Mauvais numéro

Il pleuvait à torrent. Ce genre de pluie qui rendait chaque mouvement plus difficile, chaque pas plus lourd. Buenos Aires disparaissait sous un rideau d'eau, les lampadaires projetant une lumière trouble sur l'asphalte détrempé. L'odeur du goudron mouillé emplissait l'air, et chaque inspiration semblait plus difficile que la précédente.

Je courais, la respiration courte, mes vêtements trempés me collant à la peau. J'avais l'impression que la ville toute entière conspirait contre moi ce soir. Mon portable n'avait plus de batterie, et, comme si ça ne suffisait pas, je n'étais même pas sûr du numéro de son appartement.

Quand j'atteignis enfin l'immeuble, je pris une seconde pour m'abriter sous le porche, tentant de retrouver mon souffle. Mes doigts tremblants appuyèrent sur le bouton de l'ascenseur. Un tintement métallique annonça son arrivée, et j'entrai à l'intérieur, appuyant sur le troisième étage.

Les portes s'ouvrirent sur un long couloir silencieux, le sol en marbre réfléchissant faiblement la lumière tamisée. J'avançai lentement, détaillant les portes qui se succédaient.

12 ou 14 ?

Mon portable éteint ne me laissait aucune chance de vérifier. Je soupirai, pestant contre moi-même. Ce n'était pas comme si je pouvais me permettre une erreur – elle m'avait répété dix fois qu'il ne fallait pas que je me trompe, qu'il y avait un appartement bis à cet étage.

Je tentai ma chance avec la porte 12.

J'appuyai sur la sonnette une première fois. Aucune réponse. Une deuxième fois.

La porte s'ouvrit brusquement.

Et merde.

Ce n'était pas elle.

La fille qui se tenait devant moi n'avait absolument rien à voir avec celle que je cherchais. Pas du tout. Elle avait de longs cheveux bruns ondulés qui cascadaient sur ses épaules, un visage fin et des yeux d'un bleu perçant. Une robe noire d'été lui tombait élégamment sur les hanches, et, malgré mon état lamentable, je ne pus m'empêcher de remarquer qu'elle était incroyablement belle.

Un silence pesant s'installa.

- Je peux t'aider peut-être ? demanda-t-elle finalement, brisant l'inconfort du moment.

Je me repris tant bien que mal, me redressant pour ne pas avoir l'air complètement paumé.

- Euh... en fait...

Son expression s'adoucit, et un sourire amusé se dessina sur ses lèvres.

- Je vois. C'est précis comme demande, rit-elle doucement.

Je me passai une main dans les cheveux, geste inutile vu qu'ils étaient déjà trempés. Mon t-shirt collait désagréablement à mon torse.

- Tu t'es trompé de porte, non ?

J'acquiesçai en grimaçant.

- Je voulais aller chez ma copine, mais... tu n'es pas ma copine.

Elle haussa un sourcil, l'air faussement intrigué.

- Effectivement. Ou alors, je ne suis pas au courant.

Un rire m'échappa malgré moi.

- Elle habite où, ta petite amie ? demanda-t-elle avec bienveillance.

Je haussai les épaules. Elle me regarda avec des yeux ronds.

- Tu ne sais pas où elle habite ?

- Mon portable est mort, et le numéro de sa porte était dans son message...

- Tu as au moins son nom de famille ? Je connais pas mal de monde à cet étage, je peux peut-être t'aider.

- Martinez.

Elle fronça légèrement les sourcils, réfléchissant, puis regarda autour d'elle.

- Mmh... c'est la porte 22, si je ne dis pas de bêtise.

Je l'observai avec méfiance.

- Tu es sûre ? Parce que j'aimerais éviter de me tromper encore une fois.

Elle sourit.

- Je te rassure, normalement, c'est bien celle-là.

Je la remerciai avant qu'elle ne referme la porte derrière elle.

