Le dernier souffle
J'arpente le petit parc pour enfants qui longe le trottoir face au lycée, mon sac sur l'épaule et mes écouteurs enfoncés dans mes oreilles. L'atmosphère douce de printemps flottait dans l'air ces derniers temps. Les arbres ont fleuris, les oiseaux ont recommencés à chanter et le soleil surplombe de nouveau la ville. Pourtant, même si à cette saison de l'année la vie semble plus simple, j'ai l'impression d'être plus perdu que d'habitude. Ce matin, je me suis disputé avec ma petite amie pour une histoire futile, et depuis j'ai le droit à un silence radio de sa part.
J'ai souvent été cette personne qui ne comprenait pas réellement l'état d'esprit d'un ami après une dispute avec sa copine. J'ai souvent été cette personne qui disait que ce n'était pas si grave, et que ça ne méritait pas de se mettre dans un état pareil, parce que j'étais cette personne, qui ne comprenait pas l'amour. Aujourd'hui, je ne peux pas dire que je le comprenne encore réellement bien parce que c'est un sujet bien trop vaste et compliqué pour moi. Mais maintenant je comprends quand mon meilleur ami me disait qu'il avait peur de perdre celle qu'il aimait, et que lorsqu'ils se disputaient ça pouvait interférer ses émotions. Parce que c'est précisément ce qui est en train de m'arriver.
Je tourne à l'intersection pour commencer la route jusqu'à chez moi. Je range mon portable dans mon sac de cours, tout en ayant l'écho de sirènes de pompiers face à moi. Je crois les avoir vu clignoter un peu plus loins dans la rue quelques secondes avant.
Mon père fait parti de la brigade des pompiers de la ville, et je suppose que c'est encore une vielle dame du quartier qui a fait un malaise, alors je continue ma marche les mains fourrer dans les poches de mon pantalon en toile. Tout en sifflotant, j'arrive assez rapidement devant mon portillon et sors d'un geste habituel les clefs de mon sac. L'un de mes écouteurs se fait la malle lorsque je me relève pour insérer mon trousseau dans la serrure. Je le ramasse, et je me rends vite compte que le bruit des sirènes est plus proche que ce que je ne croyais, alors je décline la tête pour jeter un rapide coup d'œil.
Un camion de pompiers et une voiture de médecin sont garés en plein milieu de la rue, ils sont je dirais un peu moins d'une dizaine à grouiller autour de la zone. Cette scène me paraissait normale, jusqu'à que j'aperçoive la maison dans laquelle ils rentrent tous un par un. Mon cerveau m'y du temps a tout assimiler. Mon sifflement cesse, mes lèvres retombent et mon sourire disparaît aussitôt. Deux pompiers sortent de la villa en trombe, et je sens soudainement mon coeur taper contre ma cage thoracique. J'aperçois un reste de fumée voiler le ciel, l'immense tuyau est étalé au sol à côté des camions.
Mes clefs tombent au sol dans un bruit sourd en même temps que mon sac, et sans réfléchir, je détale en quatrième vitesse vers la maison.
Mon coeur bat à tout rompre. Je ne suis pas sûr de ce que je viens de voir. Tout ça me parait trop irréel pour que se soit vrai. Le bruit des sirènes me paraît de plus en plus insupportable, les deux pompiers déposent le corps sur un brancard, et là se fut la chute libre jusqu'aux enfers. Mon poult s'accélère, j'ai l'impression de ne plus respirer correctement, ma poitrine est compressée et mes jambes chancellent tout à coup. Je continue ma course, je joue des coudes pour me frayer un chemin lorsque j'arrive près d'eux, mais j'entends mon père m'interpeller.
- Matteo !
Je ne l'écoute pas, je bouscule quelques pompiers tout en continuant de m'approcher. Mais il m'arrête une seconde fois, en m'attrapant les épaules pour me tourner face à lui.
