5. Riley
Fais chier, je n'ai plus de carottes. Fébrile, je pose mon index et mon majeur sur mes lèvres, pinçant une cigarette invisible. L'envie de fumer me ronge.
"Embrasse-moi, Riley".
Ses mots ont dégoupillé la grenade qui sommeillait dans ma poitrine. Ce sont les dernières paroles qu'elle a prononcé avant de disparaitre de ma vie.
Allongé sur la proue du Janneau 76, je rembobine le film de cette journée invraisemblable dans ma tête. Je m'en veux de l'avoir subitement abandonnée sur la piste de danse, mais la douleur de notre séparation me hante. Certes, ce fut plaisant d'agir comme si nous ne nous étions jamais quittés. Mais la réalité est qu'elle a laissé un trou béant dans mon coeur, qu'elle ne colmatera pas d'un coup de baguette magique.
Soudain, un bruit métallique me tire de mes pensées. On toque quatre fois sur la coque. Je reconnaitrais cette façon de s'annoncer entre mille.
— Ry, t'es là ? murmure-t-elle d'un ton mal assuré.
Des frissons parcourent mon échine. Interdit, je me redresse sans un mot.
— Ry, je sais que t'es là, ton t-shirt blanc jure dans l'obscurité. Je... il faut qu'on parle. S'il te plait.
Après quelques secondes d'hésitation, je l'invite à monter dans un soupir. Il est temps de jouer cartes sur table.
Maxine escalade l'échelle du yacht, puis prend place près de moi. La brise répand son parfum fruité dans l'atmosphère, bousculant mes sens. Elle contemple un instant le ciel nocturne, et les souvenirs de nos escapades étoilées surgissent dans mon esprit.
Nous pouvions passer des heures, allongés sur cette proue, à nous perdre dans l'immensité de la galaxie.
Maxine plie ses jambes, les entoure ensuite de ses bras. Ses yeux humides s'ancrent aux miens. Mon cœur rate un battement. A-t-elle pleuré ?
Elle inspire un coup, puis entame :
— Ry, écoute. J'ai conscience que ce que j'ai fait est inexcusable. J'avais peur d'affronter la réalité en face en mettant des mots sur notre rupture. Alors, j'ai lâchement laissé couler...
Les ressentiments embrasent de nouveau mes veines.
— Tu aurais au moins pu être claire sur tes intentions, au lieu de me sortir qu'on devait prendre le temps de réfléchir à notre avenir. Pour moi, ça ne signifiait pas me faire ghoster comme un déchet.
Elle renifle, puis se mord la lèvre.
— Non, Riley. Rien n'était clair dans mon esprit. Mais on était si jeunes, et tu étais mon premier amour. Toi, tu as toujours su ce que tu voulais. Reprendre l'entreprise de ton père, vieillir à Englewood. Moi, j'avais besoin de découvertes, de nouvelles expériences...
Irrité, je serre les poings à m'en écorcher les paumes.
— Pourquoi tu ne m'en as pas parlé ? Tu voulais sortir avec d'autres mecs, OK. Ça m'aurait foutu les boules, mais j'aurais compris. Même si de mon côté, j'avais pas besoin d'aller voir ailleurs pour réaliser qu'il n'y avait que toi qui comptais.
Elle fronce les sourcils, puis me pousse avec hargne.
— Tu vois ? Tu te serais mis en colère avec ta jalousie maladive. Je ne voulais pas qu'on se quitte en s'écharpant comme des chiffonnières.
— Eh ben, j'aurais préféré ça que de tanguer entre l'espoir et la désillusion pendant des mois. Ça m'a fait un mal de chien, Max. Alors que toi, tu t'éclatais sous le soleil de LA ! m'emporté-je, haussant le ton.
Un rire étrange émane soudain de sa gorge. Elle me fustige du regard, un rictus déformant ses lèvres.
— Pendant que JE m'éclatais ? Tu me manquais terriblement, Ry. Si bien que j'ai fini par réserver un billet d'avion pour Englewood trois semaines après mon départ.
