One shot - Une si bonne affaire !

La visite se terminait.

Ils redescendirent le bel escalier droit et se retrouvèrent tous les trois dans la vaste entrée.

- Je ne peux pas dire le contraire, votre maison est magnifique, dit Damien au vieil homme. Mais je maintiens que vous en demandez trop cher. Réfléchissez une nouvelle fois à l'offre que je vous fais.

- Monsieur Carlet, je vous l'ai dit : je suis certes disposé à consentir une baisse sensible du prix affiché, ceci parce que je n'ignore pas que le marché de l'immobilier n'est pas au mieux. Mais vous savez bien, comme moi, que ce que vous m'en proposez représente à peine la moitié de la valeur réelle. Je ne vais tout de même pas vous la donner, cette maison !

Devant la situation, Célia se sentait mal à l'aise et n'osait même plus regarder ce papy qui leur faisait visiter sa villa pour la troisième fois en une semaine.

Vraiment, Damien exagérait.

Il profitait honteusement de la situation dont le vieil homme, trop confiant comme le sont souvent les personnes âgées, s'était imprudemment ouvert lors de leur première entrevue : pour des raisons de santé, il ne pouvait plus habiter seul et il allait partir résider chez son fils au Canada.

Mais auparavant, sauf à la mettre en location avec tous les inconvénients que cela représentait et dont il ne voulait pas, il lui fallait vendre sa maison très rapidement et, du coup, il acceptait de négocier sur le prix.

Au grand dam de son fils qui ne pouvait délaisser ses obligations professionnelles pour venir en France superviser tout cela, il s'était entiché de s'occuper lui-même de la vente au lieu de mandater un agent immobilier.

De là à lui en proposer 200000 euros alors que d'autres, nettement moins bien, se vendaient aux alentours de 420000 euros dans le quartier...

C'était vrai que le marché immobilier n'allait pas bien mais si l'homme n'avait pas été si pressé, il aurait sans aucun doute fini par en tirer au minimum 400000 euros.

Et cela, Damien le savait pertinemment.

- Bien, écoutez, dit-il. Nous allons patienter encore un peu, le temps que vous repensiez à mon offre, Monsieur Mugéo. En ce qui me concerne, je veux bien faire un effort jusqu'à 210000 mais je n'irai pas plus haut.

Le vieil homme le regarda de ses yeux bleu très pâle.

- Vous savez que je suis pressé et vous avez décidé de me faire lanterner, n'est-ce pas ?

- Les affaires sont les affaires, dit Damien d'un ton détaché. Chacun a ses problèmes.

- Savez-vous que j'ai passé presque toute ma vie à trimer pour pouvoir acheter cette villa qui constituait le rêve de ma femme ? J'étais un petit commerçant, je suis désormais veuf et je n'ai qu'une minuscule retraite, aussi lorsque sera venu le moment de me placer en maison spécialisée, je ne veux pas que mon fils soit obligé de payer. Cette maison est mon seul capital et...

- Chacun a ses problèmes, répéta Damien, impitoyable, en lui coupant la parole. Vous avez mon numéro, appelez-moi si vous changez d'avis.

Ils prirent congé.

Le vieil homme en avait les larmes aux yeux.

Une fois dans la voiture, Célia explosa :

- C'est vraiment dégueulasse, ce que tu es en train de faire, Damien. Il y a des limites, quand même !

- Quoi ? Attends, mais c'est une aubaine, ce truc ! Tu ne vois pas que ce vieux grigou nous mène en bateau ? Il est blindé et cherche à nous apitoyer.

- Mais qu'en sais-tu ? Je n'aime pas tes façons de procéder. Cette baraque est absolument superbe, bien placée dans ce quartier calme avec un beau terrain clos, et dans un état impeccable. En plus elle possède une immense cave voûtée enterrée très profond, idéale pour mettre le vin. Elle vaut au moins 420000 euros et tu veux lui en donner 210000 parce qu'il est pressé de la vendre. C'est indécent. Il a déjà fait deux infarctus et souhaite partir le plus vite possible au Canada. Tu pourrais avoir un peu d'humanité !

