One shot - Le trou


- C'est encore loin ? demanda Julien.

- Non, nous sommes presque arrivés, dit Benjamin. Tu vas voir ça. T'as jamais vu un sapin aussi gros de ta vie, je parie.

Les deux gosses s'enfonçaient dans le bois depuis un moment, précédés par le chien de Julien, un petit Jack Russell qui, tel un éclaireur, les devançait en furetant partout.

- Il ne faudrait pas qu'on se perde, dit Julien, nous ne sommes jamais venus aussi loin.

- Mais non, ne t'inquiète pas, j'ai repéré la direction. C'est justement parce que personne ne vient jusque là que ce sapin n'est pas connu. Moi je l'ai vu l'autre fois quand on est venus aux champignons avec mon père.


A peine eut-il fini sa phrase que le chien disparut dans le sol avec un couinement aigu.

- Ben, Rusty ! Il a disparu ! Rusty ! Rusty ! cria Julien.

- Il a dû tomber dans un trou, je le voyais et soudain, piouf, plus rien !

Ils accoururent vers l'endroit où avait disparu l'animal.


De prime abord on ne voyait rien, mais à y regarder de plus près, de la végétation dissimulait partiellement une anfractuosité de belle taille, bien assez grande pour laisser largement passer un homme.

Ils se mirent à genoux au bord du trou et essayèrent de distinguer s'il était profond. A un peu plus de deux mètres, là au fond, Rusty se mit à aboyer en essayant de sauter dans leur direction.

Apparemment il était indemne mais se trouvait piégé au fond de cette fosse.

- Mince, nous voilà bien, il est coincé là en bas !

- Attends, pas de panique, ce n'est guère profond, je vais descendre le chercher, dit Benjamin.

- Et si tu restes coincé aussi ?

- Mais non, regarde les parois, je peux remonter facilement !


Il se retourna, se mit à genoux et laissa pendre ses jambes dans le trou, se retenant au bord par les bras, puis descendit sans mal, essayant de ne pas atterrir sur Rusty.

Une fois en bas, il jeta un coup d'œil circulaire.

- Wouah, il y a une espèce de galerie qui part par là ! dit-il à Julien en montrant avec son bras.

- Quoi, une galerie ? C'est profond ? demanda celui-ci.

Benjamin fit deux ou trois pas et disparut sous terre, suivi par le chien frétillant de la queue. Le bord de l'excavation les masquait désormais à Julien.

- Hé, fais gaffe ! Ne vas pas tomber encore plus bas ! T'y vois quelque chose là-dessous ? s'inquiéta Julien.

- Non, pas trop ! Mais ça a l'air profond, je n'aperçois pas le fond. Il fait noir et ça caille ! répondit la voix étouffée.


Il réapparut aux yeux de Julien.

- Il y a des trucs au fond de la caverne mais je ne vois pas bien ce que c'est. J'ose pas trop y aller, il fait trop sombre et le sol n'est pas plat. Et puis, c'est plein de gros cailloux on dirait. Il faudrait une lampe.

Il empoigna le chien, le mit sur sa poitrine, dans sa veste de survêtement qu'il ferma à demi et remonta aisément du trou, aidé par Julien qui l'agrippait par la main.


- Je me demande vraiment ce qu'il y a de planqué là-dessous. Si on revenait demain avec une lampe ? demanda Benjamin.

- Ouais, mon père a une maglite comme les flics, elle éclaire super bien. Je vais lui piquer et on reviendra voir. Mais pas un mot aux parents en rentrant sinon ils vont nous faire chier. Et demain on ne ramène pas Rusty car il va faire le cirque ici à aboyer autour du trou pendant qu'on sera descendus.

- T'as raison. Allez viens, on va quand même voir le sapin, il est juste derrière ce bosquet. D'ailleurs regarde, on voit le dessus.


Le sapin était effectivement à deux pas.

Un véritable géant de la forêt.

Le tronc, à la base, devait bien mesurer au moins 6 ou 7 mètres de circonférence. Quant à sa hauteur totale, depuis le sol, avec les arbres environnants, on n'arrivait même pas à en voir le sommet.

