1. Maxine
— Attention !
Impuissante face à l'impact imminent, je ne peux qu'assister à ma déconfiture. Dans un bruit sourd, la balle de volley frappe mon crâne avant de rebondir sur ma Pina Colada.
Le liquide visqueux s'étale dans mes cheveux et sur mon maillot de bain, puis l'arme du crime roule à mes pieds.
Je me pétrifie sous le choc, mon verre vide à la main et ma dignité six pieds sous terre.
Des rires moqueurs s'élèvent au bord de la piscine, couvrant la salsa ambiante. La colère me monte aux joues et mon sang ne fait qu'un tour.
— Bordel, Riley ! fulminé-je. T'as jamais su lancer une balle !
Le responsable de mon malheur se matérialise sous mes yeux dans son bermuda ridicule imprimé de palmiers. Il se mord la lèvre afin de ne pas éclater de rire.
Je le savais... je savais qu'il finirait par se venger, d'une manière ou d'une autre.
Riley ramasse la balle, puis se baisse à mon niveau.
— Sorry, Machine.
Personne ne m'avait surnommée ainsi depuis plusieurs années. Je rectifie... c'était le seul à employer ce surnom. Des souvenirs indéniables surgissent dans mon esprit. Je les chasse en invectivant mon agresseur.
— Tu l'as fait exprès, espèce de nouille bigleuse ! vociféré-je, essuyant le cocktail qui colle à ma peau.
— Cette couleur te va bien au teint. Bien sûr que je l'ai fait exprès.
Des gifles se perdent. Non. Des coups de pieds dans les pendeloques. Je ferme un instant les paupières, et inspire profondément pour ne pas rentrer dans son jeu. Je ne lui accorderai pas cette satisfaction.
— En effet, mon bronzage est parfait, déclaré-je d'un ton hautain. Maintenant ouste, tu me caches le soleil.
Il fronce les sourcils, reste un instant statique, puis s'assoit sur le transat voisin. Évidemment, monsieur ne peut s'empêcher de faire le contraire de ce qu'on lui demande.
— T'es vraiment devenue méchante depuis ton retour de Californie. Excuse-moi si les gens d'Englewood ne sont pas aussi chics qu'à UCLA*, pérore-t-il, la bouche en cœur.
Je croise les bras, le fustige du regard.
— Sérieux ? C'est toi qui es passif-agressif depuis ce matin. Au lieu de me dire bonjour, t'as dit "hm" !
Le coin de ses lèvres s'arque légèrement tandis qu'il passe la main dans ses cheveux bruns.
— Faut dire que tu paraissais pas très ravie de me revoir. Freddy Kruger aurait eu droit à un meilleur accueil.
Une onde de chaleur traverse ma poitrine. Son air boudeur n'a pas changé. Soudain, la voix grave d'Andrew nous hèle depuis la piscine.
— Holà, les Miley's, on ne voudrait pas gâcher vos retrouvailles larmoyantes, mais on veut jouer, nous !
L'évocation de ce surnom agit comme une machine à retourner dans le temps. Riley se redresse, puis lance la balle en direction de son frère. Elle atterrit indubitablement contre son crâne.
— Strike ! s'exclame-t-il en levant les bras en l'air.
— Put...
Andrew se frotte la tête avant de copieusement insulter son cadet. L'autre glousse comme une dinde à la veille de Thanksgiving.
— Et maintenant, viens que je te défonce la gueule ! le défie le grand dadet.
Riley secoue la tête, puis se rallonge sur son transat.
— Mh, tout compte fait, je resterai bien ici.
Son frère hausse les épaules, désabusé.
— C'est ça, chiffe-molle.
Sur ces entrefaites, le tireur d'élite se tourne vers moi. Ses iris d'un vert profond me sondent, déclenchant aussitôt des frissons dans ma nuque. Eux-aussi représentent un puits de souvenirs inexorables.
Je déglutis, soutiens son regard pour cacher mon trouble. Puis, il se gratte le menton, les épaules affaissées.