- Matteo tu ne peux pas aller là bas
- J'ai besoin de la voir papa. Laisse moi y aller
Je suis complètement désespéré. Je crois que mon propre père ne me reconnaît pas. C'est vrai, je n'ai jamais été comme ça pour une fille. C'est nouveau et étrange même pour moi, mais je ne me soucis plus de rien à ce moment précis. Mes réactions et mon comportement m'importent peu, je veux juste la voir, être sûr qu'elle aille bien, savoir si je pourrais encore la tenir dans mes bras après ça.
- Ils sont en train de la soigner, tu ne peux pas t'approcher fiston
J'ai toujours détesté ce côté buté de mon père. Même si je sais que cette fois tout est différent, le fait de ne pouvoir rien faire me laisse l'impression d'être impuissant et inutile face à tout ça.
Je passe mes mains dans mes cheveux tout en tournant en rond, je fais les cent pas devant lui comme si la situation allait se résoudre un peu plus vite.
- Qu'est-ce qu'il s'est passé ? Tu peux me le dire ça au moins ? je demande
- Il y a eu un incendie et elle se trouvait dans la pièce où il s'est déclaré. On va essayer de la réanimer
Mon coeur bat de plus en plus vite, j'ai du mal à respirer tout à coup. Mon père me tient le bras, je l'entends me parler mais ne distingue pas vraiment ce qu'il me dit. J'ai la tête qui tourne. Je passe mes mains dans mes cheveux, les battements de mon cœur résonnent dans mes oreilles.
- Matteo ?!
Je croise le regard de mon père, un peu remué par mes émotions. Le son me paraît un peu plus clair.
- Ça va ? Bon écoute, on va l'emmener à l'hôpital tu peux monter avec elle dans le camion si tu veux
- Elle va bien ? je demande
Il hausse les épaules, une grimace tord son visage.
- Pas vraiment, elle est encore inconsciente. Monte, on va faire de notre mieux
Il m'entraîne à l'arrière du véhicule avec lui. Le brancard est déjà installé, je m'y approche. Les yeux de Luna sont clos, son visage est fermé et vidé de toutes émotions, j'ai presque la désagréable sensation qu'elle est déjà morte.
Une larme roule sur ma joue. Je déteste cette image d'elle, la voir si peu vivre me brise le coeur.
J'appuie mon dos contre la paroi froide du camion, je m'en veux terriblement, ma culpabilité me ronge de l'intérieur. Et si elle ne se réveillait pas ? On aurait vécu notre dernière journée à s'en vouloir l'un l'autre sans parler. Le dernier souvenir que j'aurais d'elle sera notre dispute sans intérêt. Cette fois je comprends la phrase qui dit profitez de vos proches tant qu'il est encore temps. On ne s'en rend pas assez compte au quotidien, on a tendance à ne pas s'excuser, à mettre du temps pour prendre des nouvelles et puis on regrette quand cette même personne se retrouve sur un brancard dans un camion de pompier. Je regrette plus que tout cette dispute, je regrette de ne pas m'être excusé et de ne pas avoir voulu lui parler avant. Je n'ai plus que l'espoir maintenant, parce qu'il est peut-être déjà trop tard.
**
Deux. C'est le nombre d'heures que j'attends dans le couloir blanc et morose de cet hôpital. Ils ont laissé Luna aux infirmiers à leur arrivée il y a deux heures, et depuis je n'ai aucune nouvelle d'elle. L'attente est insupportable, et j'ai tellement usé de la machine à café que je n'arrive plus à tenir en place. À chaque fois qu'un médecin apparaît dans le couloir j'espère que ça soit de ses nouvelles, mais je commence sincèrement à perdre espoir. Après tout, je ne suis même pas certain qu'elle ressortira d'ici en vit. Mon père m'a confié que ça serait difficile, que la fumée qu'elle avait inhalé avait pu considérablement diminuer ses capacités respiratoires, voire entraîner son décès. Et je suis angoissé à l'idée que l'on m'annonce une telle nouvelle, je ne suis pas prêt à lui dire au revoir. Elle est trop jeune, ça me parait encore irréel.
