Chambre 14

partie 3

Mon téléphone vibre contre le bois de ma table de nuit. Une fois. Puis deux.

Mon esprit, encore engourdi par le sommeil, flotte entre rêve et réalité.

Une troisième vibration.

Je remue contre mon oreiller, mes paupières frémissent. La lumière matinale s'infiltre entre les rideaux, dessinant des éclats dorés sur les draps froissés.

Une quatrième vibration.

Cette fois, je me redresse, encore ensommeillée. À côté de moi, il bouge légèrement lorsque je dégage doucement son bras, mais ne se réveille pas. Mon regard glisse vers son visage paisible, détendu dans le sommeil, avant de dériver vers mon téléphone.

L'écran lumineux m'éblouit un instant. Nina m'a envoyé une tonne de messages, mais l'un d'eux capte immédiatement mon attention.

Matteo
Je peux t'appeler ?

Mon souffle se suspend un instant.

Je tourne la tête vers Adrian, toujours profondément endormi dans le lit king-size, sa respiration lente et régulière. Un soupir m'échappe.

Attrapant mon gilet en soie posé sur une chaise, je l'enfile rapidement avant de quitter la chambre sur la pointe des pieds. La baie vitrée coulisse en silence derrière moi alors que je me retrouve seule sur le balcon.

L'air est déjà chargé de chaleur, et le Lac de Côme s'étend devant moi, paisible, miroitant sous le soleil matinal. Pendant une seconde, la beauté du paysage apaise la vague de mauvaise humeur qui m'avait enlacée au réveil.

Je fais glisser mon doigt sur l'écran, appuie sur l'icône de contact et porte le téléphone à mon oreille, les bras appuyés sur la rambarde en fer forgé.

Quelques sonneries plus tard, sa voix résonne enfin.

- Il t'en a fallut du temps pour m'appeler rit-il.

- J'ai pas entendu mon téléphone je lui réponds sur le même ton.

- Pourquoi, t'es où ?

Je fais une grimace, comme s'il pouvait me voir.

- Je suis pas sûre que t'ai envie de le savoir.

- T'es avec un mec ?

Je hausse les épaules, un sourire en coin. Je ne réponds pas à sa question.

Il explose de rire.

- J'y crois pas, sérieux t'es avec un mec ?

- Pourquoi tu voulais m'appeler ?

Il se reprend un peu, mais je le sens sourire à travers le téléphone.

- Je suis invité à la fête nationale, cette fois il n'y a pas d'excuse de saint valentin, mais, est-ce que tu voudrais venir ?

Un sourire étire mes lèvres malgré moi.

Cinq mois. Cinq mois depuis cette nuit où tout a commencé. Je l'ai laissé dans sa chambre d'hôtel au petit matin, le goût de son baiser encore imprimé sur les miennes. Un dernier regard, un dernier adieu, sans promesse ni illusion. Juste l'évidence que cette parenthèse devait se refermer là.

Et pourtant, il est toujours là. Comme un écho à cette soirée qui refuse de s'effacer.

- C'est ce soir, t'es au courant ?

- Ouais, mais, qu'est-ce que ça change ?

Je hausse les épaules, un sourire en coin. Rien de surprenant, en réalité. C'est du Matteo tout craché. Il débarque à la dernière minute, sans prévenir, avec cette façon déconcertante de rendre l'imprévu excitant.

Après tout, c'est exactement comme ça que tout a commencé entre nous. Une Saint-Valentin inattendue, deux inconnus. Et pourtant, cette soirée est restée gravée en moi bien plus que je ne l'aurais cru.

- Tu payes ?

- Tu comptes faire ça à toutes les soirées ?

- Parce qu'il y en aura d'autres ?

- À toi de voir.

Un silence s'installe, léger mais chargé de quelque chose d'indéfinissable.

Notre soirée du 14 février m'est revenue en boucle tant de fois. Sans raison apparente. Ou peut-être que si. Peut-être parce que c'était différent, parce qu'il y avait cette spontanéité, cette insouciance presque enfantine qui rend tout plus intense.

