Reviens
Ruggero
Elle est là devant moi, dans sa longue robe noire qui épouse parfaitement son corps. Elle est perchée sur ses hauts talons, ses cheveux dressés en un chignon. J'ai revu les yeux les plus beaux du monde l'espace d'un instant.
Elle a changé, elle a beaucoup changé et je crois que ce qui m'arrive est encore pire qu'avant. Je savais qu'en venant à cet événement je la croiserai au moins une fois, c'était évident. Mais mon coeur est en train de défaillir. Je repense à la dernière fois que l'on s'est vu, à nos regards, aux mots. Ça me brise encore de l'intérieur quelques années plus tard, mais le mal est fait, et il est bien trop tard. Peut-être que j'aurais changé certaines choses, quelques chapitres, voire l'histoire entière. Pour tout faire en mieux, pour prendre les bonnes décisions.
Je revois son visage, plus jeune. Son rire nerveux, puis ses mots "Mais tu sais Ruggero, je savais que tu allais prendre cette décision. Je savais que ça n'allait pas être moi". Elle n'était pas triste, elle était simplement lassée, de mon comportement, de toutes mes conneries. Je la vois encore, me tapoter l'épaule et quitter sa loge sans un regard en arrière. C'est après ce moment là, que j'ai compris que j'avais tout foiré. Avec tout le monde.
Une année entière est passée, sans le moindre contact. Ça m'a fait bizarre, parce que je me souviens que fut un temps, on passait nos journées ensemble. On a réalisé un rêve ensemble, on a travaillé, rit, pleuré, on a vécu tellement d'instants forts que tout ce temps passé loin d'elle me paraissait irréel. J'ai composé beaucoup de chansons à cette époque là, je me suis renfermé dans ma bulle, mon couple n'allait plus comme au premier jour. Ma vie continuait, tout était assez étrange. J'étais concentré dans ma musique, mais je crois qu'il me manquait quelque chose. Le temps est passé, Candelaria et moi nous sommes séparés, alors j'ai commencé à voyager. Je suis rentré chez mes parents un long mois, je crois que cette pause m'a été bénéfique. Et même si ma vie était en train de s'écrouler autour de moi, et que cette absence continuait d'exister au creux de mon cœur. La musique m'a aidé à remonter petit à petit la pente. Je l'ai débloqué des réseaux sociaux, pensant qu'elle n'en ferait rien. Mais finalement, elle l'a fait aussi, et ce petit geste a eu l'effet d'un minime rayon de soleil à travers mon nuage.
Je ne suis pas retourné sur son compte Instagram, j'avais peur. Peur de ressentir une nouvelle fois les mêmes choses, alors je me suis abstenu. Mais la réalité est bien pire.
Maintenant que je la vois, plus femme, plus belle, c'est difficile pour moi. On s'est rentrés dedans, comme si notre relation était rattachée à ce geste. Comme Luna et Matteo étaient liés déjà à l'époque.
Je me suis excusé avant de me retourner, et de la voir. Elle m'a regardé de ses yeux verts, et pendant un petit instant j'ai eu du mal à respirer convenablement. Comme si une vague de sentiments, m'avait engloutis. Mais je crois, qu'il ne me reste plus beaucoup de temps si je veux intervenir.
- C'est pas grave me dit-elle simplement
Elle m'adresse un rapide demi sourire, et tourne les talons pour rejoindre la zone de photos. Je ne peux pas la laisser s'enfuir, pas encore une fois. Le film recommence, et j'ai l'impression que c'est ma chance aujourd'hui, je crois pouvoir changer le scénario.
- Attends Karol !
