2. Riley
Les doigts crispés, je mâche ma carotte crue avec nervosité. Maxine est de l'autre côté de la pièce, lancée dans une conversation interminable avec ce coureur de Jay.
Il roule ses épaules de camionneur tel un paon sous stéroïdes, tandis qu'elle lui sort son faux rire de petit cabri.
C'est plus fort que moi, malgré ces quatre années sans nouvelles, la voir flirter avec un autre me tord les entrailles.
Pourquoi, Maxine...
Une main se pose soudain sur mon épaule. Mon débile de frère me reluque avec une expression sournoise. Puis, il se rapproche de mon oreille.
— J'ai toujours cru que vous finiriez avec trois gosses, deux labradors et des poules pondeuses.
Agacé, je le dévisage en fronçant les sourcils. Il avale une gorgée de bière tout en dirigeant ses yeux vers le couple face à nous.
— Ah, c'est moche la distance, soupire-t-il.
Je croise les bras, appuie mon dos sur le mur attenant.
— Elle fait ce qu'elle veut de sa vie. On n'est plus ensemble depuis des lustres.
Je conclue ma phrase en croquant le dernier morceau de carotte avec hargne. Mon frère glousse, puis reporte son attention sur moi.
— Tu lui as demandé pourquoi elle t'a ghosté ? On aurait dit que vous étiez de nouveau les meilleurs amis du monde dans la piscine.
— C'est pas un sujet qu'on aborde comme ça entre deux brasses, grogné-je, fourrageant ma poche à la recherche d'une autre carotte.
Andrew attrape d'un coup ma gorge pour me faire une clé de voûte.
— Alors fais pas ta pucelle et vas lui parler, Bugs Bunny !
— Sale...
Avant que je ne puisse lui cracher ma désapprobation, il me pousse en avant. Le regard noisette de Maxine croise aussitôt le mien. Elle murmure quelque chose à Jay qui hoche la tête, puis il part leur chercher à boire.
C'est le moment où jamais.
Je me redresse, tire sur les plis de mon t-shirt, et jette un dernier coup d'oeil à Andrew. Il agite ses pouces en l'air de manière absolument indiscrète.
Dépité, je me frotte le visage et rejoint Maxine. Pour me donner une contenance, je l'aborde avec une carotte à la bouche.
— Quoi de neuf, Docteur ?
Elle éclate de rire. De son vrai rire qui secoue les étoiles, pas de celui qu'elle réserve aux pauvres mecs.
— Depuis quand tu te lances dans une carrière de Looney Tunes ? demande-t-elle en auscultant ma carotte.
— Depuis que j'essaie d'arrêter de fumer. Bizarrement, c'est le seul truc qui marche. Et puis, c'est sain.
— Oh, bonté divine, enfin ! Je suis fière de toi, affirme-t-elle avec un large sourire qui fait naître des fourmillements dans mon ventre.
Jay choisit cet instant pour débarquer avec deux bières. Je les attrape, en tend une à Maxine et boit l'autre pour marquer mon territoire.
— Merci mec, j'avais grand soif.
— Hé, mais, t'es malade gars ! s'insurge-t-il. C'était moi qui...
Il grogne en me fusillant du regard. Un veine palpite sus ses tempes et ses gros biceps se contractent. Pour éviter de me faire bousiller le faciès, j'attrape son épaule et entame des négociations.
— OK, le weekend prochain tu choisis le bateau que tu veux à l'atelier, chuchoté-je.
Incrédule, il écarquille les yeux. Puis, ses épaules s'affaissent.
— Je veux le yacht Janneau 76. Une journée entière.
— Quoi ? Non, tous sauf celui-là. Prends le Zodiac, et je te le laisse une demi-journée.
— Mais, eh ? C'est moi qui suis censé choisir !
— Je peux savoir ce qui se passe ? intervient Maxine, les traits pincés. Vous n'essayez pas de marchander ma compagnie comme un vulgaire bout de viande, j'espère !
