Mémoire Digitale...


L'eau coule sans s'arrêter, échappant dans sa versée les vapeurs dues à la chaleur brûlante.

Une main se meut dans le liquide, ignorant la température élevée qui crie l'alerte par les volutes vaporeuses. Cependant, la propriétaire de cette main ne s'en préoccupe guère. Elle continue sa vaisselle, frottant avec ardeur sur les assiettes déjà fragilisées par le temps.

Derrière elle, une autre vapeur flotte dans l'air, portant une odeur de brulée à ses narines. Humant l'air d'un rictus de dégout, la faiseuse de vaisselle se tourne violemment vers le pratiquant de fumée.

- Maitre ! Je vous ai demandé d'arrêter de fumer ! C'est dangereux pour votre santé si fragile !

Toussant son âme, le maitre s'agite dans son fauteuil, avant de reprendre une grosse bouffée de sa cigarette, l'air de rien.

- Fiche-moi la paix, tas de ferraille. Et je t'ai dit de ne plus m'appeler comme ça ! Je ne suis pas ton maitre, c'est clair ? lance l'homme en toussant encore.

- Ne racontez pas n'importe quoi, maitre ! Vous m'avez tant appris.

- Je ne t'ai rien appris. J'ai juste débloqué ta mémoire et...

- « Huit cents milliards d'e-con !! Mesdames et messieurs, la fameuse clé indécryptable est vendue à huit cents milliards d'e-con ! Une somme jamais atteinte de toute l'histoire de nos ventes aux enchères ! ... »

Une télévision rattachée au mur du salon diffuse un évènement important, un moment vu par deux mille spectateurs et plus de six millions de personnes dans ce monde à travers leurs écrans :

La vente aux enchères de la Fondation Atrik, une multinationale œuvrant dans l'exposition et la collection d'arts antiques.

- Huit cents milliards ?! Ce n'est pas un peu trop pour une simple clé USB ? Surtout une clé grillée, juge la faiseuse de vaisselle.

- Elle n'est pas grillée, juste très dure à décrypter.

La fille incline la tête, l'air perdu.

- Comment ça, maitre ?

L'homme prend une grande bouffée de fumée noirâtre et continue, l'air las :

- Surement un complexe pare-feu. Mais, cette clé n'est pas défectueuse.

- Pourquoi semblez-vous si affirmatif, maitre ? Vous connaissez le contenu de cette clé ?

- JE T'AI DÉJÀ DIT DE NE PAS M'APPELER AINSI !!! crie l'homme avant de soupirer bruyamment. Bon sang ! Pour ce qui est de la clé, c'est juste mon intuition. Sinon pourquoi les Atrik prendraient la peine de la vendre ? Depuis quand ils s'intéressent aux choses brisées ou défectueuses ?

- Donc, vous voulez dire que la clé contient vraiment quelque chose d'important ?

- Sans aucun doute. Mais, le gros défi, c'est l'ouverture.

- Est-ce qu'il pourrait s'agir en fait d'un cheval de Troie ? demande la fille.

- Dans quel but ? Prendre possession d'un environnement informatique ? Mais lequel ? À ce moment-là, ils doivent viser une personne en particulier...

- Ou une entreprise particulière...

Les deux personnes regardent un long moment l'écran rectangulaire qui diffuse l'image de deux personnes qui se serrent la main professionnellement. Une femme en compagnie du présentateur.

- Il s'agit de Laris Pixiz, la milliardaire et Présidente de l'entreprise de biopharmaceutique Novas, présente la fille. Novas et Onirik sont rivales. Peut-être que la clé pourrait contenir quelque chose de compromettante contre Onirik ? De quoi détruire son image sur la scène internationale.

- Ça pourrait, oui. Quoi qu'il en soit, ce ne sont pas nos affaires ! lance l'homme en s'étalant dans son fauteuil qui laisse échapper ses rembourrages.

Il regarde d'un air pensif les murs de son salon couverts par endroit de moisissures et lézardés de fissures temporelles.

- Ces gens-là, ne viennent pas du même monde que nous, Réally.