J'aperçois ses épaules se redirent, mais elle fait comme si elle n'avait pas entendu. Elle continue son chemin, elle se place devant les photographes et bientôt, une vague d'invités me barre la vue. Je mords ma lèvre, c'est peut-être la dernière chance de toute ma vie. Et si je regrettais ? Elle n'a certainement plus rien à voir avec moi, mais moi j'ai le sentiment d'être encore lié à elle d'une manière ou d'une autre. Il faut que j'en ai le coeur net, que j'ai une conversation avec elle ou alors qu'elle me dise clairement qu'elle ne veut plus entendre parler de moi. Ça me permettrait peut-être d'effacer le doute qui émerge un peu plus, chaque jour.
Alors pris d'un élan, je joue des coudes entre les nombreuses personnes qui marchent sur ces tapis rouges, et accède à mon tour à la zone photo. Elle est située au milieu, elle est rayonnante. J'avais oublié à quel point, elle parait être un ange tombé du ciel. Sa posture, son visage, son sourire. Quand je la regarde, j'ai l'impression que tout peut m'arriver, mais que quoi qu'il arrive, je saurai me relever. C'est un sentiment étrange, que je n'ai plus ressenti depuis des années.
Je me poste aussi à mon tour, devant les appareils photos. J'essaye de m'avancer, petit à petit pour arriver à sa hauteur. Mais lorsqu'elle s'en aperçoit, elle se décale. Nous ne sommes que tous les deux face aux paparazzis, et lorsqu'ils s'en aperçoivent je crois avoir crée l'info du siècle.
- Ruggero, Karol ! Avancez vous !
- Des photos tous les deux s'il vous plaît !
Je jette un œil à Karol, qui me regarde déjà. Son air est dure, ses sourcils sont froncés et elle articule quelques mots : "mais qu'est-ce que tu fais ?". Elle tourne sa tête devant, lorsqu'elle ne voit aucune réponse de ma part.
- Est-ce qu'on peut avoir des photos ensembles s'il vous plaît ?
Je m'avance alors un peu plus vers elle, sans la quitter des yeux. Elle semble gênée. Son menton reste droit et levé, elle a le sourire aux lèvres, mais ses traits du visage sont crispés lorsque je me poste à un mètre d'elle.
- Est-ce que je peux te parler ? chuchotais-je en continuant de regarder devant moi
- Tu peux m'expliquer ce que tu fou ? me dit-elle sur le même ton d'un air sévère
- Est-ce que je peux te parler ? répétais-je ma question
- Pas ici non
Elle salue d'un geste de mains les photographes, leur souris et quitte finalement la zone. Je la vois se hisser entre de nombreuses personnes, mais je n'attends pas de la perdre du regard. Je salue à mon tour, et cours en sa direction. Je ne peux pas crier son prénom à travers cette foule, les murs ici ont des oreilles et les photos prises quelques secondes plus tôt vont déjà faire parler les médias et magazines.
Je lui attrape le poignet, lorsque j'arrive difficilement à sa hauteur.
- Karol est-ce qu'on peut parler ?
Elle se retourne vers moi, les sourcils froncés et m'adresse un air d'incompréhension.
- Mais qu'est-ce qui t'arrive aujourd'hui ? Tu veux pas continuer de m'ignorer comme tu le faisais si bien jusqu'à présent ?
- J'ai plus envie de t'ignorer. C'est pour ça que je veux te parler
Elle me regarde un instant, et commence à rire. Sa main s'extirpe de la mienne, et elle les claque entre elles.
- Et il faudrait que j'accepte de te parler simplement parce que tu as eu un soudain élan ?
Elle hoche la tête de gauche à droite, toujours le sourire aux lèvres.
- Non Ruggero, tu as toujours tout eu sur un plateau d'argent. Les gens ne sont pas à ta disposition
- J'en suis conscient, mais laisse moi juste discuter avec toi. Si tu veux partir sans me répondre fais le, mais je n'ai pas envie de faire une erreur de plus
- Oh tu n'en seras pas à ta première, tu t'en remettras
Elle m'adresse un faux sourire, et me tapote l'épaule avant de commencer à partir. Je la retiens, une nouvelle fois.
