One shot - Jurassic Jack

- Pffffiou, tu commences à l'avoir vachement bien en mains ! dit Louis en écarquillant les yeux.

Le drône multirotors évoluait à toute vitesse à 15 mètres du sol, là au milieu de la prairie.

Cédric faisait visiblement ce qu'il voulait de cet engin, multipliant les flips, les loopings, partant à fond, s'arrêtant net pour un instant de vol stationnaire, tournoyant sur lui-même puis redémarrant de plus belle pour une folle ligne droite.

On aurait dit un énorme bourdon lui obéissant au doigt et à l'oeil.

- Tu sais, ce n'est pas bien difficile à piloter, il est super stable avec ses 5 hélices. Il suffit juste de bien comprendre que quand il revient vers toi, les commandes sont inversées : si tu veux qu'il aille à droite, il faut pousser la manette à gauche, et vice versa.

- N'empêche, il va bien. Et les images de sa caméra sont drôlement nettes !

Louis regardait alternativement l'appareil en l'air et l'écran installé juste au dessus du petit poste de commande que Cédric avait entre les mains. Les images retransmises en couleur étaient vraiment d'une netteté incroyable.

Les parents de Cédric ne s'étaient pas moqués de lui avec ce magnifique cadeau d'anniversaire offert pour ses onze ans.

- Tu veux l'essayer ? demanda soudain Cédric.

- Heu, je n'ai pas ton habitude. Si je le plante ?

- Mais non, tu vas faire gaffe. Juste, si tu ne te sens pas trop à l'aise, ne va pas au-dessus de la forêt là-bas. Ni, surtout, au-dessus du parc du vieux con, dit Cédric en désignant d'un geste du menton la propriété voisine qui était close par un haut mur crépi.

La prairie où ils se trouvaient était située à la sortie du village.

Bordée d'un côté par un grand bois et de l'autre par l'immense propriété du vieux Jack, une sorte d'excentrique qui ne parlait à peu près à personne, elle se terminait au fond par un champ labouré s'étendant à perte de vue.

Cédric fit revenir l'appareil qui se posa en douceur à ses pieds. Puis il passa par dessus sa tête la courroie retenant le poste de contrôle pendu à son cou et le tendit à Louis.

Louis fit à son tour passer la courroie derrière sa nuque, mit les gaz et l'appareil redécolla aussitôt dans un vrombissement d'insecte, en hésitant cette fois sur la direction à prendre.

Il lui fit faire quelques manœuvres de base afin de se familiariser.

Même s'il n'était de toute façon pas novice, pour avoir déjà piloté pendant des heures le même genre d'appareil, version miniature, dans la maison de ses parents.

Au bout de trois minutes, il commença à s'enhardir, tentant quelques figures et, à un moment, il s'en fallut de peu qu'au sortir d'un flip exécuté un peu trop bas, il ne percute le sol.

Il préféra rendre sagement le joujou à son ami avant de le lui casser...

- Tu m'as fait peur, lui dit Cédric en riant. Pour un peu tu te mangeais les taupinières ! Il faut prendre plus d'altitude pour les figures. Le vol en rase mottes, c'est bon quand on veut filmer quelque chose de près. Tu vas voir.

Il fit un clin d'oeil à Louis et redécolla l'engin en le dirigeant vers le mur de la propriété.

Louis le regarda d'un air incrédule.

- Que fais-tu, tu es fou ? Tu ne vas pas aller au-dessus de la propriété ? Suppose qu'il y ait une panne de batterie ou je ne sais pas quoi, on perdra le drône ! Ca fait déjà un moment qu'on vole...

- Ne t'inquiète pas, il y a encore au moins 10 minutes d'autonomie. On va mater ce qu'il planque dans sa tanière ce vieux cinglé !

Le multirotors atteignit le mur du parc en un clin d'oeil. Cédric l'arrêta, en vol stationnaire, sous les yeux médusés de Louis.

Ils croyaient l'engin en suspension au dessus du mur mais la perspective les trompait et il se trouvait, en réalité, au dessus du parc, ayant franchi le mur d'au moins deux ou trois mètres.

La caméra filmait.

Apparurent alors sur l'écran des images très nettes de l'intérieur de la propriété : on voyait la maison dont la façade visible était en grande partie vitrée.

Le vieux Jack se tenait debout, le dos à la maison, et faisait des gestes saccadés avec ses mains, à hauteur de son ventre, semblant haranguer quelqu'un qui se trouvait dans l'angle mort sous le drône et que la caméra ne pouvait ainsi filmer.

Cédric fit monter légèrement l'engin et déplaça l'angle de la caméra.

Et soudain ils virent, incrédules, ce que le vieux invectivait : deux créatures que, pour avoir vu le film Jurassic Park, les deux gamins identifièrent immédiatement.

Des dinosaures. Très exactement, de dangereux vélociraptors !

Les deux créatures se déplaçaient lourdement en sautillant devant l'homme, sur la pelouse en friche, semblant lui obéir comme des chiens. Il les dressait !

Louis faillit tomber en arrière. Des dinosaures ! Le vieux Jack possédait des dinosaures ! Et il les commandait !