Oups... Jay secoue la tête et m'assène une claque sur le crâne.
— C'est bon, j'ai saisi. Ce merdeux n'a pas changé depuis le lycée. Pas touche à sa Maxine.
La Californienne me jauge en haussant les sourcils, et je sens le rouge me monter aux joues. Mon rival souffle bruyamment, puis pivote dans l'autre sens.
— Et les carottes c'est censé rendre aimable, pour ta gouverne, achève-t-il.
Enfin, il se volatilise, nous laissant seuls. Maxine me dévisage avec un air amusé. Embarrassé, je passe la main dans mes cheveux. Je repense à toutes les questions restées en suspens entre nous, et m'arme de courage pour enfin lui parler à coeur ouvert.
— Du coup, tu t'installes définitivement ici ? Pourquoi ne pas être restée en Californie ? Avec ton diplôme en architecture, t'as de quoi faire là-bas, non ? D'autant que tes parents n'habitent plus dans le coin.
Quelques secondes de flottement suivent mes propos. Je me mords la lèvre, réalisant que je suis allé un peu fort avec mon interrogatoire. Elle se râcle la gorge, puis le coin de ses lèvres s'arque légèrement.
— A la base, quand ma mère m'a annoncé qu'elle vendait la maison, je venais simplement dans l'intention de faire du tri. Et puis... à peine mon pied posé sur le perron, j'ai compris combien Englewood m'avait manqué.
Nos regards s'accrochent à cette phrase. Ses cils papillonnent. Puis, elle baisse les yeux, porte la bouteille de Budd à sa bouche.
— J'ai beaucoup voyagé ces dernières années, poursuit-elle. Malgré toutes ces nouvelles découvertes, je me sentais comme... éparpillée. Ici, j'ai l'impression de me retrouver. Et puis, quand j'ai vu l'annonce du comté pour un poste d'architecte junior à la rénovation des vieux bâtiments...
— C'était le signe que tu attendais, complété-je.
Elle hoche la tête, et ses boucles couleur de miel balaient ses épaules dorées par le soleil. Je déglutis à la vue de cette peau si douce où je me suis tant abandonné.
— Ry', dis-toi que le maire m'a appelé deux heures après ma candidature. Je commence dès la semaine prochaine par la rénovation du Port Boca, tu te rends compte ? s'exclame-t-elle, les yeux brillants.
Ma mâchoire s'en décroche.
— LE Port Boca ? Mais c'est trop génial, Max !
— Moi-même je n'y crois toujours pas !
— T'inquiète, tu vas assurer, comme toujours. Tu rendras ses lettres de noblesse à ce bon vieux Boca.
Ce phare situé sur la pointe de Gasparilla Island, au Sud d'Englewood, nous a toujours fasciné par son charme immuable. Son architecture de fer forgé et de bois blanchi à la chaux rappelle les maisons coloniales du siècle dernier. Juché sur une dune de sable, il est le refuge des goélands, des lézards, et des tortues de mer.
Port Boca est également le sanctuaire de notre premier baiser. A ce souvenir, des frissons parcourent mon échine. Notre histoire me parait si récente et si lointaine à la fois.
Nous passons le reste de l'après-midi à nous raconter nos vies respectives. Elle, ses études sur la côte Ouest, et moi, mon travail à l'atelier. Bientôt, mon père me confiera les rênes de notre entreprise de location et de réparation de bateaux.
Lorsque Joyce nous annonce que la deuxième partie de la fête nous attend, je ne réalise pas que deux heures se sont envolées.
— Tu viens au Seafood festival, toi aussi ? m'interroge Maxine, jouant avec sa bouteille vide.
Ses iris noisette me sondent tandis que les autres invités commencent à se diriger vers la plage. Je comptais plutôt passer la soirée pépère devant la console, mais il se pourrait que mes plans aient changé.
— Ouais, bien sûr, attesté-je, attrapant une carotte dans ma poche.
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