Désarçonné, je la dévisage sans un mot. Elle poursuit, les traits crispés et le rouge aux joues.
— J'étais décidée à revenir le temps d'un week-end pour te supplier d'excuser mon comportement immature. Et devine quelle photo est sortie sur mon fil Facebook le même jour ?
— Je vais jamais sur Facebook, Max.
— Joue pas l'innocent, monsieur "moi je t'aurais jamais trompée".
Trois semaines après son départ ? Des souvenirs flous commencent à se reconnecter dans mon cerveau.
— Ta langue dans la bouche de Magali Stones ! Voilà ce qui m'est sauté à la figure ! s'écrie-t-elle, frappant le parquet.
La soirée chez Walt. J'écarquille les yeux, submergé par la honte. Je passe ensuite ma main sur mon front et m'étale telle une étoile de mer sur la proue.
— Purée, la coincidence de merde. J'te jure, Max, elle m'a fait boire jusqu'au coma cette nuit-là. C'était à la limite de l'agression sexuelle.
— Elle t'avait dans le viseur depuis le collège. C'était prévisible.
— En même temps, j'étais plus que paumé, tu répondais à aucun de mes messages. Je t'imaginais faire pareil, alors...
Nos regards se croisent, puis elle soupire longuement. Elle bascule la tête en arrière et finit par s'allonger près de moi.
— J'ai enchaîné les coups dur cette année-là, murmure-t-elle. En novembre, ma mère m'a annoncé qu'elle quittait mon père et me rejoindrait en Californie. Il la trompait chaque fois qu'il partait en mission.
Médusé, je porte la main à ma bouche. Sa peine me brise.
— Tu devines bien que depuis, les relations à distance, aussi bien qu'Englewood, c'était fini pour moi.
Des larmes dévalent aussitôt ses joues. Je m'approche, les essuie doucement de mon pouce.
— Oh, Max. Je suis tellement désolé. J'aurais voulu t'aider à traverser cette épreuve.
Elle secoue la tête, les yeux perdus dans le vide.
— Je devais me prouver mon indépendance. Mais... tu n'as jamais quitté mes pensées, Ry.
Elle achève sa phrase par un sanglot. D'instinct, je caresse ses boucles châtain et la serre contre mon torse.
— Viens là, susurré-je.
Maxine s'abandonne entre mes bras, puis libère tout ce qu'elle a emmagasiné depuis tant d'années. Elle humidifie mon t-shirt de ses larmes. J'embrasse le sommet de son crâne, hume le parfum sucré de ses cheveux. Son visage se calle si bien contre ma poitrine.
Nous restons un long moment enlacés, bercés par le bruit des vagues et les chaloupements du bateau.
Une fois calmée, elle recule légèrement pour admirer les cieux.
— J'ai prié les étoiles de veiller sur toi. Tu répétais souvent qu'elles ne t'abandonnaient jamais, parce qu'elles te guidaient chaque fois que tu te perdais en mer.
Une vague de bonheur me submerge. Elle n'a pas oublié. J'attrape sa main et l'enveloppe doucement dans la mienne.
— Le jour où tu es partie, une étoile s'est éteinte. Mon univers n'a plus brillé de la même intensité.
Elle se retourne, puis réduit la distance qui nous sépare.
— Je te promets de tout essayer pour de nouveau l'illuminer.
Alors que ses lèvres exquises m'appellent indéniablement, je lui adresse une dernière demande.
— Max, on n'a plus seize ans. Si tu reviens dans ma vie, on doit se faire confiance pour communiquer sainement.
Elle hoche la tête.
— Si je reviens dans ta vie, Ry, c'est pour y rester. Aujourd'hui, j'ai compris. Mon amour pour toi défiera toujours le temps et l'espace.
Sa déclaration m'arrache un large sourire. Je l'attire à moi, presse mes lèvres contre les siennes.
— Je t'aime, Max. Depuis le premier jour, jusqu'à ce que l'univers me désagrège en poussière.
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