- T'as vu, dit Benjamin, je n'avais pas menti, c'est un colosse, sûrement le plus gros sapin de la forêt.

- Certainement, oui. Que crois-tu qu'il a y dans la caverne ? demanda Julien qui pensait désormais plus à la cavité découverte accidentellement par son chien qu'à cet arbre pourtant remarquable.

- Ca te tracasse, avoue.

- Bah oui, et si c'était un truc genre préhistorique ? Des carcasses d'ours ou de mammouths !

- Ah ah ah, et ils seraient rentrés par cette petite faille, tes mammouths ?

- Ah ouais, t'as raison...


Ils rentrèrent à la maison, impatients de revenir le lendemain.

C'étaient les vacances scolaires.

Pourvu qu'il ne pleuve pas, afin qu'on ne s'étonne pas de les voir partir dans les bois par mauvais temps !

Ni l'un ni l'autre ne pipèrent mot à leurs parents, comme ils en avaient convenu : les parents sont toujours inquiets pour tout et n'importe quoi et auraient été capables de leur interdire de visiter ce trou, ou bien, au mieux, d'exiger de les accompagner, repoussant sans doute ainsi l'exploration à la Saint Glinglin...


Le lendemain matin, il faisait très beau.

Ils se hâtèrent dans la forêt. Cela représentait tout de même une belle trotte depuis l'orée du bois jusqu'à l'anfractuosité.

Julien serrait dans sa poche la petite lampe puissante qu'il avait subtilisée discrètement dans l'atelier de son père. Il avait vérifié, les piles étaient bonnes.


Arrivés sur place, il descendirent chacun leur tour dans le trou en s'aidant mutuellement. Là où était tombé Rusty, le sol était meuble, ce qui amortissait l'atterrissage et expliquait que le chien ne se soit pas blessé.

Julien sortit la lampe et ils s'avancèrent dans la galerie qui faisait un coude. Comme l'avait distingué Benjamin, de gros rochers encombraient partiellement l'accès mais il n'était toutefois pas bien difficile de cheminer entre eux avec l'aide de cet éclairage puissant.

L'endroit était un peu surréaliste, notamment parce que de grosses racines pendaient du « plafond » : les arbres de la surface.

Il ne faisait pas chaud là-dessous mais, curieusement, on aurait pu s'attendre à plus d'humidité.


Après avoir parcouru une dizaine de pas et franchi le coude, ils virent, incrédules, dans le faisceau de la lampe, des caisses de bois posées le long de la paroi de gauche sur des bâches en plastique vert recouvrant le sol.

La caverne se poursuivait encore après, sur une vingtaine de mètres, mais on distinguait qu'elle se terminait ensuite en cul de sac.

Ils se regardèrent.


Benjamin prit la lampe des mains de son copain et se mit à éclairer les caisses de plus près.

Instantanément, malgré ses douze ans, il comprit, en voyant un signe caractéristique sur l'une d'elles : l'aigle du IIIème Reich !

Certaines comportaient des inscriptions pochées à la peinture blanche en allemand. Sur plusieurs on lisait notamment le mot « Sprengstoffe ».

Totalement incompréhensible pour eux.

L'une, plus petite, portait sur le côté la sinistre croix gammée.


- Putain, du matériel de guerre allemand ! dit Benjamin, médusé.

- Ouais, c'est des trucs que les boches ont planqué là pendant la guerre ! Qu'est-ce qu'il y a là dedans ?

- Il nous faudrait une pince, un outil quelconque pour les ouvrir, dit Benjamin.


Il promena le faisceau de la maglite autour d'eux, en direction du sol, et finit par aviser une grosse pierre toute plate qu'il alla ramasser.

- On va essayer d'ouvrir cette petite là qui a la croix gammée, dit-il. Regarde, le fermoir est tout rouillé, ça ne doit pas être bien solide. Tiens moi la lampe pendant que je tape.


