3. Maxine
J'enfourche mon vélo pour rejoindre la plage de Punta Gorda où se déroule le festival.
Evidemment, le démarrage est compliqué. Je peine à trouver l'équilibre car les roues ne sont pas gonflées, et tangue comme une ivrogne.
A ma gauche, un pick-up blanc ne tarde pas à me rattraper, roulant au pas. La vitre se baisse, affichant le visage jovial de Riley.
— Sérieux, t'as toujours ce tas de ferraille ? Allez, monte au lieu de t'infliger cette selle en paille de fer.
Même si je sais qu'il a raison, je ne peux pas m'empêcher de lui tenir tête.
— C'est bon, c'est à moins de dix minutes, je tiendrai le coup, soufflé-je tandis que mes roues rouillées grincent.
— A l'allure où tu vas, tu arriveras demain. Sans compter les potentiels accidents avec les tortues de mer.
Il s'esclaffe à sa blague débile, à laquelle je réponds par un doigt d'honneur. Hélas, ce geste détruit l'équilibre précaire que je tentais de maintenir, et je tombe sur le trottoir dans un fracas grotesque.
Riley stoppe immédiatement son véhicule et se précipite à ma rescousse.
— Max ? Tout va bien ?
A l'instant où je me redresse, sa main chaude se pose sous ma nuque et son regard inquiet s'ancre au mien. Son parfum familier de cèdre et de brise marine chatouille mes narines. Troublée, je me recule pour lui signifier que je n'ai rien.
Il m'aide à me relever, puis ramasse prestement mon vélo et le balance à l'arrière de son pick-up.
— Mais, tu... protesté-je.
— Il n'y a pas de mais qui tienne, pas question que tu roules encore sur ce danger ambulant. Allez, monte.
La mine sérieuse et les lèvres pincées, il me désigne sa voiture de l'index. Je finis par accepter en trainant la patte, puis m'installe sur le siège passager. Une fois rassuré, Riley me rejoint et redémarre. Ses doigts glissent ensuite sur le tableau de bord, activant le toit ouvrant. L'air chaud s'engouffre agréablement dans l'habitacle, caressant nos peaux tannées par le soleil.
Lorsque les premières notes de l'autoradio résonnent à mes oreilles, je me raidis. Des fossettes creusent ses joues, puis le conducteur m'adresse un clin d'oeil.
— Tu as gardé ta ferraille, moi, j'écoute encore ce bon vieux Drake.
— J'hallucine, t'es encore resté sur cette playlist ! m'exclamé-je en jetant un oeil aux titres affichés sur l'écran.
One dance de Drake fait partie des musiques dont nous avons usé et abusé, aussi bien pendant nos trajets au lycée, en soirée, qu'au karaoké chez Barney's.
Quand le couplet arrive, je ne résiste pas.
— Babyyy, I like your style ! chanté-je à tue-tête.
Riley me suit, et nous nous égosillons comme deux imbéciles.
— I just need one dance, got a Hennessy in my hand, one more time 'fore I go...
Tandis que les palmiers de Winchester Boulevard défilent sous mes yeux, et que l'eau turquoise du Golfe du Mexique se dessine à l'horizon, un sentiment de plénitude m'envahit. Il m'aura fallu quatre ans et des milliers de kilomètres pour réaliser que tout ce que je cherchais se trouvait déjà ici.
A l'instant où le crépuscule dépose ses dernières paillettes dorées dans les pupilles de Riley, un seul souhait me traverse. Je voudrais que rien n'ait changé entre nous.
Hélas, nous arrivons à destination. Nos amis nous attendent déjà sur le parking, nous hélant pour les rejoindre. Riley éteint l'autoradio et nous échangeons un regard déboussolé, comme si nous nous réveillions après un voyage dans le temps. Il se passe la main dans les cheveux, puis agrippe la poignée de la portière sans toutefois l'ouvrir. Une ridule se dessine sur son front, et sa jambe gauche s'agite sur le tapis.
