Un jeu à deux (1)

partie 1

La musique vrombit dans mes oreilles. Les basses secouent l'air, et les lumières de la piste de danse scintillent comme des étoiles égarées. La foule est compacte, le bruit est assourdissant, mais je n'entends rien d'autre que le bourdonnement de mon esprit.

Et elle est là, au centre de tout ça.

Luna.

Elle n'est pas loin, je la vois, comme si le monde autour d'elle se dissipait. Elle se faufile entre les danseurs avec cette aisance qui lui est propre, sa posture impeccable. Elle a ce sourire en coin, ce regard qui fait penser au reste du monde qu'il est spécial. Comme si elle savait que je la regardais.

Et elle le sait.

Elle est bien trop consciente de l'effet qu'elle a sur moi.

Et moi, je me tiens là, presque figé. Aux côtés de Maëlle, ma copine. Maëlle, qui s'éclate avec ses amis, un verre dans une main, un sourire dans l'autre, tandis que, je suis là, à l'observer d'un coin de l'œil, incapable de détacher mon regard de Luna.

C'est ridicule, non ? Mais c'est plus fort que moi. Dès que je la vois, tout le reste disparaît.

- Matteo, tu m'écoutes ? me demande Maëlle en me tapotant l'épaule.

Je la regarde brièvement. Elle est belle ce soir, mais je suis ailleurs. Complètement ailleurs.

- Ouais, ouais, bien sûr, murmuré-je distraitement, tout en continuant de fixer Luna.

Mensonge évident . Luna se rapproche encore un peu plus. C'est étrange, comme elle semble savoir quand je la regarde. Elle est loin d'être distraite. Elle capte ma présence sans problème. Et là, ce regard qu'elle m'adresse, aussi léger soit-il, me foudroie sur place.

Mais voilà, Maëlle s'en aperçoit.

- Tu regardes quoi comme ça ? glisse Maëlle en souriant, confuse.

Je tourne mon regard vers elle rapidement. Mon cœur rate un battement. Je dois improviser. Maelle ne connait pas Luna, à vrai dire, elle connait personne à par Gaston, parce que c'est Gaston et qu'il connait toujours les gens que je fréquente.

- Rien, le Roller Band s'installent, je regardais s'ils avaient pas besoin d'aide.

- Ah, ils font partie de tes amis ?

Je souffle un rire. Amis est un grand mot, je ne suis pas sure qu'avec Simon on soit réellement des amis. Mais bon, au vu des raisons pour lesquelles on ne s'entend pas vraiment, est-ce que je suis vraiment obligé de l'expliquer à Maelle ?

- Oui, c'est ça.

Elle hoche la tête, me sourit et s'avance une nouvelle fois vers le bar, surement pour échanger son verre vide.

Je souffle de soulagement. Je me suis mis avec Maelle juste avant de revenir de vacances, parce que j'ai appris que Luna flirtait avec Sebastian Villalobos. Et c'est ma manière, un peu puérile, de lui rendre la pareille.

Mais Luna ne tombe pas dans ce jeu. Elle le retourne contre moi.

Je bois d'un cul sec la fin de mon verre lorsque Maelle revient vers moi. Je me tourne, pose mon verre et m'apprête à la saluer avant d'aller enfiler mes patins. Car, comme chaque rentrée, la représentation de l'équipe du Jam & Roller annonce la nouvelle année.

Une voix dans le micro retentit, coupant notre échange.

- Mesdames et messieurs, c'est l'heure !

À cette annonce, la musique s'éteint et j'entends des patins glissés sur le sol. Je tourne la tête pendant que Maëlle me souhaite bonne chance.

Comme si j'en avais besoin.

Et c'est là que je la vois. Luna près de Simon, perchée sur ses patins qui s'avance vers la piste.

Elle me fixe, elle ne me lâche pas des yeux. Elle n'est même pas subtile. Elle s'amuse à me rendre fou, et elle le sait. Son regard est perçant. Elle veut me provoquer. Et elle réussit.

Maëlle remarque la tension et, sans un mot, tourne aussi la tête vers eux. Au même moment, Luna passe près de moi, trop près. Son regard glisse de Maëlle à moi avant qu'elle ne murmure, ses lèvres articulant silencieusement : "tellement prévisible".