**

J'aurais peut-être préféré me tromper de porte encore une fois.

Je ne sais pas vraiment comment j'ai atterri sur le seuil de l'appartement de ma copine, ni comment la conversation a déraillé en un claquement de doigts. Ce qui est sûr, c'est que la soirée que j'avais imaginée ne s'était pas du tout déroulée comme prévu.

Elle m'a quitté. Comme ça. En me regardant droit dans les yeux, sans ciller.

Je me serais attendu à ce qu'on se dispute, à ce qu'elle me reproche quelque chose, mais non. Juste un constat froid et sans appel : "Je crois qu'on ne fonctionne plus."

Et puis, la porte s'est refermée sur moi.

Je suis resté planté là quelques secondes, trempé, un goût amer dans la bouche.
Si j'avais su, je me serais abstenu de courir sous un torrent de pluie, pour ne même pas avoir le droit de rentrer me sécher chez elle.

Puis, sans vraiment réfléchir, mes pas m'ont ramené à cette autre porte.

La porte 12.

**

Luna – c'est son prénom – ouvrit légèrement la porte de son appartement, les sourcils froncés en me découvrant sur le seuil, se demandant qui j'étais pour sonner chez elle une deuxième fois.

- Elle m'a quitté, dis-je simplement, avec un petit sourire moqueur pour moi-même.

Elle écarquilla les yeux, avant d'éclater de rire. Un rire spontané, cristallin, qui contrastait avec ma soirée désastreuse.

Elle mit sa main devant sa bouche, comme si elle se sentait coupable de sa réaction.

- Désolée... mais... j'aurais peut-être pas dû te donner le numéro de sa porte, tout compte fait.

Je soufflai un rire, secouant la tête.

- Ouais, t'aurais peut-être dû me laisser galérer dans le couloir.

Un court silence s'installa.

Je l'observe un instant, toujours adossé à l'encadrement de sa porte. Son sourire moqueur flotte encore sur ses lèvres, et je ne sais pas si c'est la situation qui l'amuse ou si elle trouve simplement hilarant que je me sois fait larguer sous la pluie. Probablement les deux.

- Tu veux rentrer ?

Sa question est posée sur un ton léger, presque désinvolte, comme si m'inviter chez elle après ce moment cocasse était la chose la plus naturelle au monde.

Je hausse un sourcil et jette un regard vers le couloir désert, puis vers sa porte entrouverte. Il pleut toujours dehors, et je suis trempé jusqu'à l'os. De toute façon, je n'ai nulle part d'autre où aller pour l'instant.

- T'es sûre ? Je ris doucement. Je pourrais être un psychopathe, tu sais.

- Un psychopathe trempé qui vient de se faire larguer sous la pluie ? Franchement, j'ai connu plus inquiétant, Matteo.

Elle a un sourire en coin en prononçant mon prénom, comme si elle savourait le fait de le dire à voix haute. J'ignore pourquoi, mais ça me fait quelque chose.

Je finis par hausser les épaules et entrer. Luna referme la porte derrière moi pendant que je fais un rapide tour d'horizon de son appartement. Il est à son image : chaleureux et un peu désordonné. Rien à voir avec celui de mon ex, où tout semblait toujours millimétré. Ici, il y avait des coussins colorés sur le canapé, des livres empilés sur une table basse, et une lumière tamisée éclaire la pièce principale, où un canapé en velours trône devant une bibliothèque remplie de livres et de vinyles. Une tasse de thé fumante repose sur la table basse, et une playlist jazzy tourne doucement en fond sonore.

- Je vais te chercher une serviette. Fais comme chez toi, lance-t-elle en se dirigeant vers une autre pièce. Mais évite de tremper mon sol.

- J'essaierai, promis-je en jetant un coup d'œil à mes vêtements dégoulinants. dit-elle en disparaissant dans une autre pièce.