J'ai aimé cette folie. J'ai aimé ne pas savoir où la nuit nous mènerait, j'ai aimé cette sensation de vivre pleinement, juste pour quelques heures. Et peut-être, sans vraiment me l'avouer, que j'ai aimé la partager avec lui.

- Écoute Britney, réfléchis y, mais ton dernier vol est à 17h30 si tu veux avoir le temps de te préparer et d'être là pour 21h.

J'ouvre la bouche pour répondre, mais il me devance une nouvelle fois.

- Et le mec avec qui t'es, n'est pas invité.

Je souffle un rire.

- À plus tard, Luna.

Et il raccroche.

**

14 juillet – Paris

Point de vue de Matteo

La nuit tombe lentement sur Paris, peignant le ciel d'un bleu profond, parsemé des premières étoiles. La fête bat son plein au Champ-de-Mars. Des dizaines de groupes se sont formés un peu partout, des rires éclatent, des verres s'entrechoquent. Les effluves de bière, de vin et de cocktails sucrés flottent dans l'air, se mêlant à l'odeur estivale des grillades et du bitume chauffé par le soleil de la journée.

Mais moi, je ne suis pas totalement là.

Je suis un peu en retrait, près d'un stand de boissons, mes doigts tapotant nerveusement le rebord d'une table haute. Mon regard dérive sans vraiment voir la foule qui danse et s'agite sous les lumières de la ville.

Luna n'a pas répondu.

Rien. Aucun message. Pas même un accusé de réception.

Et moi, comme un idiot, j'ai passé la soirée à scruter mon téléphone à chaque vibration, chaque notification, avec l'espoir absurde de voir son nom s'afficher.

Est-ce qu'elle a changé d'avis ?

Est-ce que ce mec, celui chez qui elle était ce matin, a quelque chose à voir avec son silence ?

Un goût amer me reste en travers de la gorge. Ce matin, quand elle a esquivé mes questions sur lui, j'ai ri. Mais la vérité, c'est que ça m'a fait tiquer. Parce que Luna n'est pas du genre à cacher les choses. Si elle n'a rien répondu, c'est peut-être parce que la réponse aurait été celle que je ne voulais pas entendre.

Et si elle était restée avec lui ?

Si elle avait décidé que cette histoire, ce jeu, ce hasard qui nous a réunis cinq mois plus tôt, ne valait pas la peine d'être prolongé ?

Je serre la mâchoire et vide mon verre.

- Mec, t'as une de ces têtes, m'fait remarquer Simon, un de mes potes présent pour la soirée.

Je hausse une épaule, l'air de rien.

- J'ai pas dormi assez, je lance.

C'est faux, mais ça lui suffit.

J'enfonce mes mains dans mes poches et observe la foule, un léger agacement me gagnant. J'aurais pas dû autant espérer. J'aurais dû être plus lucide. Luna n'est pas du genre à se laisser attacher. C'est ce qui m'a attiré chez elle au départ, ce côté insaisissable, ce défi permanent.

Mais ce soir, j'aurais voulu qu'elle le soit. Juste un peu.

Quelqu'un me tapote l'épaule.

Je me retourne, sans trop d'attentes.

Et je me fige.

Luna.

Elle est devant moi, dans une robe blanche qui épouse ses mouvements comme si elle était faite d'air. Presque transparente sous les lumières du Champ-de-Mars, avec ce col noué qui laisse sa nuque dégagée, et ses cheveux relevés à la va-vite, quelques mèches folles s'échappant ici et là.

Elle est là.

Son sourire, ses yeux rieurs, la lueur de défi qui danse dans son regard. Et dans ses mains, deux shots. Comme si elle était venue tout droit de cette nuit de février, comme si cette soirée nous était à jamais liée.

- Excuse-moi, je cherche mon Valentin d'une soirée, dit-elle, malicieuse.

Ma gorge se serre.

- Alors, reste pas là à me regarder. Cul sec !

Je rigole malgré moi et attrape le shot qu'elle me tend. On le boit en même temps, et l'alcool brûle, mais c'est rien comparé à l'effet qu'elle me fait.