- Justement, j'en ai trop fait. Laisse moi essayer de les réparer
- Tu ne pourras rien réparer Ruggero, ne perds pas ton temps
- Alors tu ne me laisses pas une dernière occasion ? Ça y est, c'est fini ? On tire un trait définitif sur notre histoire ?
Je regrette ce que je viens de dire, à la seconde où son visage change. Son regard, que j'aime tant d'habitude me lance des éclairs.
- Tu en as eu des centaines d'occasions, mais tu n'as jamais su les prendre au bon moment. Et maintenant je devrais t'accorder de mon temp parce que tu fais un énième caprice et que je te manque soudainement ?
Je suis d'accord, ça y ressemble. J'ai souvent agis de cette manière dans le passé, comme un gamin. Mais ça me rend triste qu'elle ait encore cette image de moi aujourd'hui, même si rien ne lui a démontré le contraire.
Je soupire, et passe une main dans mes cheveux. Je sais que venir la voir entraînerait ce genre de discussion, et encore je trouve qu'elle est gentille. Certainement parce que nous sommes entourés.
- Tu es un gamin Ruggero, et je crois que ça ne changera jamais. Je te connais par coeur, je connais tes caprices. Tu vois un nouveau jouet alors tu veux t'amuser avec, jusqu'à l'usure, puis tu l'abandonnes. Et quand il te manque un beau matin, tu retourne le voir, mais il est complètement brisé. Parce que tu as trop joué avec
Je suis brisé. Elle aussi, je le vois. Mais je suis en colère contre ses paroles, elle ne me prend pas au sérieux. J'ai l'impression de ne pas arriver à me faire comprendre, peut-être qu'elle ne veut pas, mais moi j'en ai besoin.
Elle hausse les sourcils, puis se tourne une dernière fois, et continue son chemin.
Je tape du pied, et tire un peu sur mes boucles. C'est pas possible, elle ne peut pas partir comme ça avec cette image de moi alors que je veux simplement qu'elle sache ce que je pense d'elle. Je veux me vider de tous ces sentiments, m'en débarrasser, ils sont lourds, imposants, alors je veux qu'elle sache.
- Mais je ne fais pas de caprice ! m'écriais-je
Mon éclat de voix la surprend, puisque je l'ai aperçu sursauter au milieu du monde. Le bruit de la foule s'est soudainement apaisé. Je ne devrais peut-être pas attirer l'attention, hurler ce que j'aurais aimé lui dire en face depuis le début. Mais si c'est le seul moyen que j'ai, si lui prouver devant des milliers de personnes est la solution, alors je me jette à l'eau. Sans hésiter.
- Je n'attends rien de toi ! Je veux juste que tu comprennes, que tu saches tout ce que je ressens ! Que tu saches ce que tu m'as fait !
Elle est immobile devant moi. Des centaines de têtes sont retournées, les paparazzis se sont rapprochés, les journalistes aussi. Mes yeux sont humides, je veux lui parler avec mon coeur, pour une fois. Je veux être sincère avec elle, du début à la fin cette fois.
Quand elle s'aperçoit que je vais continuer, elle articule dans le vide une phrase que je décrypte : "Arrête ça".
- J'ai fait ce que j'ai pu pour me rendre plus fort chaque jour, je me suis créé des barrières, je n'ai pas fait confiance à beaucoup de monde dans ma vie. J'ai arrêté de le faire depuis des années, et tu connais la cause ! Mais tu es arrivée, toi, et de ton mètre cinquante-cinq tu arrives à me faire flancher. Tu me fais perdre le contrôle, je déteste ça mais j'y peux rien. Et je sais que tu détestes le fait que j'hurle ça devant autant de monde, mais j'en ai rien à faire si ça fait la une des médias, j'en ai plus rien à foutre si ça peut me permettre d'être avec toi
Je reprends mon souffle. Je crois que ses yeux brillent. Elle essuie des larmes rapidement d'un geste de main. La foule est silencieuse, il y a des petites messes basses et étant donné les circonstances je peux comprendre.