Je me mords la joue. Elle sait. Bien sur quelle sait que j'ai emmené Maelle ici ce soir car je sais ce qu'il s'est passé avec Sebastian, et ça l'amuse. Mais cette fois, Maelle l'a vu. Alors je fais vite diversion et pars me changer en quatrième vitesse dans les vestiaires.

Quand je reviens, Tamara vient d'annoncer notre entrée. Je passe près de Maëlle et lui adresse un clin d'œil avant de prendre place sur la piste, juste à côté de Luna.

- Alors, Matteo, murmure Luna face au public. Toujours aussi prévisible.

Mes lèvres s'étirent.

- Alors, Luna, Sebastian a été une bonne distraction pour tes vacances ?

On tourne la tête à l'unisson, un sourire au coin des lèvres.

À cet instant, le premier accord de la musique retenti sur la piste et l'ensemble de notre groupe entre en scène. La piste de patinage, transformée en un véritable terrain de danse, scintille sous les lumières colorées, ajoutant une touche de magie à la performance.

Nos patins glissent avec une fluidité impressionnante, comme si le temps et l'espace étaient en train de se figer autour de nous. Mais ce soir, ce n'est pas juste une chorégraphie habituelle.

Il y a une intensité différente, une énergie palpable qui se dégage de la chorégraphie. Cette fois, on a misé sur des figures plus complexes, plus audacieuses, et même un peu dangereuses. Des sauts périlleux, des pirouettes au bord de la chute.

Je lance un regard furtif à Luna pendant une passe complexe, nos regards s'aimantent et nos sourires en coin ne disparaissent pas. On se moque l'un de l'autre, de notre mascarade et de ce jeu qui ne se fini jamais entre nous.

Je la porte, son bras autour de mon cou, pour une figure beaucoup plus simple que depuis le début. Comme il est demandé lors de moments, on se regarde dans les yeux, on se connecte l'un à l'autre. 

- Fais attention, ta copine nous regarde me chuchote-elle.

Je souffle un rire, la repose et la regarde glisser doucement sur la piste.

Nous enchainons nos figures, nos sauts synchronisés et nos pirouettes, tout en restant parfaitement connectés.

Puis, vint le moment décisif. Nous nous lançons dans une figure risquée : un saut synchronisé à très haute vitesse, où je dois rattraper Luna au dernier moment. Je m'élance le premier à une vitesse folle, j'aperçois Luna s'élancer à son tour vers moi, dans un mouvement parfait. Et je la rattrape à l'instant même où le public se met à crier, une tension électrique dans l'air.

Mes yeux fixent Luna un instant.

- Attention, Sebastian ne regarde pas la retranscription de la représentation ?

Elle lève les yeux au ciel en souriant lorsque je la repose délicatement sur la piste, avant que nous finissions la chorégraphie.

La prestation finie, la main de Luna sur mon épaule, son corps tourné vers moi face au public qui applaudit. Elle repose sa deuxième jambe au sol, tourne la tête vers moi et tapote mon torse.

- Je reste pas trop, Sebastian risque d'être jaloux me chuchote-t-elle. 

Luna fait demi tour, et se laissa glisser hors de la piste, un léger sourire sur les lèvres.

~~

L'excitation de la prestation est déjà en train de s'estomper. La foule s'éloigne peu à peu de la piste de roller, certains allant se rafraîchir au bar, d'autres discutant en petits groupes.

J'en profite alors pour m'écarter un instant, me retrouvant avec Gaston, un verre à la main.

- Alors, comment tu te sens ? me demande-t-il, un sourire moqueur sur les lèvres, sachant très bien que ma tête n'est plus sur la soirée.

Je soupire, me laissant tomber sur une chaise du gradin, observant l'agitation autour de nous.

- Ca va, on a géré non ? dis-je en délassant mes patins.

Gaston hausse un sourcil, toujours aussi observateur.

- Oui, t'as été super en terme d'observation du partenaire.

Je souffle un rire, et Gaston rigole, secouant la tête.

- T'es vraiment un cas désespéré, tu sais ? Tu reviens à peine de vacances et ça y est, elle te regarde, et tu flanches.

Je me tourne vers lui, le sourire en coin.

