Jour 7 - 6 : Geonhak

Geonhak avait la tête ailleurs. Ses pas le guidaient vers un lieu inconnu, il marchait simplement le menton baissé en fixant le goudron de la ville en tapant, de temps à autre, dans un caillou de manière lasse. Le jeune avait froid, terriblement froid. Son corps frissonnait bien que la température externe était plutôt agréable ce soir-là mais la source congelée ne venant pas de la légère brise qui faisait voler sa chevelure ébène, non, il était congelé de l'intérieur.

Soupirant, Geonhak tapa dans un nouveau grabat en enfonçant un peu plus ses mains dans ses poches : il se sentait aussi vide que l'univers, il n'y avait rien à l'intérieur, juste un néant frigorifiant qui paralysait un peu plus, chaque jour, son corps. Des rêves, le jeune homme n'en avait plus, tout comme des espoirs. Tout lui échappait, on lui avait arraché si brusquement ses illusions chimériques qu'il ne restait plus que l'enveloppe du garçon.

Tel un fantôme errant, Geonhak eut le sentiment d'hanter Séoul avec ses vieux vêtements poussiéreux et tâchés de sang à la suite du combat que cet abruti avait lancé entre eux deux quelques minutes auparavant. Ses mains pâles tremblaient de manière frénétiques, son regard avait perdu tout éclat de vie tandis qu'il déambulait, sans but, dans les ruelles sombres. Sous la lumière des lampadaires grésillant, le teint blafard du jeune homme était rehaussé par ses cernes violines et sa courte chevelure noire de jais qui n'avait plus aucune forme : il avait tout rasé de colère un soir et, maintenant, le tout poussait de manière hétérogène.

« - A quoi cela sert de continuer ? »

Ces paroles n'étaient qu'un murmure qui n'arriva à l'oreille de personne. Un chuchotement perdu entre les murs de la capitale coréenne qui entendait et voyait des choses que nul ne verrait. Soupir, nouveau coup dans un de ces pauvres débris de roche, Geonhak ne savait plus quoi faire : plus rien ne le faisait vibrer ou vivre. Les autres le fuyaient à cause de son aura intimidante et sa voix grave qui terrorisait les plus jeunes. Les professeurs ne cessaient de lui répéter qu'il n'avait aucun avenir, que la pédiatrie, avec son apparence, était impossible : il faisait bien trop imposant.

« - Tu ferais peur aux enfants voyons. Sois raisonnable Geonhak, cesse de rêver. Il faut que tu te réveilles. Pourquoi ne vas-tu pas dans un métier du bâtiment ? Une personne comme toi serait à sa place là-bas. »

Toujours ces mêmes paroles, ces mots blessants qui avaient forcés le garçon à abandonner ses fantasmes car il n'était pas le type de personne recherché pour ce genre de métier, il n'avait pas la carrure pour s'occuper d'enfants. Geonhak avait donc suivi, à contre-cœur, les recommandations de son enseignant et il s'était lancé dans le BTP.

Au début, cela avait été supportable, il devait juste s'habituer à cette vie et après il irait mieux : tout n'était qu'une question d'habitude et d'adaptation n'est-ce pas ? Hélas, plus les semaines s'écoulaient et plus les choses se dégradaient pour l'étudiant : il ne se sentait pas à sa place là-bas, il ne voulait pas vivre ainsi toute sa vie.

« - Qui accepterait un gars comme toi Geonhak ? Cesses tes enfantillages, sois un homme ! »

Aviez-vous déjà imaginé une vie sans rêves ou désirs ? Une existence où il était impossible de s'évader, d'être libre ? C'était pourtant ainsi que le garçon vivait, enfin, à quelques détails prêts. Geonhak pouvait, parfois, s'enfuir de cette étouffante vie lorsqu'il voyait ses deux amis : Kim Youngjo et Lee Giwook.

Lorsqu'ils arrivaient à se voir, à arranger une rencontre après des semaines et des semaines de silence radio à cause de leur vie bien mouvementée malgré leur jeune âge, le trio passait des heures à vivre de leur passion : la musique. Il aimait tant s'asseoir chez le plus jeune de la bande pour travailler sur leurs projets musicaux dans l'espoir de montrer, un jour, leur création à un public. Geonhak soutenait énormément ses amis qui, eux, n'arrêtaient pas de le complimenter sur son incroyable voix.

