses joues, qui sont complètement trempées. Elle veut appeler son papa, tu sais, elle veut vraiment le faire, mais quand elle essaie sa gorge fait des petits bruits étouffés, ou des gros râles qui font mal et transforment son estomac en toupie. Son papa loin, son papa qu'elle ne verra plus, et ça lui coupe les jambes de le réaliser, plusieurs mois après son enterrement, l'endroit où tous les gens pleuraient aussi. Maintenant c'est elle qui pleure et elle n'aime pas ça. Elle tremble, elle a froid, et elle essaie en vain d'essuyer ses cils qui collent. Est-ce que tu arrives à l'entendre pleurer, toute seule dans sa jolie chambre, cachée sous la couverture pour retrouver son papa ? Est-ce que tu est capable de ressentir quelque chose comme ça ? Je décris mal, mais est-ce que tu arriverais à ressentir ce qu'elle ressent, cette petite fille, alors qu'elle n'existe pas, qu'il n'y a pas de musique ni d'images ?"

Il ne sut pas quoi répondre.




Réaction de la première lecture :

Ce que tu penses avoir compris :

QUESTION BONUS :
Est-ce que tu ressens les mots ?

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