- Si tu penses que je fais semblant regarde moi dans les yeux, tu as toujours su lire en moi de cette façon, alors regarde moi continuais-je
Après quelques secondes, elle relève la tête, hésitante. Je croise son regard, humide, tout comme le mien. J'ai les mêmes frissons qu'avant, les mêmes sensations. Et je sais qu'elle ressent la même chose, ça a toujours était comme ça entre nous. Mais cette fois je lui ai fait du mal, peut-être trop et c'est possible que je m'en morde les doigts.
- Je ne sais pas si ça suffit
Je la vois se rapprocher de moi.
- Je crois que ça ne sera jamais assez par rapport à tout ce que je t'ai fait.
Elle a les larmes aux yeux, et je déteste cette image d'elle. Elle attrape les deux bouts de sa robe, et se met à courir. Je passe mes mains sur mon visage, en jurant de l'intérieur, en me disant qu'elle va simplement passer à côté de moi et ne plus jamais m'adresser la parole.
- Mais je te jure que je suis sincère, ce n'est pas l'un de mes caprices. Tu me manques vraiment et....
Je suis surpris, lorsque je sens ses mains se déposer sur mes joues, et que ses lèvres s'écrasent sur les miennes pour me faire taire. Ses larmes fondent sur ma peau, sa chaleur m'enivre doucement. Je place mes mains au creux de ses reins, le sourire aux lèvres, en la tenant un peu plus contre moi. Les flashs retentissent autour de nous, et je me rends compte que les gens crient lorsqu'elle se détache de moi, me ramenant à la réalité. J'ai un sourire nié qui ne quitte pas mes lèvres.
- Alors, ça veut dire que tu me laisses une autre chance ?
Elle se détache, puis recule un peu. Mes espoirs s'estompent soudainement. La foule semble avoir prit partie de toute cette scène, puisqu'elle est tournée vers Karol. Je regarde ses yeux, mon coeur bat fort, mes mains sont moites et j'ai l'impression de ne plus savoir respirer.
- Je ne sais pas si ça suffira non plus dit-elle
Mon coeur s'emporte. J'ai peur, peur qu'elle se soit finalement rendue compte avec ce baiser qu'elle ne ressentait plus du tout la même chose qu'avant. Peur qu'elle m'affiche un air désolé, et qu'elle s'en aille de cet événement en me laissant la. Alors mon souffle se coupe, lorsqu'elle reprend la parole.
- Mais je crois qu'on a qu'une vie, et que si je te dis non après ça. Peut-être que je le regretterai
Elle me sourit.
- Et je ne veux pas prendre ce risque finit-elle
Je lui souris de toutes mes dents. La pression redescend, mon coeur semble plus serein et je suis heureux d'avoir pris un risque pour une fois.
Je m'avance, l'embrasse une seconde fois puis d'un coup, les flash se font plus insistants.
- Mademoiselle Sevilla, pouvez-vous répondre à nos questions ?
- Après ce que nous venons de voir, pouvez vous nous certifier que vous êtes bien ensemble ?
- Est-ce un retour ruggarol ? Officiellement cette fois ?
Les journalistes se sont visiblement frayés une place, dispersant la foule un peu plus loin. Karol et moi rions, puis je la prends par la taille et nous partons loin de tout ça. Les photographes nous suivent, essayant d'avoir le plus de clicher pour cette grande nouvelle, tandis que nous jouons des coudes en riant à travers tout ce monde.
Je crois que je ne m'attendais pas à ce que ça se termine comme ça. C'est peut-être la fin la plus inattendue, celle qui aura le plus de conséquences, la moins simple, mais c'est celle dont je rêvais le plus.
Celle où Karol rit en me tenant la main, où je la regarde en souriant. Celle où l'on s'enfuit loin du monde, pour essayer de créer une toute nouvelle histoire.
~~
Fin.
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