« - Geonhak ? Tu n'as jamais pensé à devenir un idol ? Tu rappes, chante et danse. En plus, tu as un physique avantageux. Je suis sûr que tu serais aimé et que ta fanbase serait énorme. »

Youngjo avait lâché cela un jour mais c'était une idée que le plus jeune avait trouvé débile. Lui ? Idol ? Quelle blague débile. Il aurait plus de chance de finir dans la politique que de percer en tant que chanteur.

« - Voyons Hyung... Les idoles sont souvent des garçons charismatiques mais aussi mignons. Ce sont les images du petit copain idéal soit... Pas du tout moi.

- Allons Geonhak Hyung ! Ne te dénigre pas autant. Tu es adorable quand tu souris !

- Et tu as de belles expressions en général, Geonhak-ie.

- Mais c'est parce que vous êtes mes amis que vous pensez ainsi... »

Quittant ce souvenir passé, le jeune homme sortit de ses pensées alors que ses pas l'avaient amené au pont surplombant la rivière Han. Ce soir, le vent était léger mais tout de même plus frais, après tout le printemps débutait à peine, cela n'était pas l'époque idéale pour sortir en t-shirt : il aurait dû porter quelques vêtements supplémentaires.

Sa chevelure virevoltait de manière gracieuse dans les airs tandis que le regard noir du garçon se posa sur l'étendu bleu-grisé. Ses doigts enroulèrent la rambarde tout en continuant de fixer le liquide en dessous de lui : une vie sans rêves et ambitions ne valait rien. Soupirant, ses paupières se fermaient lui permettant de sentir un peu mieux la brise légère sur son visage rougi par le froid : c'était agréable, il se sentait presque vivre grâce à cette morsure congelée mais il était temps pour lui de faire un choix.

Sa jambe passa au-dessus de la protection tandis qu'il continuait de se maintenir fermement à la rambarde. Puis, la jumelle vint rejoindre sa consœur de l'autre côté de la barrière faisant que le garçon ne tenait plus que sur quelques centimètres de terre ferme : devant lui, c'était le vide. Un pas, il n'avait qu'un simple pas à faire et cette chute de plusieurs mètres lui brisèrent les os tout en lui ôtant cette vie qui était d'une fadeur insurmontable. Geonhak accepta une dernière bouffée d'oxygène dans ses poumons avant de faire le grand saut libérateur.

« - Geonhak ! »

Une voix hurla le prénom du suicidaire qui sursauta en perdant l'équilibre : la surface étant trop petite, son pied droit avait dérapé et entraîné tout son corps. Ses pieds quittèrent la corniche, ses doigts glissèrent de la rambarde l'entraînant plusieurs mètres plus bas : c'était la fin. Fermant les paupières en attendant de ressentir l'insurmontable choc qui allait l'achever, le jeune homme fut surpris de ne pas entendre le vent siffler dans ses oreilles ou lécher son visage et puis... qu'elle-était cette sensation au niveau de son poignet droit ? Battant des paupières afin de jeter un coup d'œil au-dessus de lui, Geonhak hoqueta de surprise en voyant le visage de l'inconnu qui l'avait rattrapé in extremis.

« - Youngjo Hyung !

- Cela ne va pas de sauter ! Tu voulais me laisser tout seul aussi lâchement !

- Lâche-moi !

- Jamais ! On a dit qu'on survivrait ensemble dans ce monde de merde !

- Lâche ! Tu vas tomber avec moi Hyung !

- Alors on mourra ensemble ! Ne compte pas sur moi pour te laisser tomber !

- Arrête ! Je ne veux pas être la cause de ta mort !

- Et moi je ne veux pas être ton meurtrier ! Je ne te lâcherais pas !

- Tu es chiant putain !

- Je le sais ! C'est pour ça que tu m'aimes abrutis ! »

Youngjo perdait en terrain, son corps pendait de plus en plus par-dessus la rambarde et le fait qu'il soit en sous-nutrition faisait qu'il se fatiguait extrêmement vite. Se battant contre lui-même, le plus vieux tenta tant bien que mal de se remonter avec son ami, tirant aussi fort qu'il pouvait sur son bras serrant la barrière de métal. Hélas, tout n'était plus qu'une question d'instant avant qu'ils ne finissent par plonger, ensemble, dans la rivière Han et quitter ce monde cruel.

