"N'est-ce pas magnifique ?"

Elle tourna la tête vers lui, surprise qu'il lui adresse la parole.

On parle quand même d'un gars qu'elle n'a jamais vu, et qui est à côté d'elle dans le métro, encore vide, du très tôt tard le matin le soir.

Voyant qu'il lui faisait un signe de tête lui indiquant une direction ou regarder, elle posa ses yeux devant elle.

Un jeune homme dessinait la vieille dame assise en face de lui, avec une mine spécial que seuls les passionnés emportent avec eux dans le métro.

"C'est du fusain, l'éclaira son voisin en lisant son interrogation dans son froncement de sourcils.

— Et pourquoi vous me signalez-

— Chut, regardez, lui intima-t-il à voix basse."

Elle tourna la tête juste à temps pour voir le garçon hésiter, puis se lever et tapoter doucement l'épaule de la vieille dame pour lui tendre la feuille. La vieille dame ne comprit d'abord pas et fronça les sourcils, ce qui fit se décomposer le jeune homme devant elle, avant de se reconnaître sur le dessin sans doute et de le remercier, souriant à son dos alors qu'il descendait à l'arrêt auquel la rame s'était arrêtée.

"Eh bien quoi ? S'enquit la jeune femme près du gars après avoir vu cette scène discrète d'un jeudi dans le métro à quatre heures du matin.

— Vous avez vu ce qu'il a fait ou pas ? S'agaça le gars.

— Il a dessiné et il l'a donné à son modèle oui, s'agaça la jeune femme à son tour.

— Et pourquoi il l'a fait ? Continua le gars sur le même ton.

— Mais j'en sais rien !

— Justement lui non plus, il ne le sait pas, dit le gars d'un air chelou. Il fait partie des créatifs. Vous en avez déjà côtoyé ?

— Non, souffla la jeune femme, vexée de se faire engueuler par un inconnu dans le métro.

— Sachez que ça se voit ; il a fait cet acte de bravoure, et vous n'avez même pas cillé, comme si c'était normal. Mais, ça ne l'est pas ! Qu'il dessine ? C'est commun, tout le monde peut le faire, il suffit de prendre un crayon et d'essayer. Par contre, avoir son matériel sur soi, dessiner quelqu'un en cinq minutes, lui donner sa création en redoutant sa réaction, puis la lui laisser après avoir osé lui montrer ? C'est une véritable preuve de courage. Le fait est que de nos jours, tout est normal. Si je vous disais qu'hier, un homme s'est suicidé en sautant de mon immeuble, qu'est-ce que ça vous fait ?

— Rien, répondit la jeune femme honnêtement, refoulant sa bonne conscience qui avait envie de plaindre cette personne sans doute fictive.

— C'est bien le problème. Vous êtes insensible. Et vous êtes si jeune !

— Quel est le rapport avec ce garçon ? Soupira la jeune femme, ennuyée.

— Je vous disais que je trouvais son comportement magnifique tout à l'heure. C'était parce qu'il créait. Tous les passionnés, tous les artistes, ont cette flamme en eux, cette rage de faire, cette chose incontrôlable qui les anime et leur fait faire tourner des têtes sur leur passage parce qu'ils sont juste si lumineux. C'est fascinant, l'art, reprit-il après un instant de silence. Et les créateurs. Leur cerveau. Ce qu'ils voient qui change complètement leur vision du monde par rapport à la nôtre, qui les emmène si loin qu'ils voient des choses, et qu'ils veuillent nous les transmettre, ou les exprimer, n'importe comment, par un moyen parfois quelconque. Qui n'a jamais été troublé en voyant un artiste peindre un tableau, ou sa propre écriture qui a l'air de vivre sa vie sur la feuille ? Un artiste, c'est un stylo qui danse, c'est des mondes dans les yeux, c'est un sourire qui remue, c'est une main assurée qui se prépare à tracer ce qui n'existe pas encore, c'est la joie d'imaginer une nouvelle histoire, une nouvelle vie, à défaut de ne pas vivre la sienne. Un artiste, c'est si beau. Des doigts qui s'animent sur un instrument, une voix qui chante toujours plus haut, oh, une voix qui veut hurler ce qu'elle ressent au monde, un bijou cette voix, un trésor, mais qui au fond reste la petite conscience d'une personne invisible et seul soldat combattant son imagination. La voilà la triste vérité : un artiste fait vivre ce qui n'existe pas, mais lui, il est tout seul. L'âme des créatifs. Aujourd'hui, j'ai l'impression que plus personne ne l'a. "

Et le gars se leva pour descendre.

Réaction de la première lecture :

Ce que tu penses avoir compris :

QUESTION BONUS :
Tu as déjà croisé l'âme des créatifs ?