Cédric paraissait tétanisé par les images qu'il voyait.

- Fais revenir le drône en vitesse ! lui cria Louis, essayant de ramener son copain au pilotage de l'engin.

Le drône monta d'un mètre et le vieux Jack entra de nouveau dans le champ de la caméra.

Mais cette fois il tenait un fusil de chasse et visait l'appareil.

Avant que Cédric n'ait le temps de commander quoi que ce soit de plus à l'engin, ils entendirent une détonation puissante.

En une fraction de seconde, ils virent, là-bas, les hélices voler en éclats. Des débris montèrent en l'air dans un nuage de fumée et les restes du drône disparurent derrière le mur.

L'écran du poste de contrôle était devenu tout noir.

Les deux gosses se regardèrent.

- Tu as vu comme moi ? demanda Cédric.

- Ben, j'en ai la chair de poule. C'étaient des raptors ?

- Oui. Le vieux cache des dinosaures dans sa propriété. Et en plus il les contrôle, tu as vu ? Qu'est-ce qu'il va foutre avec ça ?

- Ca, pour voir, j'ai vu ! Mais merde, le drône ? Il a flingué ton drône.

- Oh mais ta gueule, le drône on s'en tape. C'est pas ça qui est important !

- Quoi ?

- Le drône, on s'en fout, mais il va savoir qu'on l'a vu, qu'on a vu son secret ! Tu te rends compte ?

- Pffff, s'il voit qu'il y a une caméra sur les débris tombés chez lui, il saura juste qu'on l'a filmé, mais il ne sait pas que c'est nous. Barrons-nous en vitesse avant qu'il sorte nous flinguer à notre tour  !

Cédric le regarda et lui dit d'une voix blanche :

- J'avais écrit mon nom, mon prénom, mon adresse et mon numéro de téléphone sur une étiquette collée sous le canopy, au cas où le drône se perdrait et que quelqu'un le retrouve...

Pris de panique, ils se mirent à courir comme des dératés en direction du village, le poste de radiocommande brinquebalant autour du cou de Cédric.

Arrivés près de l'ancien lavoir, il s'assirent un instant, rassurés d'être parvenus déjà là sans que le vieux ne leur ait tiré dessus.

- Voilà pourquoi il ne laisse jamais entrer personne chez lui, dit Louis. Tu parles !

- Oui. Mon père m'avait dit que c'était un savant. Comment crois-tu qu'il a fait pour créer ces monstres ?

- J'en sais rien. Sûrement avec de l'ADN qu'il a trouvé. Et en plus, nous n'en avons vu que deux mais si ça se trouve, il en a d'autres, et même des plus gros. Tu ne vois pas qu'il ait un T-Rex ?

- Non, un T-Rex c'est trop gros, dit Cédric. On le verrait dépasser au dessus du mur.

- Qu'est-ce que tu vas dire à ton père, pour le drône ?

- Je ne sais pas. Il m'a fait promettre au moins dix fois, avant de me l'acheter, de ne jamais le faire voler au dessus d'une habitation. Il dit que c'est interdit et qu'on risque de gros ennuis à filmer les gens. Me vlà joli !

- Tu n'as qu'à dire qu'il y a eu une panne de commandes et que le drône est parti au dessus de la forêt, qu'il est tombé dans les arbres et qu'on ne l'a pas retrouvé !

Cédric réfléchit un instant.

- Oui, bonne idée. De toute façon, ce n'est pas le vieux Jack qui va venir gueuler, avec ce qu'il magouille chez lui, il ne doit pas tenir à ce que ça se sache !

- Et s'il essaie de nous retrouver pour nous faire taire ? dit Louis.

Il eut à peine le temps de finir sa phrase : là-bas, à cent mètres, le vieux Jack arrivait en courant dans leur direction.

Il portait en bandoulière un sac en tissu, sans doute pour cacher le fusil.

Ils en savaient trop. Il allait les flinguer !

- Hep là, vous deux ! cria-t-il. Attendez voir !

Ils prirent leurs jambes à leur cou, détalant comme des lièvres en direction de la maison des parents de Louis.

Ceux-ci s'étaient absentés, comme souvent le samedi après-midi.

Hors d'haleine, ils s'enfermèrent à clé dans la chambre de Louis.

- On s'est fourrés dans une sacrée merde, dit celui-ci.

- Oui. Et encore, toi tu t'en fous, il n'a pas tes coordonnées. Ce sont les miennes qui sont sur la carcasse du drône.

Louis le regarda droit dans les yeux et lui dit d'un air solennel :

- Tu ne crois tout de même pas que je vais t'abandonner ?

Cédric sourit et lui tapa sur l'épaule.

- T'es un vrai pote toi. Il faut que j'arrive à rentrer chez moi avant que le vieux me trouve. Il n'osera pas tuer tout le monde, pas mes parents ! Tant pis, il vaut mieux dire la vérité à mon père.

- Tu as raison. Je t'accompagne. On n'a qu'à faire le tour par derrière, par la ruelle. On fera attention. Si on arrive chez toi, on sera sauvés, dit Louis.