- Tu n'y connais rien. En affaires, il n'y a pas de place pour les sentiments. Tu seras bien contente si je peux économiser un paquet de fric et qu'on en profite après.

- Le fric, tu n'as que ça dans la tête. Dans la tête et sur tes comptes, d'ailleurs, mais tu n'en as jamais assez. Je reconnais bien là le conseiller bancaire qui a une pierre à la place du coeur. Tu veux que je te dise ? Quand tu es comme ça, tu me dégoutes.

Damien lui jeta un regard noir mais ne répondit pas. Il démarra la grosse BMW et fit crisser le gravier en partant, sans un geste pour le vieil homme qui, depuis le perron de la porte d'entrée, les regardait partir.

Quatre ou cinq jours passèrent et M. Mugéo rappela Damien pour lui annoncer, la mort dans l'âme, qu'il était d'accord pour la vente.

Au prix de 210000 euros.

Damien exultait. Dans sa tête, son don inné pour les affaires avait une nouvelle fois fait merveille pour emporter le morceau.

Et peu importait ce qu'en pensait Célia, elle finirait par oublier.

Il ignorait qu'en réalité, cette bonne affaire était surtout due au fait que le fils de M. Mugéo avait appelé son père afin de le raisonner : très inquiet pour sa santé, il ne voulait pas le savoir en train de s'énerver dans des négociations qui n'étaient plus de son âge et il lui avait fait promettre soit d'accepter la vente sans plus de tergiversations, soit de recourir à une agence qui vendrait la maison plus tard, lorsqu'un acheteur ferait une offre correcte.

L'essentiel, aux yeux du fils de M. Mugéo, était que son père ne vive plus seul dans cette grande maison et vienne habiter au plus vite sous son toit au Canada.

Ainsi, ce n'était pas M. Mugéo qui était pressé de vendre, mais son fils.

Car c'était déjà un miracle que, lors des deux attaques cardiaques qui l'avaient frappé, le vieil homme ait eu la force et la présence d'esprit de déclencher le bip qu'il portait en permanence sur lui et qui donnait immédiatement l'alerte aux services de secours.

Il était hors de question qu'on prenne le risque d'une troisième fois : plus de contrariétés ni d'énervement désormais avait dit le médecin.

Les choses s'enchaînèrent rapidement : passage chez le notaire, signatures et tout fut dit car Damien disposait de l'argent pour payer comptant et n'avait pas même besoin d'emprunter...

Il n'était pas nécessaire d'être très perspicace pour voir que cette transaction arrachait littéralement le coeur de M. Mugéo.

Vendre la maison de sa vie, celle pour laquelle on a épargné pendant 35 ans, celle dans laquelle on a vécu ensuite si longtemps avec son épouse aujourd'hui disparue, n'est pas chose facile.

Surtout à ce prix de voleur...

Son fils en avait de bonnes ! Il s'en fichait, lui, à Montréal !

Il fut convenu que M. Mugéo pourrait libérer la maison sous quinzaine, le temps de régler quelques affaires notamment en ce qui concernait le déménagement de son mobilier dont assez peu rejoindrait le Canada.

Pour le reste, on mettrait tout en garde-meubles et l'on verrait cela plus tard.

Théoriquement, dans trois semaines au maximum il coucherait sous le toit de son fils à Montréal, une autre vie à laquelle il allait falloir s'habituer.

Théoriquement.

Car dans les faits, M. Mugéo ne vit jamais Montréal : quelques jours après que la vente eut été définitivement conclue, le téléphone de Damien sonna.

C'était le notaire.

- Monsieur Carlet, ici Maître De Vries, le notaire.

- Ah, bonjour Maître, que se passe-t-il ? Encore des formalités à régler ? Je croyais que tout était en ordre, dit Damien, faisant les questions et les réponses.

- Non, ce n'est pas cela, Monsieur Carlet. Je vous appelle pour vous annoncer une bien triste nouvelle : M. Mugéo a fait un troisième accident cardiaque. On l'a trouvé ce matin dans sa maison, sans vie. Il n'a cette fois pas eu le temps de déclencher son bip d'alerte...

- Mais cela ne change rien à la vente, elle est conclue et j'ai payé, n'est-ce-pas ?