— Bon, OK, j'ai merdé. J'aurais dû te saluer au lieu d'agir comme un con.
Surprise, je le dévisage en haussant les sourcils. Ses excuses méritent de briser la glace. Je soupire, puis bascule la tête en arrière.
— D'accord, de mon côté, j'aurais pu partager le dernier toast au saumon au lieu de te feuler dessus comme une lionne enragée.
— Un chaton sous héroïne qui n'a pas mangé depuis le siècle dernier, tu veux dire.
Incontrôlable, un fou rire vrombit de ma gorge. Son humour stupide reste son seul atout.
— Pour enterrer la hache de guerre, je vais te chercher une autre Pina Colada, suggère-t-il.
J'acquiesce, lui tends mon assiette vide.
— Vérifie s'ils ont ravitaillé les toasts au saumon.
Il me jauge avec un sourire mutin, se lève, puis disparait derrière la baie vitrée. J'en profite pour détailler la galaxie nébuleuse tatouée au-dessus de son omoplate droite.
Riley a toujours aimé contempler les étoiles.
Interrompant mes pensées, des bras se glissent soudain sous mes genoux. Avant que je ne réalise leur plan machiavélique, Walter et Jayson me soulèvent. Hilares, ils me portent vers la piscine. Furieuse, je me débats comme un diable. Hélas, malgré toute ma volonté, je ne peux rien contre leurs gros biceps.
— MAXINE ! A L'EAU ! MAXINE ! A L'EAU ! s'époumonent les deux écervelés.
— Lâchez-moi, purée ! C'est pas vrai, tout le monde me déteste ou quoi ? m'écrié-je, gigotant en vain.
— Fais pas ton écrevisse, la Californienne. Ici, on se baigne ! gueule l'un de mes anciens camarades de lycée.
Ils me jettent à l'eau dans une explosion assourdissante. La gravité m'appelle au fond du bassin. Puis, j'émets une impulsion pour remonter à la surface.
Je secoue mes cheveux trempés en les traitant de tous les noms. Ils me rejoignent sans plus tarder, sautant à pieds joints dans la piscine. Nous nous lançons dans une bataille d'eau.
Une bière dans une main et ma Pina Colada dans l'autre, Riley débarque en plein milieu du combat. Il dépose rapidement nos boissons sur une table, puis plonge pour me prêter main forte.
Après une lutte acharnée, nous remportons la guerre. Déchaînés comme jamais, nous les avons achevé à jets de pieds synchronisés. Walter et Jayson capitulent, puis quittent le lieu de leur défaite.
Dans le feu de l'action, je bondis sur Riley, les deux paumes en l'air.
— Miley-Miley champions du monde ! scandé-je.
Décontenancé par notre cri de guerre, il hésite quelques secondes avant de claquer nos mains. Je n'avais pas réalisé cette soudaine proximité de nos visages. Une étincelle étrange brille dans ses pupilles, puis il détourne la tête.
Embarrassée, je m'éloigne aussitôt et entame un dos crawlé.
En cette chaleur caniculaire, la fraîcheur de l'eau me procure un bien fou.
Pour tout avouer, j'aurais bien piqué une tête plus tôt, mais une présence dans le bassin m'en dissuadait. Finalement, je n'ai pas échappé à la fatalité.
— C'est cool que tu sois revenue dans le coin, murmure soudain mon ex meilleur ami.
Je me redresse, à l'affût d'une nouvelle pique. Il me fixe sans ciller, les coudes appuyés sur le rebord en mosaïques multicolores. Seules deux fossettes creusent ses joues, concluant sa phrase.
Les battements de mon coeur s'accélèrent, et je lui réponds par un sourire. Tant de non-dits se sont accumulés entre nous.
— Tout le monde à l'intérieur, les losers ! annonce tout à coup la voix de Joyce, ma meilleure amie et propriétaire des lieux. Je vais souffler mes bougies !
Sauvée par le gong.
*University of California Los Angeles
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