Je la regarde, incapable de détourner les yeux.

- T'as pris ton temps, je finis par dire, un sourire en coin.

Elle hausse une épaule.

- Mon vol avait du retard, répond-elle simplement. Alors j'ai tracé à l'hôtel pour me changer et avoir une chance d'arriver dans les temps.

Je hoche la tête.

Un silence se suspend entre nous. Ce matin, on était à des kilomètres l'un de l'autre, séparés par un pays entier, par une parenthèse que l'on aurait dû refermer. Mais elle est là.

Je plisse légèrement les yeux, un sourire narquois au bord des lèvres.

- Alors, t'as laissé ton petit ami en Italie ?

Elle éclate de rire.

- C'était pas mon petit ami. Juste un mec. Rien de plus.

Son assurance me frappe de plein fouet, et sans que je puisse le contrôler, un poids s'allège dans ma poitrine.

Elle n'était pas avec lui.

Et ce soir, elle est avec moi.

- Alors ? je demande, haussant un sourcil. Prête à fêter ça ?

Elle esquisse un sourire, recule d'un pas et tend sa main vers moi.

- Toujours.

Je glisse mes doigts entre les siens, et cette fois, je ne compte pas les lâcher.

La soirée file à toute vitesse.

Luna se fond dans mon groupe de potes comme si elle en avait toujours fait partie. Je la regarde, un verre à la main, fascinée par la façon dont elle s'adapte instantanément. Elle rit aux conneries de Simon, se moque gentiment de Ambre qui galère à finir son cocktail trop sucré, et échange un regard complice avec Sam après qu'il ait raconté une anecdote gênante sur moi.

- Alors comme ça, monsieur le chanteur a déjà failli se faire recaler à l'entrée d'un club ? me taquine-t-elle.

Je roule des yeux.

- C'était un malentendu.

- T'étais trop bourré pour te souvenir du code du vestiaire, rectifie Sam en éclatant de rire.

- Ouais, bon. Ça arrive, je souffle en secouant la tête.

Luna rit avec eux, et c'est étrange, cette sensation qui me serre le ventre. Parce que je réalise que c'est la première fois que je la vois intégrée à mon monde, et pas juste dans une bulle hors du temps où nous sommes seuls, elle et moi.

Et j'aime ça.

La musique pulse autour de nous. Paris vibre sous nos pieds, et l'alcool nous enivre doucement. On danse, on hurle en chœur les paroles des chansons qui passent, on s'éloigne parfois du Champ-de-Mars pour aller chercher à boire ou trouver un coin plus tranquille avant de revenir au centre de la fête. Tout se mélange : les lumières, les rires, les bruits des bouteilles qui s'entrechoquent.

- J'ai une idée géniale ! hurle Simon au milieu du bar, visiblement trop fier de lui.

Ambre lève les yeux au ciel.

- Ça commence toujours comme ça, et ça finit jamais bien...

Je suis d'accord avec elle, mais je suis trop curieux pour ne pas demander :

- C'est quoi ton plan foireux cette fois ?

Simon affiche un sourire en coin et se dirige vers le comptoir. Il attrape une bouteille posée sur une étagère derrière le bar – probablement une bouteille hors de prix – et la soulève comme s'il venait de gagner un trophée.

- Pourquoi payer nos verres si on peut juste...

Il n'a pas le temps de finir sa phrase.

D'un mouvement maladroit, il fait basculer la bouteille contre une autre, qui cogne une troisième... et en une fraction de seconde, trois bouteilles explosent sur le sol dans un fracas monumental.

Le silence qui s'abat sur le bar est terrifiant.

Le barman, un type baraqué avec des avant-bras de catcheur, tourne lentement la tête vers nous.

- Oh, merde, souffle Luna à côté de moi.

Le barman pose les mains sur le comptoir et nous fixe.

- Vous allez payer ça.

Simon déglutit, fait un pas en arrière... et se retourne vers nous avec un regard paniqué.

- C'EST LE MOMENT DE COURIR !