- Oui, et s'il lâche les raptors après nous ?

Ils se regardèrent, terrorisés.

- Allons-y avant que le soir arrive, souffla Cédric. Si la nuit tombe, je suis foutu.

Ils sortirent avec mille précautions, regardant partout.

Pas trace du vieux.

Ils firent le tour du village pour arriver par derrière à la maison des parents de Cédric, comme l'avait suggéré Louis.

Le cœur battant la chamade, ils entrèrent à pas de loup par le petit portail du jardin et le verrouillèrent derrière eux.

- Sauvés ! dit Cédric.

Entrant dans la maison, ils entendirent des voix et pénétrèrent dans la salle à manger.

Le père de Cédric était assis en compagnie du vieux Jack et ils riaient tous les deux de bon cœur, un verre devant eux. Le sac du vieux était posé sur la table, à moitié ouvert. Les restes du drône en dépassaient.

- Ah, voilà nos deux espions ! s'exclama le père de Cédric.

Cédric avala péniblement sa salive et dit :

- Papa, Louis et moi, nous avons quelque chose à te dire.

- Oh ce n'est pas la peine, dit le père, je suis au courant de toute l'affaire.

- Hein, mais alors...

- Allez, asseyez-vous, ton compère et toi, coupa-t-il. Monsieur Bonher va vous expliquer, il le fera mieux que moi.

Le vieux Jack s'éclaircit la voix et dit :

- Alors, comme ça vous avez vu mes raptors ?

- Mais...

Le père de Cédric lui fit signe de se taire.

- Ils sont si bien imités que vous y avez cru hein, avouez. Au moins ça me fait plaisir, cela signifie qu'ils sont réalistes, mes robots. Ils m'ont été commandés il y a plus de 6 mois par un parc d'atttractions qui va ouvrir en région parisienne. Je suis à la retraite désormais, mais comme j'ai été ingénieur toute ma vie dans le secteur de la robotique...

- Mais alors, ce sont des faux raptors ?

Louis et Cédric n'en revenaient pas.

- Oui, évidemment, dit le père de Cédric. Mais vous, vous êtes de vrais garçons désobéissants. Qu'avais-je dit pour le drône ? Tu avais promis, Cédric. Je vois une fois de plus qu'on ne peut pas te faire confiance...

Il regarda sévèrement Cédric.

- Je sais papa, j'avais promis. Mais j'ai voulu faire le malin et montrer à Louis et puis...

- Allez, ça va, n'en parlons plus. Tu seras déjà bien puni que ton cadeau d'anniversaire soit en miettes. Ne compte pas sur moi pour un autre cadeau. Tu attendras l'an prochain, tes 12 ans, ça te servira de leçon.

- Hum, oui, tu m'excuseras, mon garçon, dit le vieux, j'ai cru qu'on m'espionnait. Tu vois bien, un drône avec une caméra alors que je faisais mes essais. Toute ma vie j'ai travaillé dans la psychose de l'espionnage industriel. J'ai vu rouge, j'ai sorti mon fusil et tiré sur ton engin sans réfléchir...

- Ce n'est pas grave, Monsieur, c'est de ma faute, dit piteusement Cédric, soulagé de s'en tirer aussi bien.

- Allons, je vous laisse. Je dois aller donner à manger à mes vélociraptors, ils doivent m'attendre, ils ont faim, dit-il en faisant un clin d'oeil.

Le père de Cédric éclata de rire.

- Au plaisir, dit-il au vieux Jack. Avec toutes mes excuses encore pour ces garnements.

- Je vous en prie, dit Jack, n'en parlons plus, l'incident est clos. Je vous laisse ce vieux sac qui ne vaut plus rien dans lequel j'ai jeté pêle mêle les débris de l'objet du délit, après les avoir ramassés dans l'herbe en friche avant d'accourir. Je ne sais pas si vous pourrez récupérer quelque chose de cette carcasse mais bon...

Il prit congé.

- Allez, hors de ma vue ! dit alors le père de Cédric d'un air faussement courroucé en tendant le sac de débris à son fils.

Les deux gosses ne se le firent pas dire deux fois. Cédric prit le sac et ils filèrent tous les deux dans sa chambre.

- Eh ben dis donc, tu parles d'une frousse qu'on s'est fichue, dit-il en renversant le sac sur son lit.

- Oh oui, qu'est-ce qu'on est cons, fit Louis.

Soudain il vit son copain froncer les sourcils.

Là, sur la couette du lit, au milieu de la carcasse du drône, des débris d'hélices et de train d'atterrissage, se trouvait une drôle de chose.

Cédric la prit dans ses mains et enleva les brins d'herbe collés dessus.

Il regarda Louis qui, comme lui, était devenu blanc comme un linge en comprenant de quoi il s'agissait.

C'était une griffe. Une énorme griffe recourbée et acérée, mesurant 15 centimètres de long. On aurait dit de la corne comme les sabots des chevaux, mais de couleur marron.

Le côté où elle devait s'insérer dans la patte de l'animal qui l'avait perdue était encore tout ensanglanté.

__________

FIN









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