Je retire ma veste trempée que je laisse à l'abandon sur le dossier d'une de ses chaises. Luna revint avec une serviette et un t-shirt trop grand qu'elle me tendit.

- Tiens, ça t'évitera de choper la crève.

- T'as l'habitude d'avoir des inconnus trempés qui débarquent chez toi ? demandai-je avec un sourire en prenant les vêtements.

Je saisis le tissu qu'elle me tend. Un t-shirt noir, simple, un peu large. J'hausse un sourcil en l'observant.

- Il est à toi ?

Luna s'appuie contre le chambranle de la porte, les bras croisés, et un sourire amusé étire ses lèvres.

- Non, un ami l'a oublié ici.

- Un ami qui oublie des t-shirts chez toi ? Je fais mine d'être indifférent en retirant mon haut trempé.

Luna lève les yeux au ciel, mais je remarque qu'elle détourne rapidement le regard quand mon torse se retrouve à l'air libre. Je ne peux m'empêcher d'esquisser un sourire.

- Tu poses toujours autant de questions aux gens que tu ne connais pas ?

- Seulement quand je débarque par erreur chez eux, et qu'ils me filent des fringues qui ne leur appartiennent pas.

Elle rit, un rire léger qui résonne dans l'appartement.

- Tu veux que je le repasse aussi, tant qu'on y est ?

- Oh non, il est très bien comme ça.

J'enfile le t-shirt. Il est un peu trop grand pour moi, mais au moins, je ne suis plus trempé. Je frotte distraitement mes cheveux humides, puis j'observe Luna qui me regarde toujours, un sourire en coin.

- Ça te va plutôt bien, tu devrais remercier mon ami.

- Ou te remercier, toi.

- Peut-être.

Un silence s'installe. Pas gênant, juste... intriguant. Je devrais probablement partir. Ma copine – enfin, mon ex – m'a largué, je me suis trompé de porte, et maintenant je suis ici, dans l'appartement d'une fille que je ne connais pas. Une fille qui a ce petit truc dans son regard, ce mélange de malice et de curiosité qui me donne envie d'en savoir plus.

Luna brise le silence la première.

- Bon, je vais te faire un café. Ou un thé, si tu préfères.

Elle disparaît dans ce que je devine être la cuisine. Je pourrais décliner, dire que je devrais partir. Mais j'ai comme le sentiment que la soirée ne fait que commencer. Alors je m'appuie contre l'encadrement de la porte et je la regarde faire, un sourire en coin.

- Café, ça ira. Mais avec du sucre. Beaucoup de sucre.

Elle rit encore.

- Je vais t'en mettre assez pour te réveiller toute la nuit, alors.

Luna sort une tasse d'un placard et la met en dessous de sa machine, dos à moi. Son appartement est simple mais chaleureux. Un canapé recouvert d'un plaid, une bibliothèque remplie de livres aux tranches usées, quelques photos accrochées au mur. Rien de trop personnel, mais assez pour donner l'impression que cet endroit est vraiment le sien.

Je m'avance un peu, mains dans les poches.

- Alors... toujours aussi serviable avec les inconnus trempés ?

Elle jette un coup d'œil par-dessus son épaule, amusée.

- Seulement avec ceux qui sonnent à la mauvaise porte.

Je souris.

- Donc j'ai eu de la chance, en gros.

- On peut voir ça comme ça.

Elle se retourne et s'appuie contre le plan de travail, croisant les bras. La tasse commence doucement à se remplir.

- Et toi ? Tu es toujours aussi doué pour te perdre dans un immeuble ?

Je lève les mains en signe de défense.

- Ce n'était pas de ma faute. Mon portable est mort, et je pensais vraiment que c'était la bonne porte.

- Et maintenant, tu es là, en train d'attendre un café chez une fille que tu ne connaissais pas il y a dix minutes.

- Exactement.

Elle secoue la tête, mi-amusée, mi-perplexe.