Je connais cet air hésitant. Mon estomac se tord aussitôt, et je me prépare à ce qu'il s'apprêterait à me dire.
— Hé, les Miley, magnez-vous, ça a commencé ! s'écrie Joyce, gesticulant devant les phares.
Mon ex soupire, puis sort du véhicule sans un mot. Soulagée d'échapper à une conversation sérieuse, je m'extirpe également du pick-up et me précipite vers mon amie d'enfance.
Riley, lui, se fait alpaguer par les garçons. Alors que nous nous éloignons de quelques mètres, l'amertume envahit mon palais. Tôt ou tard, nous devrons aborder les raisons de notre séparation.
— C'est quoi cette tête d'enterrement ? Vous vous êtes encore disputé ? interroge Joyce, plongeant ses grands yeux bleus dans les miens.
— Non, non, tout va bien. Au contraire, on se remémorait juste de bons souvenirs.
— Tant mieux, faudrait pas gâcher la fête, les copains.
Elle m'entraîne avec elle, faisant tinter ses nombreux bracelets. Ses longs cheveux blonds balayés par le vent, elle trépigne d'impatience, pressant ma main pour accélérer la cadence. Joyce a toujours été une confidente hors pair. Pétillante et optimiste, elle a su panser chacune de mes peines par ses conseils avisés.
Bientôt, nos pieds foulent le sable blanc de Punta Gorda. Le festival bat déjà son plein, avec son lot de cabanes en bois d'où s'échappent de délicieux fumets de fruits de mer grillés. Aménagée au centre, une scène accueille des artistes locaux. Ce soir, un groupe caribéen ouvre le bal, nimbant l'atmosphère de notes enjouées. La culture Floridienne est unique en son genre aux Etats-Unis, car elle découle d'origines diverses - européennes, afro-caribéennes et latines.
Mes sens s'éveillent devant tant de stimulis. Portée par la joie contagieuse de Joyce, je m'imprègne de l'effervescence d'Englewood. Nous déambulons au milieu des stands de nourriture et les boutiques de souvenirs ornées de breloques nacrées. Lorsque nous passons devant un bar à cocktail, j'en profite pour commander un Mojito glacé.
Puis, nous rejoignons le reste du groupe, installé en cercle sur le sable. Je repère instinctivement Riley, assis en tailleur, une assiette de victuailles sur les genoux.
Une onde de chaleur traverse ma poitrine. Il a gardé une place près de lui.
— Hey, Max, j'ai commandé trop de brochettes de poisson ! déclare-t-il, la bouche pleine.
La faim gronde aussitôt dans mon estomac. Je me rue sur la chair tendre et savoureuse de ce mets exquis. Il se moque de mon attitude vorace.
— Tiens, en contre-partie tu peux boire mon Mojito, suggéré-je en lui tendant mon verre.
Il tire la langue, dégoûté.
— Beurk, tu sais bien que j'ai horreur de la menthe.
Nous continuons la soirée entourés de nos amis, nous abreuvant de fruits de mer et de musique. Puis, lorsque certains commencent à se désinhiber - alcool aidant, ils se dirigent vers la piste de danse.
Joyce ne manque pas à l'appel. Comme d'habitude, elle bondit au son des basses, et nous oblige à la suivre.
— Alleeez, c'est mon ann...anniversaire. Tout le monde sur la piste, bégaie-t-elle, éméchée.
Consciente qu'elle ne lâchera pas le morceau, je termine mon Mojito d'une traite, puis me lève. Je jette un oeil à Riley. Il semble hésiter un instant, les yeux perdus dans le sable. Le rhum me monte d'un coup à la tête, attisant des envies refoulées.
— Tu viens ? Ne me dis pas que t'as perdu ton déhanché légendaire ! le défié-je.
Ses lèvres s'étirent dans un sourire.
— Tu n'imagines pas comme je l'ai perfectionné.
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