- Vous attendez pour Mademoiselle Valente ?
Je relève la tête, vers l'infirmière qui vient d'apparaître face à nous. Ma peur augmente de seconde en seconde, et son regard ne me rassure pas.
- Oui, elle va bien ? répond le père de Luna en se levant de sa chaise
Elle consulte sa planche rempli de documents, son visage se tord en une grimace. Je me lève à mon tour.
- Bien je ne sais pas, je dirais qu'elle va mieux
Elle nous adresse un petit sourire, range son stylo dans la poche de sa blouse et cale sa planche sous son bras.
- On lui a fait plusieurs examens pour s'assurer qu'elle n'avait pas reçu de choc ou qu'elle n'avait pas de difficulté respiratoire. Les résultats sur le côté physique est bon, elle n'a pas d'hématome ou de côte cassée mais en se qui concerne le reste on a découvert quelque chose
- Rien de grave ?
- Elle à une inflammation au niveau des bronches. Est-ce qu'elle s'est plainte d'une gêne dans la poitrine ces derniers temps ? Une toux ou une sensation d'essoufflement ?
- Elle toussait beaucoup c'est vrai, mais on pensait que c'était un virus. Ça veut dire quoi ?
- Votre fille fait de l'asthme monsieur Valente, et avec l'inhalation de la fumée son inflammation s'est aggravée
- Il y a quelque chose à faire ?
- On lui a prescrit une prise quotidienne de corticoïdes inhalés en traitement de fond, et des corticoïdes en comprimés en cas d'exacerbation puisque au vu de son état elle est susceptible d'en faire
- Elle s'est réveillée ? je demande finalement
- Oui, elle est consciente et pour le moment tout va mieux. Elle se repose, si vous voulez aller la voir, ça sera juste un par un
Après avoir répondu à nos autres questionnements, l'infirmière est partie est le père de Luna est allé la voir. Même si je serais à cent pour cent rassuré que lorsque je l'aurais vu de mes propres yeux, disons que la savoir en vie me console un peu.
- Matteo ? Tu peux y aller
Miguel me tapote l'épaule tout en m'adressant un sourire, et m'indique la porte dans laquelle sa fille se trouve. J'actionne doucement la poignée, la peur au ventre quand son lit apparaît devant moi. Elle me sourit, faiblement. Je soupire de soulagement en passant mes mains dans mes cheveux, encore planté devant la porte. Je l'entends rire, et je finis par m'approcher.
- Ça va ? je demande doucement
Elle hoche la tête de haut en bas.
- Oui, je crois
- J'ai eu tellement peur, et je m'en voulais pour cette dispute de merde ce matin. Tu ne pars plus chez toi tant qu'on a pas discuté maintenant, c'est interdit
Elle rit une seconde fois, et ce son me détend un peu.
- Ne t'inquiète pas, et puis tu as eu la preuve que je ne disparaîtrai pas aussi facilement de ta vie
Je lui souris, et me penche vers elle pour lui déposer un bisou sur le front avant de la regarder dans les yeux.
- Ça tombe à pic alors, parce que je ne compte pas te lâcher
Je dépose mes lèvres sur les siennes, sous le tambourinement de mon coeur contre mon torse. Je n'apprécierai jamais autant nos baisers qu'après ça.
Mais je trouve ça triste au fond de moi, que l'être humain ait besoin d'épreuve comme celle-là pour se rendre compte à quel point il tient à quelqu'un.
- Je t'aime me souffle-t-elle au creux de mes lèvres
~~
Fin.
Petite morale de fin : profitez de vos proches et n'attendez pas qu'il soit trop tard pour leur dire que vous les aimez
Prenez soin de vous <3
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top