Il se mit à cogner. Le bruit sourd des coups résonnait dans le fond de la caverne et soudain, cela fit un cliquetis métallique. Le fermoir avait sauté.

Précautionneusement, Benjamin ouvrit le couvercle : des boîtes de munitions. Par dizaines.

- S'il y a des munitions, il doit y avoir des flingues, dit-il.


Ils fouillèrent la caisse, retirant des tas de boîtes de balles, mais il n'y avait pas d'arme servant à les tirer.

- Ouvrons une plus grosse. Tiens, celle qui a l'aigle, là.


Ils réitérèrent la même opération, avec la pierre plate, et le fermoir ne résista pas plus longtemps que l'autre : la corrosion avait effectivement fait son œuvre au cours des années.

- Des grenades à manche ! s'exclama Benjamin.

Il y en avait une grande quantité, rangées tête bêche dans la caisse, soigneusement calées par des sortes d'alvéoles en espèce de carton, un peu comme les boîtes dont on se sert pour vendre les œufs au supermarché. Le tout semblait en bon état.

Ils ouvrirent encore trois caisses de la même façon, à l'aide de ce marteau improvisé : l'une était rigoureusement identique à celle qu'ils venaient de forcer et contenait encore des grenades ; la suivante était pleine de lourds fusils de guerre. Visiblement, les munitions découvertes en premier ne correspondaient pas à ces fusils.

La troisième caisse était, elle aussi, remplie de boîtes de munitions mais au dessus se trouvaient quatre sacs en fort plastique translucide, remplis d'une substance blanchâtre ressemblant à du saindoux.


Julien saisit l'un de ces sacs et appuya dessus.

- Il y a quelque chose de dur là dedans on dirait, noyé dans cette graisse.

Benjamin lui tendit son canif.

Julien incisa minutieusement la pochette. Puis il appuya doucement dessus et un gros paquet de graisse tomba sur le sol terreux, laissant entrevoir ce que contenait la pochette : un pistolet.

Il en prit une autre : pareil.

Et cette fois, les munitions correspondaient aux pistolets.


Benjamin trouva un chiffon huileux dans l'une des caisses déjà ouvertes et essuya comme il put les deux armes.

- Pfiouuu ! siffla-t-il. Mate moi ça. Des Lugers !

- Des quoi ?

- Des Lugers de l'armée allemande. Sacrés flingues. T'en as jamais vu dans les films ? Regarde les munitions : il y a écrit 9 mm parabellum. Les balles vont dedans. Attends, tu vas voir.


Il appuya sur un bouton sous le talon de la crosse du Luger et le chargeur tomba dans sa main. Puis, ouvrant une boîte de munitions, il le remplit : 8 balles.

Julien le regardait faire.

- Tu crois qu'ils marchent encore ? demanda celui-ci. Fais gaffe quand même !

- Attends, ils étaient noyés dans la graisse, pas un poil de rouille. Si les munitions n'ont pas pris l'eau, ya pas de raison. On va le savoir tout de suite.

- Fais pas le con, hein, dit Julien d'une voix blanche.


Pour toute réponse, Benjamin tendit le bras et visa en direction de la lumière, vers la sortie de la caverne.

Il appuya sur la queue de détente. Rien ne se passa. La détente était bloquée.

- Tiens, tu vois, dit Julien, ils sont foutus ces flingues.

- Chut, fit Benjamin en montrant de l'index gauche l'arrière du pistolet. J'ai juste oublié d'enlever le cran de sûreté.


Il fit légèrement jouer le petit levier et tendit de nouveau le bras en direction de la sortie de la caverne.

Cette fois, le coup partit. La détonation fut assourdissante et une odeur de poudre leur monta aux narines. Ils entendirent distinctement la balle siffler en traversant le couloir pierreux.

- Putain, t'as vu ça ! C'est du lourd, hein, dit fièrement Benjamin.


Il visa de nouveau la sortie et tira deux balles coup sur coup.

Julien se boucha les oreilles. Quel vacarme épouvantable !