« - Je t'aime Geonhak. Tu as toujours été ce meilleur ami que je voulais avoir. Je suis si heureux de t'avoir connu et à mes côtés pendant tout ce temps.

- Je t'en supplie Hyung... Lâche-moi et vis ! Giwook a besoin de toi.

- Il aura Dongmyeong et les autres. Il surpassera tout cela, il fera son deuil.

- Dis pas de connerie ! Il a besoin de toi !

- Cela va bien se passer Geonhak. Je n'ai pas peur.

- Mais moi j'ai peur pour toi Hyung ! »

Youngjo sentait ses forces s'amenuirent le faisant basculer un peu plus vers le vide : il n'en pouvait plus, c'était la fin pour eux deux. Le plus âgé sentit son enveloppe corporelle complètement passer par-dessus le bord faisant fermer les paupières des deux garçons qui appréhendaient le vent qui allait souffler dans leur oreille comme une dernière mélodie avant leur mort funeste. Le dernier doigt se détacha, la chute débuta et le plus vieux murmura un dernier « Je t'aime Geonhak » avant d'abandonner le combat mais... Rien ne se passa.

« - On vous tient ! Courage, tenez bon ! »

Une unité de police était arrivée pile au bon moment après avoir reçu un coup de fil d'un joggeur qui avait vu la scène entre les deux amis d'enfance. Les hommes en uniformes avaient fait au plus vite pour arriver sur les lieux et sauver ces deux citoyens mais cela avait été juste, très juste. Le sauvetage fut un succès, les deux jeunes purent être ramenés sur la terre ferme en un seul morceau par les agents qui mirent de longues minutes à les hisser jusqu'au pont.

Une fois les pieds sur le sol, Youngjo ignora la fatigue qui s'abattait sur lui et il courut prendre Geonhak dans ses bras pour l'enlacer puissamment en lui murmurant à l'oreille ces quelques mots.

« - Ne me fais plus de peur comme celle-là. Je t'en supplie, continue de vivre à mes côtés. J'ai besoin de toi Geonhak...

- Je suis désolé Hyung... Désolé... »

Fin du Flashback

A peine le jeune homme eut-il fini son histoire que Youngjo se leva pour se diriger vers son ami d'enfance afin de sécher les quelques larmes discrètes, mais traîtresses, qui avaient roulé sur ses joues. L'aîné chuchota quelques paroles à l'oreille de son dongsaeng qui le firent sourire. Dongju, qui était au côté de Geonhak, se rapprocha doucement de son Hyung pour lui attraper naturellement la main en commençant à faire des petits cercles sur cette dernière. Puis, le maknae déposa sa tête sur l'épaule de son frère de cœur : aucun mot ne fut échangé, juste de simple geste que l'autre savait parfaitement déchiffré et qui lui réchauffait le cœur.

En remarquant que son ami était bien entouré, Youngjo repartit à sa place au côté de Hwanwoong qui semblait en proie à une panique grandissante. Ses mains tremblaient tellement, sa jambe bougeait frénétiquement tandis que sa respiration était haletante : le plus petit semblait terrorisé à l'idée de conter son histoire à sa bande d'amis.

Posément, l'aîné attrapa les deux mains de son ami tout en lui souriant tendrement afin de lui montrer qu'il était là, qu'il n'avait rien à craindre et que personne ne le jugerait. Son regard rassurant fixait celui rempli de terreur de l'autre qui se pétrifia : comment allaient-ils réagir ?

« - Tout va bien se passer. On est là et on ne te jugera à aucun instant mon Woong-ie. Tout va bien se passer, d'accord ? »

Soupirant puissamment, Hwanwoong baissa la tête tout en resserrant sa prise sur la main de Youngjo. Le plus petit déglutit difficilement tandis que les cinq paires d'yeux se posaient sur lui partagé entre la curiosité et l'appréhension. Le garçon de dix-huit ans déglutit difficilement avant de, finalement, entrouvrir ses lèvres et délier sa langue dévoilant à tous ce secret qu'il gardait enfoui en lui depuis tant d'années. 

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