Laissant la télévision parler sans aucune autre interruption, l'homme s'affaisse encore plus dans son fauteuil moisi, tirant encore plus fort sa cigarette naturelle, trop pauvre pour s'acheter une électronique.

La jeune fille, appelée Réally, le regarde se perdre dans ses pensées. Il ne souriait pas, et elle ne l'a jamais vu sourire une seule fois. D'ailleurs, c'est mieux ainsi.

Car, s'il commence à être heureux, elle devra... le tuer.



3072, l'an 70 de la cyber-ère. Dans ce siècle présent, la technologie connue un essor colossal, transformant radicalement le monde de tout un chacun. Ayant mis en œuvre toute sorte de dispositions, créer toutes sortes d'inventions inimaginables, les créatures dotées d'intelligence : Ormis et les Humains, ont atteint un paroxysme semblant à celui des dieux. Pour monter leur monde à l'ultime perfection, les habitants de la planète C-Ormi ont médité sur un dernier projet, la recherche du Bonheur total.

Ce projet a été engagé par Onirik, l'entreprise de technologie la plus performante dans ce monde. Afin de parvenir à créer le monde adéquat sans défaut, elle s'invente, se mettant au service de tout être vivant pour lui permettre d'être continuellement heureux jusqu'à la fin de sa vie.

Pour cela, elle a créé six entités dont la mission est de servir les êtres vivants et d'enrailler la tristesse, les troubles, le désarroi... et s'il le faut, même la mort. Cependant, pour pouvoir se permettre les services de ses entités et bénéficier du bonheur absolu, il faut posséder de la richesse, énormément d'argent. Ainsi, les pauvres sont destinés à être malheureux. Et, dans le but de convenir à ce monde entièrement heureux, ces derniers sont donc mis à l'écart, supprimés de l'existence des bienheureux. Ils sont reclus de la société, entassés dans des bidons villes aux allures déplorables, derrière de grands murs qui entourent ceux qui ont les moyens d'être heureux. Ces éloignés, on les appelle les Reclus ou les Déchets.

Entassés dans ce milieu sans loi ni bonheur appelé « Le dépotoir », loin de l'œil du monde ou le pouvoir d'Onirik, ils survivent à qui mieux-mieux. Dans cet endroit, ils n'existent pas.

C'est dans ce milieu que vit Réally, une jeune fille différente de tout le reste de la population. Elle est une androïde dont personne ne connait son créateur. La seule chose qu'on sait, c'est l'ordre qui lui a été implanté dans la tête : Détruire le bonheur.

Deux mois se sont écoulés depuis qu'elle a été recueillie par Nefiz Slack, un ancien pirate web qui a fui la justice pour se cacher dans le Dépotoir. Deux mois durant lesquels elle n'a pas avancé dans sa seule et unique mission.

Ce qui est assez normal... Vu que le bonheur est une denrée inconnue dans le Dépotoir.

- Réally ! crie Nefiz de son fauteuil poussiéreux. Va me chercher de la cam ! Il ne m'en reste plus.

Toujours affairée à son nettoyage, la fille lance sans le regarder :

- Vous devrez y aller doucement sur la drogue, maitre !

- Ferme-là et fais ce que je te dis ! ordonne-t-il entre deux grosses quintes de toux.

- Très bien, maitre !

Comme la super machine qu'elle est, elle finit son ménage à une vitesse folle avant de prendre son manteau noir et de filer dans la nuit froide.


Réally n'a aucune obligation envers Nefiz. Cependant, être à ses côtés lui permet de comprendre au mieux les créatures vivantes qu'elle doit détruire. Dans sa mémoire, il n'existe rien, aucune information. Seulement sa mission. Nefiz lui a donc implanté une connaissance partielle, qu'elle doit parfaire en vivant parmi eux. Il n'est pas difficile pour Réally de comprendre les aptitudes des êtres vivants. Face à elle, ce sont des créatures faibles qu'elle peut facilement décimer si elle s'en donne la peine.

Cependant, il est difficile pour être de comprendre la fréquence de leurs émotions et sentiments. Sa mission consiste à tuer ceux qui sont heureux, elle n'a que faire des autres. Mais, que se passera-t-il si, au moment où elle s'apprête à tuer une personne heureuse, celle-ci devient malheureuse à la seconde suivante, en se sachant mourir ? Devra-t-elle continuer son acte, ou s'arrêter là ?