- Oui, oui, rassurez vous, dit Maître De Vries. Tout est en ordre de ce côté, mais j'ai pensé qu'il était de mon devoir de vous apprendre la chose. Je crois que son fils arrive par un prochain avion. Peut-être aurez-vous à le croiser car la maison n'est pas déménagée de ses meubles et il faudra qu'il s'en occupe.

- Merci de votre sollicitude, Maître. J'espère que cela ne va pas trop repousser mon propre emménagement.

- Ca, je l'ignore, dit prudemment le notaire.

Quelle tuile ! Il ne manquait plus que cela, pensa Damien.

Ce vieux bonhomme aurait pu attendre d'avoir fait déménager ses meubles et d'être au Canada pour casser sa pipe, ça aurait simplifié les choses pour tout le monde !

Le fils Mugéo était un homme énergique et efficace, même dans le chagrin.

Il régla tant les obsèques de son père que le déménagement de la maison de main de maître.

Damien le rencontra alors qu'avec Célia, croyant la place libre, ils venaient faire un tour dans leur nouvelle demeure afin de préparer au mieux leur emménagement : lorsqu'ils arrivèrent, en fin d'après-midi, des agents de nettoyage venaient de finir leur travail et M. Mugéo fils, probablement venu inspecter leur travail, s'apprêtait à partir.

- Bonjour, dit Damien, nous sommes les nouveaux propriétaires. Vous êtes M. Mugéo fils je suppose ? Nous croyions que la maison avait été libérée.

- Bonjour, dit le fils Mugéo. Oui, désormais elle l'est, mais j'ai cru opportun, après le passage des déménageurs, de faire procéder à un bon nettoyage. Je voulais laisser l'endroit propre.

- Ah, merci, c'est aimable de votre part. Vous vivez au Canada je crois, vous repartez prochainement ?

- Oui, car tout est maintenant réglé ici et je ne puis m'absenter trop longtemps à cause de mes activités professionnelles. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle je ne suis pas venu m'occuper personnellement de la vente de cette maison et des formalités précédant la venue de mon père à Montréal. Si j'avais su ce qui l'attendait à l'issue de cela, le pauvre... Toute cette affaire a été prise par le mauvais bout, parce qu'il s'était mis en tête de tout faire seul. Enfin, c'est comme ça et on ne peut pas revenir en arrière. Tant mieux pour vous d'ailleurs...

Damien sursauta et fronça les sourcils.

- Que voulez-vous dire ?

Mugéo le regarda par en dessous :

- Allons, M. Carlet, ne faites pas l'innocent. Vous savez parfaitement que vous avez obtenu ce bien à vil prix grâce aux circonstances. Si mon père avait mis la vente entre les mains d'une agence ou bien que j'aie eu la possibilité de m'en occuper, les choses ne se seraient en aucun cas passées ainsi.

- Je ne vois pas où vous voulez en venir, dit Damien d'un ton péremptoire. Je ne lui ai pas mis un fusil dans le dos pour signer, que je sache...

- Non, c'est certain, il n'est pas mort d'un coup de fusil, dit Mugéo d'un air sinistre.

- Qu'insinuez-vous ? Dites tout de suite que je l'ai poussé dans la tombe !

L'homme le regarda d'un air devenu soudain si mauvais qu'il recula prudemment d'un pas, croyant que l'autre allait le frapper tant il pouvait voir la haine qui émanait de ses yeux bleu pâle, les mêmes que ceux de feu son père.

Mais Mugéo réussit à se contenir. Il fit demi-tour sans un mot, regagna sa voiture de location et partit aussitôt.

- Non mais tu as vu ce mec, avec ses insinuations ? cria Damien.

Célia le regardait avec un sale sourire.

- Admets au moins qu'il n'a pas tout à fait tort, dit-elle.

- Quoi ? Tu ne vas pas cautionner ses conneries ! Vas-y, dis le fond de ta pensée !