- J'ai pas flanché.

Il me regarde en biais, avec des yeux accusateurs.

- Je me fait pas de soucis pour ça, c'est juste une question de temps.

Il a raison, mais je n'ai pas vraiment envie de l'admettre.

- Bon, tu me diras, c'était pas non plus rien comme performance. Vous étiez bien synchronisés tous les deux, je dois avouer, ça dégageait une bonne énergie.

Je souris vaguement, mais je sais que ce n'est pas ce qu'il essaie de dire. Il parle de la tension qui existait entre Luna et moi, l'alchimie que personne n'a pu ignorer sur la piste. Pas même Maëlle, à mon avis.

Avant que je n'ai le temps de répondre, ma copine nous interrompt.

- Eh bien, eh bien, regardez qui voilà, dit-elle, en s'approchant. Vous avez l'air d'être en pleine discussion sérieuse.

Elle a l'air heureuse, mais je la sens nerveuse, peut-être en train de capter quelque chose qu'elle n'a pas encore totalement compris.

Je lui lance un sourire désarmant.

- Pas du tout, je fais juste semblant d'écouter Gaston. Mais toi, tu t'amuses bien ?

Gaston fait mine d'être offusqué, il me tape la nuque et elle éclate de rire, mais il y a quelque chose dans son regard qui me fait douter.

- Très bien, la soirée est cool. J'ai juste vu Luna tout à l'heure.

Je dégluti, et je sens Gaston tourner sa tête en souriant.

- Ah ouais ?

- Oui, vous la connaissez ?

- Oui, plus que bien même dit Gaston.

Je lui lance un regard noir et rieur à la fois.
Vraiment pas le moment.

- C'est à dire ? demande Maëlle en croisant les bras.

- Laisse tomber, il est comique ce soir. Je vais ranger mes patins.

Elle hoche la tête tandis que je leur fais un signe de main avant de quitter la piste.

En arrivant aux vestiaires, je croise Ambre et Jim qui en sortent. J'ouvre mon casier, range mes patins... et c'est là que je la remarque.

Luna.

Elle est là, juste derrière moi et enfile ses chaussures.

Je me redresse et, sans me retourner complètement, lui lance avec un brin de malice :

- Tu passes une bonne soirée ?

- Merveilleuse.

J'hausse un sourcil.

- Ah oui ? Pourtant, je la passe pas avec toi.

Elle esquissa un sourire en coin.

- Ta situation me divertis, ça me suffit largement.

- Quelle situation ?

Elle relève lentement la tête vers moi. Et pour la première fois depuis mon retour, je prends le temps de vraiment observer son visage. Tous les détails. L'éclat dans ses prunelles, la façon dont ses lèvres s'étirent à peine lorsqu'elle est sur le point de dire quelque chose. Sans qu'aucun artifice vienne briser cette contemplation, aucune lumière colorée, aucune présentation de patinage, aucune personne devant elle. Juste nous.

- Tu sais, jouer les petits copains parfaits.

- T'es jalouse ?

Elle souffle un rire, secouant la tête.

- Rêve, Matteo.

- Ah oui ? Alors pourquoi tu n'arrêtes pas de me regarder ?

Elle haussa les épaules, feignant l'indifférence.

- Je me demandais juste comment tu allais gérer ta copine après ça.

Je fronce légèrement les sourcils.

- Après quoi ?

Un sourire étira ses lèvres. Elle s'approcha encore, réduisant l'espace entre nous jusqu'à ce que sa bouche effleure presque mon oreille.

- Après ça, murmura-t-elle.

Sa main effleure lentement ma mâchoire, glissant brièvement sur mon cou avant de s'éloigner. Juste assez longtemps pour que ma copine, qui venait d'arriver, voie la scène.

Je réalise trop tard le piège qu'elle venait de me tendre. Je tourne la tête vers Maëlle, qui nous fixait désormais avec un regard chargé de suspicion.

Luna récupère son sac, me regarde en souriant derrière les casiers, loin du regard de ma copine, puis me chuchote : "Amuse-toi bien, Matteo."

Elle savait que j'allais la retrouver plus tard. Car je ne supporte pas perdre à ce jeu. Et ça tombe bien : elle adore me voir essayer.


~~

à suivre ...

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