Ce sont ces questions qui allongent son temps d'activité. Pour l'instant, depuis son réveil, elle n'a tué personne. Même les hommes qui l'ont trouvée dans la ruelle, il y a deux mois, on prit peur d'elle et se sont enfuis à toute jambe. Voyant les réactions d'effroi, l'androïde n'a pas jugé bon de les éliminer.

À côté de Nefiz, Réally apprend encore à connaitre les personnes. Même si elle sait que bientôt, elle devra obligatoirement se mettre au boulot.


La nuit est froide et sombre. De gros nuages défilent dans le ciel goudronneux. L'air est humide, comme tous les jours.

Au-dessus du Dépotoir, il n'y a qu'une saison, la pluie. Chaque jour, à chaque heure, des ras de marées se déversent sur les habitants, inondant tout sur leur passage, détruisant ce qu'ils peuvent.

À C-Ormi, l'une des planètes solitaires de l'Univers d'Ailleurs, la journée n'existe pas. La planète ne possède aucun soleil, ni aucun autre astre. Cependant, pour palier à cela, le monde a créé ses propres astres lunaires qui décorent le ciel nocturne des gens heureux, et sa propre lumière diurne, pour illuminer la journée. Oui, car il n'y avait que ceux qui se trouvaient à l'intérieur des murs circulaires dispersés un peu partout sur la planète qui ont droit à la beauté. Pour les autres, les Déchets, ils doivent se contenter d'un ciel noir d'encre et de pluies continuelles ou de tempêtes.

Tout a été créé, inventé, construit, performé. Et tout cela pendant 70 ans. Cette ère de technologie, où l'être vivant se rapproche des Étoiles – les dieux de ce monde –, est appelé l'ère divine, ou l'ère cybernétique.

Dans ce monde, le numérique est un mode de vie, la technologie est une divinité, la machine est occasion de rivalité. Et ce monde est devenu une réalité grâce à Onirik, la plus grosse entreprise de technologie du monde... et le cœur de la cyber-ère.

De partout dans le monde, il est possible de voir son bâtiment principal, un O au forme trapézoïdale qui orne l'horizon, telle une projection. Marquant la suprématie de cette entreprise aux quatre coins du globe.

Sa dirigeante est Eï Larev. Et, c'est tout ce qu'on sait d'elle. Elle n'apparait que très rarement, et sous une forme digitale. On sait à quoi elle ressemble... mais personne ne peut garantir qu'il s'agit de sa véritable apparence. Car, dans ce monde, on facilement possible de changer de visage en quelques secondes, avec juste quelques e-cons... On peut même ressusciter,... en déboursant des milliards.

C'est la nature de ce monde, sa réalité... son utopie...

Son absolu...



Réally marche sans se presser vers les taillis sombres du son quartier pauvre. Les mains dans les poches de sa veste trop grande, les yeux fermés, elle avance avec calme, ignorant les cris de douleurs des gens qui se font violer, de ceux qui se font poignarder ou même de ceux qui se font estropier.

Ils sont malheureux et, c'est le principal.

Soudainement, en tournant au coin d'une ruelle, elle entend un rire puissant qui la sortie de son état de stase. À une vitesse vertigineuse que lui permet son corps robotique, elle court vers la source, ignorant les appels à l'aide de ceux qui croisent son chemin. Elle arrive en quelques secondes devant une baraque de pierres et de bois, possédant des escaliers qui descendent jusqu'au sous-sol... d'où viennent les rires.

Elle trace en trombe l'escalier et ouvre la porte avec violence... tombant sur un jeune homme à moitié nu, couvert de sang et agonisant d'un rire hystérique à s'en rompre la gorge.

En voyant la jeune orminoïde devant lui, l'homme se lève en titubant, soulevant la lame posée près de lui et le plante dans un sac à ses pieds, contenant une poudre blanche, mêlant le sang du couteau à celle-ci. Il lèche la lame, se coupant la langue au passage, puis regarde l'androïde avec un regard extatique :

- Salut Réally ! Encore une belle soirée pour se flinguer !

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