- Ce que je pense au fond de moi tu le sais déjà : tu as profité de la situation pour étrangler ce vieux papy avec la vente de sa maison, qui représentait de toute évidence la fierté de sa vie, et ton attitude n'est sûrement pas étrangère à ce qui lui est arrivé ensuite. Il n'y avait qu'à le regarder chez le notaire, il me faisait pitié. Mais toi, ton égoïsme t'empêche de voir les choses. Tu savais qu'il était fragile et tu t'en es foutu. Est-ce que tu te rends compte que tu n'as même pas présenté tes condoléances à son fils ? La seule chose qui t'intéressait était de savoir si la maison était libérée. Quant à ta question de savoir s'il repartait prochainement pour le Canada, ça sentait à peine le mec qui n'en a rien à foutre et qui meuble...

- Tu as fini ?

- Non, j'ai encore une dernière chose à dire : estime toi heureux qu'il ne t'ait pas foutu son poing sur la gueule parce que ce n'est pas passé bien loin.

Damien en resta estomaqué.

Quelle idiote ! Décidément, les affaires et elle, ça faisait deux. Heureusement qu'elle ne bossait pas dans une banque ! se dit-il.

Ils emménagèrent la semaine suivante, un samedi.

Du moins ils firent emménager, car Célia avait exigé que Damien, vu l'argent qu'il avait économisé dans cette affaire au regard du budget initialement envisagé, opte pour une formule complète : pas question de faire les cartons et de se coltiner les meubles.

Il devait être environ 20 heures et ils finissaient d'arranger le salon lorsque la sonnette de la porte d'entrée retentit.

Ils se regardèrent. Qui pouvait bien leur faire une surprise à cette heure-là, le soir de leur emménagement ?

Damien alla ouvrir : il n'y avait personne.

Il sortit pour voir mais la cour était déserte et le portail fermé.

- C'est curieux, dit-il à Célia. Tu as vu entrer quelqu'un dans la cour ?

- Mais non, personne n'est entré. On l'aurait vu, il n'y a pas encore de rideaux. C'est peut-être de l'extérieur du portail qu'on a sonné ?

- Ah non, ce n'est pas du tout la même sonnette je pense. Attends, je vais aller sonner depuis le portail pour vérifier.

Il ressortit, traversa la cour, ouvrit le portail et sonna de l'extérieur.

Effectivement ce n'était pas du tout la même sonnerie que celle de la porte d'entrée.

- En voilà un mystère, dit-il en revenant.

A peine avait-il prononcé ces paroles que la sonnette retentit à nouveau. Célia se pencha aussitôt pour regarder à travers la fenêtre du living.

Il n'y avait personne sur le perron ...

Damien rouvrit la porte à toute vitesse et alla vérifier les alentours, croyant à une blague de gamins, mais la cour était vide et il savait avoir refermé le portail à clé.

- Qu'est-ce que c'est que ce bordel ? gronda-t-il en revenant.

Durant toute la soirée, la sonnette retentit ainsi une bonne douzaine de fois, à intervalles irréguliers, sans que personne ne l'actionne.

Fatigués par cette journée, ils dînèrent rapidement à la cuisine, sursautant à chaque fois que cela sonnait de nouveau.

Devant la perspective de devoir passer la nuit avec ces coups de sonnettes intempestifs, Damien, hors de lui, se mit fiévreusement à la recherche du tableau des fusibles et le découvrit dans le placard de la porte d'entrée, justement.

Les fusibles étaient tous soigneusement identifiés par de petites étiquettes mais il n'en n'existait aucun dédié exclusivement à la sonnette.

Cependant, en tâtonnant, ils finirent, à presque minuit, par identifier celui qui coupait le courant de ce maudit appareil.

La mise hors service du fusible, qui s'effectuait tout simplement en l'abaissant, plongeait dans le noir la partie de la maison avoisinant l'entrée mais tant pis, ça irait pour cette nuit.

Ils se mirent au lit.

Damien, qui d'ordinaire s'endormait en moins de cinq minutes, ne parvenait pas à trouver le sommeil, essayant de s'expliquer ce qui pouvait faire dysfonctionner ainsi cette sonnette.

Il devait y avoir dans le coin une onde magnétique ou quelque chose de similaire qui perturbait le système.

Il se rappelait vaguement avoir lu quelque chose à propos d'un tel phénomène qui se révéla finalement être provoqué par des clés automatiques de voiture.