En une seconde, tout le groupe explose en mouvement. On se précipite vers la sortie, renversant une chaise au passage, bousculant des clients interloqués.

- Revenez ici, bande de petits cons ! hurle le barman en enjambant le comptoir.

On éclate de rire en déboulant dehors, nos corps propulsés par l'adrénaline et l'alcool.

- Putain, Simon, t'es vraiment un boulet ! s'exclame Ambre en essayant de reprendre son souffle.

- On est grillés dans ce bar à vie, ajoute Sam en riant.

Luna s'agrippe à mon bras, pliée en deux de rire.

- C'est une habitude chez toi de partir des bars en courant sans payer, alors ?

- Seulement quand je suis bien accompagné.

Elle arque un sourcil, amusée, mais ne répond rien. Juste son regard, brillant sous les réverbères, qui me rappelle à quel point cette soirée de Saint-Valentin nous a marqués.

Je souris et passe un bras autour de ses épaules alors que nous continuons de marcher dans la nuit parisienne, loin du bar où nous sommes désormais black listé.

- C'est officiel, dis-je. Ce soir, on fait les 400 coups.

Elle lève la tête vers moi, son regard pétillant.

- Comme si on savait faire autrement.

À un moment, Luna et moi nous retrouvons un peu à l'écart du groupe, assis sur le rebord d'une fontaine.

- Alors, Paris te plaît toujours autant ? je demande en la regardant.

Elle hoche la tête, un sourire en coin.

- J'aime surtout la manière dont j'y passe mes soirées, avoue-t-elle en faisant tourner son verre entre ses doigts.

Je souris à mon tour.

- La dernière fois, c'était une Saint-Valentin improbable...

- Et cette fois, c'est une fête nationale complètement improvisée, complète-t-elle.

Nos regards se croisent, et il y a ce truc, ce fil invisible qui nous lie depuis cette nuit de février. Ce hasard qui n'en est plus un.

Soudain, un cri fuse derrière nous.

- Bordel, le feu d'artifice !

On tourne la tête en même temps.

Ambre, Simon et les autres sont à une dizaine de mètres, visiblement pris dans leur propre délire, mais maintenant qu'ils réalisent que le spectacle va commencer, ils sprintent pour revenir vers le Champ-de-Mars.

Luna éclate de rire et se lève d'un bond.

- Allez, Matteo, t'as intérêt à courir vite !

Je n'ai même pas le temps de protester qu'elle attrape ma main et m'entraîne à sa suite.

On court dans la foule, slalomant entre les groupes, bousculant des inconnus en lâchant des « pardon ! », explosant de rire à chaque écart de trajectoire. La Tour Eiffel scintille au loin, et à l'instant où nous atteignons enfin notre groupe...

La première explosion illumine le ciel.

Un feu doré éclate au-dessus de nous, s'étendant en une pluie d'étincelles, suivi d'un autre, puis d'un troisième.

J'ouvre la bouche, essoufflé, prêt à faire une remarque, mais Luna me devance.

Elle attrape mon visage entre ses mains et m'embrasse.

Son souffle encore coupé par notre course, son rire mourant contre mes lèvres.

C'est un baiser électrique, vibrant, comme tout ce qui nous entoure. Ses doigts glissent dans ma nuque, mes bras l'enlacent instinctivement. Autour de nous, le ciel explose de mille couleurs. Des acclamations retentissent dans la foule, mais tout ce qui existe, c'est elle.

Luna.

Sa peau tiède sous mes doigts, sa robe légère qui frôle mes jambes, son corps pressé contre le mien.

Quand on se détache, son regard brille autant que les feux d'artifice.

- Bonne fête nationale, Matteo, souffle-t-elle, un sourire au bord des lèvres.

Je ris doucement et caresse sa joue du pouce.

- Bonne fête nationale, Luna.

Et cette fois, je sais que la nuit ne s'effacera pas au petit matin.

Cinq mois d'absence.

~~

fin.

Cette fois, ce chapitre signe la fin de chambre 14 :)

J'espère que votre one shot de saint valentin vous aura plu !

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