- T'as pas l'air bouleversé par ta rupture, au passage.

- Honnêtement ? Je crois que j'étais plus surpris que vraiment triste.

Elle arque un sourcil, intriguée.

- Vous étiez ensemble depuis longtemps ?

- Quelques mois.

- Et elle t'a largué comme ça, sans prévenir ?

Je hausse une épaule.

- Disons qu'elle avait l'air d'y avoir réfléchi plus longtemps que moi. Moi, j'étais encore en train de me dire que j'allais passer la soirée avec elle. Apparemment, elle avait d'autres plans.

Luna souffle doucement.

- Ça craint.

- Ouais.

Un silence s'installe. Pas lourd, juste présent. Elle se redresse, puis attrape un pot de sucre.

- Beaucoup de sucre, hein ?

- T'as promis.

Elle rit en versant trois cuillères pleines avant de me tendre la tasse.

- Si t'es en hyperactivité toute la nuit, ce ne sera pas ma faute.

- Je te tiendrai pour responsable.

Je prends une gorgée, et l'observe alors qu'elle range le sucre et qu'elle éteint sa machine.

- Et toi, alors ? Je peux poser quelques questions, ou c'est réservé aux propriétaires de t-shirts oubliés ?

Elle roule des yeux en souriant.

- Pose toujours.

- C'est qui, ce fameux ami qui oublie ses affaires chez toi ?

Elle s'arrête une seconde, me scrute, puis éclate de rire.

- Je rêve ou t'es en train d'essayer de savoir si j'ai quelqu'un dans ma vie ?

Je garde mon expression neutre.

- Simple curiosité.

Elle mord dans son sourire, clairement amusée.

- C'est un pote. Il est venu dormir ici après une soirée, et il est reparti sans son t-shirt. Voilà, mystère résolu.

- Dommage, j'aurais aimé une histoire plus intéressante.

- Genre ?

- Je sais pas. Un ex qui l'a oublié en fuyant par la fenêtre, un coloc insupportable qui laisse traîner ses fringues partout...

- Désolée de te décevoir, mais non.

- Tant pis, je vais devoir m'en remettre.

Luna prend une gorgée de café, et je remarque la façon dont elle m'observe, un peu comme si elle essayait de me cerner.

- Tu comptes rentrer chez toi, ou tu vas squatter mon canapé toute la nuit ?

- C'est une invitation ?

Elle rit doucement.

- Je me demande juste à quel point cette soirée va être bizarre.

- Honnêtement ? Je pensais juste boire un café et partir. Mais...

Je jette un regard vers la fenêtre. La pluie bat toujours violemment contre les vitres.

- Je vais peut-être attendre que ça se calme.

Luna soupire en secouant la tête, amusée.

- Bon, je vais devoir t'héberger encore un peu alors.

- Ouais, et vu que tu es quelqu'un de serviable, je suis sûr que tu ne vas pas me laisser mourir de faim non plus.

Elle lève les yeux au ciel.

- T'abuses.

- Un peu.

Elle finit par poser sa tasse et se dirige vers le frigo.

- J'ai des restes de pâtes.

- Ça me va.

- Sérieusement, Matteo, t'es arrivé ici par erreur, et maintenant tu t'incrustes comme si on était potes depuis des années.

- Peut-être qu'on est censés être potes depuis des années, mais que j'ai juste mis du temps à trouver la bonne porte.

Elle s'arrête un instant, me regarde, et sourit.

- C'est mignon.

Je lève ma tasse en guise de toast.

- À ma magnifique erreur d'appartement, alors.

Elle rit, et je ne peux pas m'empêcher de penser que finalement, cette soirée a pris une tournure bien plus intéressante que prévu.


~~

hello !!!!!!

Dites moi ce que vous avez pensé de l'histoire en commentaire :)

Aimeriez-vous avoir une suite à celle-ci ?

bisouille !!!!

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