Quoi qu'il en soit, dès lundi, il ferait venir un électricien pour en avoir le coeur net et mettre un terme à ce problème certes anodin en apparence mais proprement insupportable à vivre.

Soudain, dans son demi-sommeil, il crut entendre une porte grincer.

Cela le réveilla complètement et il tendit l'oreille.

Le grincement recommença, distinctement, comme une vieille porte dont les gonds ne sont pas graissés et qu'on ouvre et ferme.

Décidément, il était dit qu'il ne fermerait pas l'oeil, bon sang !

Il se leva d'un bond et sortit de la chambre, essayant d'identifier d'où venait le grincement qui, subitement, cessa.

Allumant le couloir, il descendit l'escalier jusqu'au living mais ne vit rien de suspect et se recoucha.

Dès qu'il fut dans le lit, le grincement reprit.

Damien tendit l'oreille pour tenter d'identifier, depuis là, l'origine du bruit. On aurait dit que cela venait de cet étage.

Après un moment passé à réfléchir quelles fenêtres se trouvaient au premier, il sauta à nouveau du lit et fila dans le couloir. Le bruit cessa de nouveau.

Il alluma et, ouvrant les pièces une à une, fit le tour de toutes les fenêtres de l'étage pour constater qu'aucune n'était ouverte.

Aussi perplexe que furieux, il éteignit et allait retourner dans la chambre lorsque se produisit un énorme fracas semblant provenir du salon, en bas. Cela évoquait le bruit qu'aurait fait quelqu'un passant à travers une vitre en verre !

Un cambrioleur ? Impossible, il n'aurait pas pu briser ainsi une vitre car les lourds volets-stores étaient hermétiquement fermés.

Depuis le haut de l'escalier, il regarda prudemment en bas : tout était plongé dans le noir complet, pas de lampe électrique suspecte. Il se décida à descendre en faisant le plus doucement possible, tenant la rampe à tâtons dans l'obscurité.

Il n'y avait de toute évidence aucun intrus ici.

Il alluma le living et comprit immédiatement ce qui avait provoqué ce vacarme : un grand tableau sous-verre qu'il avait pourtant solidement fixé au mur en fin d'après-midi, à l'aide d'une perceuse en posant une grosse cheville, s'était décroché tout seul et, dans sa chute, avait atterri sur la table basse du salon, elle aussi en verre.

Tout était brisé : le plateau de la table de salon et le sous-verre du tableau. Mais, pire, la lithographie que protégeait le sous-verre s'était déchirée !

Une lithographie de Dali qu'il adorait. Il avait dû la payer au moins 4000 euros ! Elle était fichue.

Subitement, il crut sentir une présence et se figea, tous ses sens en éveil. Il y avait quelqu'un dans cette pièce, il l'aurait juré.

Et puis non, finalement il ne sentait plus rien.

Il décida de retourner se coucher. Il n'y avait rien à faire pour sauver la lithographie, on verrait pour balayer tout ce cirque demain matin.

Ah ça commençait bien dans cette maison !

Il remonta l'escalier et éteignit avant de franchir le couloir menant à la chambre.

Au moment d'entrer, dans la pénombre il rentra dans quelqu'un et un hurlement de terreur lui vrilla les oreilles.

Il s'immobilisa, le coeur battant à tout rompre, et mit quelques secondes à réaliser avant d'allumer le couloir : c'était Célia.

Elle se tenait debout, tétanisée de peur, les mains cachant son visage, dans l'encadrement de la porte de chambre.

- Mais, qu'est-ce qui te prend de hurler comme ça ? Tu es folle ou quoi ? lui cria-t-il.

Elle était livide de peur.

- Je...j'ai entendu du bruit, j'ai eu peur, tu n'étais plus dans le lit. J'ai voulu...

- Bon Dieu mais tu ne pouvais pas allumer, merde ?

- Et toi ? Pourquoi marches-tu dans le noir ? éructa-t-elle.

- Je ne voulais pas te réveiller. Il y a eu un incident là en bas. Ma litho de Dali est foutue. Le sous-verre s'est décroché du mur et s'est fracassé sur la table du salon. Putain, il est plus de trois heures du matin, allons nous recoucher, je n'en peux plus, ça me rend dingue ces conneries.