- On risque pas de nous entendre du village ? demanda-t-il.

- Penses-tu ! On est beaucoup trop loin, et en plus on est en sous-sol. Même si on faisait péter une grenade là haut dessus, personne n'entendrait. Tiens, vas-y, essaie, dit-il en passant le Luger à Julien.


Celui-ci visa en direction de l'entrée d'où venait la lumière, comme l'avait fait Benjamin et tira.

Pan ! Pan ! Pan ! Trois fois de suite.

Quelle sensation !


Puis, s'enhardissant, il saisit avec précaution l'une des grenades à manche et la regarda sous toutes les coutures.

- Tu sais comment ça marche ce truc ? demanda-t-il.

Sans rien dire, Benjamin lui enleva la grenade des mains et montra le bout du manche.

- On dévisse ici, et dedans il y a une ficelle. On tire la ficelle et là il faut vite balourder la grenade car elle pète après 5 secondes. Tu vois, avec le manche, on peut la jeter super loin. Si on en essayait une dehors ?

- T'es cinglé, c'est dangereux ! Et puis si ça pète trop fort, là on nous entendra du village.

- Je te dis que non. On est beaucoup trop loin. A la limite, ils croiront que ce sont des chasseurs. Allez, amène toi avec la grenade, on va ressortir du trou.


Julien le suivit un peu à contrecoeur. Benjamin paraissait surexcité.

Ils émergèrent de l'excavation et s'éloignèrent de quelques pas.

- A toi, dit Julien en passant la grenade à son pote.

- Ah ah, t'as les fouettes hein !


Benjamin lui fit signe de s'accroupir.

Il dévissa lentement l'embout de sécurité. Une cordelette sortit au bout du manche.

- T'es prêt ? demanda-t-il à Julien qui n'en menait pas large.

- Ouais, vas-y.

Il se boucha les oreilles avec ses deux mains.


Benjamin tira d'un coup sec sur la ficelle et lanca la grenade aussitôt, le plus loin qu'il le put, dans une espèce de ravin.

Ils comptèrent tous deux mentalement : un, deux, trois, quatre, cinq.

L'engin explosa dans une détonation fracassante, projetant des petits morceaux de feuilles un peu partout. Les deux enfants étaient assez loin et ne reçurent aucune projection : c'est que Benjamin avait parfaitement lancé la grenade.

- La vache ! Trop bien !

- Ouais ! Viens, on va en rechercher d'autres. Ca va péter mon colonel, dit Benjamin en imitant la voix de Rambo.


Ils redescendirent en vitesse dans le trou et foncèrent vers les caisses de grenades.

Le Luger était posé sur l'une d'elles, là où l'avait laissé Julien tout à l'heure.

Il restait deux balles dans le chargeur.

Julien s'en empara et visa cette fois le mur du fond de la grotte, le cul de sac.


Mais dans le noir, même avec le faisceau de la lampe, ni l'un ni l'autre n'avaient réalisé que la paroi n'était pas plane.

Julien tira une seule balle et ils n'eurent pas le temps de comprendre ce qui se passa : en un millième de seconde, le projectile frappa la paroi de biais, ricocha, revint heurter une des parois latérales et ricocha de nouveau vers le sol cette fois, frappant l'une des caisses de grenades.


La déflagration fut d'une violence inouïe : toutes les grenades entreposées là, ainsi que les munitions, explosèrent en même temps, désintégrant la caverne.

Les deux enfants ne se virent pas mourir, littéralement pulvérisés.


Le souffle effondra l'anfractuosité, condamnant à jamais l'entrée du trou.


Ne voyant pas revenir Julien et Benjamin, les parents déclenchèrent l'alerte et l'on mena des recherches acharnées pendant plus d'une semaine, battant le bois de fond en comble.

En vain.


Rusty, emmené pour l'occasion dans l'espoir qu'il retrouverait son jeune maître, passa à plusieurs reprises, sans le trouver, au dessus du trou cette fois obturé où gisaient les restes des deux enfants.


On ne les retrouva jamais.



__________


FIN









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