- Mais quelles conneries ?

- D'abord cette sonnette de merde, après il y a eu un grincement alors que j'étais dans le lit et pendant que je cherchais d'où il venait, la litho.

Ils se remirent au lit.

Célia se rendormit très rapidement mais la nuit de Damien semblait gâchée.

Il était là, étendu sur le dos à réfléchir à tous ces incidents lorsque, de nouveau, il sentit une présence dans la chambre. Comme un très léger souffle d'air dans des rideaux, là, au pied du lit.

Quelqu'un le regardait, il en était sûr.

Il approcha tout doucement sa main de l'interrupteur de la lampe de chevet et, d'un seul coup, alluma et se redressa dans le lit comme un ressort.

Célia, réveillée en sursaut, le regarda, les yeux dans le vide.

Il n'y avait personne au bout du lit, personne dans la chambre. La sensation de présence s'était évanouie.

- Que se passe-t-il encore ? demanda Célia.

- Il y avait quelqu'un là, au bout du lit, je l'ai senti clairement, souffla-il, hagard.

- Mais tu as fait un cauchemar...

- Non, fous-moi la paix avec tes explications ! Je ne dormais pas ! Il y avait quelqu'un ici ! hurla-t-il.

- Oula, il va falloir que tu te calmes, Damien, tu devrais prendre un anxiolytique... Bon, on peut éteindre ? Parce que j'ai sommeil, moi.

- Tu t'en fous de ce que je te dis hein, c'est ça ? Il y avait quelqu'un !

- Mais oui, le fantôme de Mugéo qui te hante, dit Célia. Mon pauvre Damien, c'est ta conscience qui te travaille !

- Pffffff, c'est malin. Ah on peut compter sur toi !

Damien éteignit le chevet. Et se rallongea sur le dos, les yeux fixés sur le plafond dans l'obscurité.

Célia ne tarda pas à se rendormir. En tout cas, elle, ça ne la perturbait guère, se dit-il. Un fantôme, sa conscience, quelles foutaises. Une baraque merdique, oui !

Il resta ainsi pendant près d'une heure, sans qu'il ne se passe plus rien.

Et d'un seul coup, de nouveau, le souffle d 'une présence devant lui, entre le bout du lit et le mur.

Il écarquilla les yeux et crut cette fois distinguer comme une sorte de silhouette floue dans le noir, les contours d'un vieil homme.

Le vieux Mugéo !

Il se mit à grelotter dans son lit, inondé par la sueur.

Il se demandait s'il allait rallumer la lampe lorsqu'un bruit ininterrompu se mit à retentir dans sa tête. Un bruit similaire à celui d'une meuleuse électrique mais considérablement assourdi.

Cette fois cela venait clairement du bas.

C'était à devenir fou, ici, pensa-t-il.

Il rejeta les draps, se leva et descendit au rez de chaussée en allumant toutes les lumières sur son passage. Le bruit dans sa tête devenait de plus en plus fort.

Cela émanait de la cave, semblait-il.

Il ouvrit la lourde porte et aperçut les premières marches de l'escalier de pierre qui s'enfonçait profondément sous terre et disparaissait dans l'obscurité de la cave.

Où pouvait bien se trouver l'interrupteur ? La tête embrumée, il voulut descendre sur la première des marches pour tenter de trouver ce bouton et sentit qu'il trébuchait.

Sa dernière pensée consciente, avant de dévaler lourdement les vingt-huit marches aux arêtes coupantes fut qu'on lui avait fait un croche-pied.

Au matin, Célia, inquiète de ne pas le voir, fouilla toute la maison.

Elle finit par retrouver le corps de Damien dans la cave, affreusement disloqué, gisant sur le dos les yeux grand ouverts au pied de l'escalier.

Il s'était rompu les os mais, surtout, on apercevait une horrible plaie dans son cuir chevelu, d'où s'était échappé en abondance le sang qui formait comme un petit tapis rouge sous sa tête.



L'enquête qui suivit ne parvint pas à déterminer clairement comment il avait pu chuter là dedans en pleine nuit.

Ni qui avait bien pu refermer la porte de la cave derrière lui.

__________

FIN

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