Barman

Je suis un simple barman, dont le nom échappe vite aux clients. Je sers toute la journée, et j'ai l'impression d'être invisible pour la plupart des personnes qui s'engouffrent dans ce bar.
C'est étrange comme réflexion, étant donné que personne ne vient dans un endroit comme celui-ci pour prendre des nouvelles du barman.

Sauf peut-être une.

Elle vient tous les jours, à la même heure.
Elle s'assoit sur le siège tout à gauche du comptoir, et à chaque fois elle me raconte un bout de sa journée.
Elle la dit pas très passionnante, et pourtant elle a toujours quelque chose à me dire.
Elle me demande toujours la même chose, un thé, et elle me laisse choisir le parfum. On ne se connaît pas tant que ça, et pourtant lorsqu'elle s'installe en face de moi et que nous commençons à parler de tout et de rien, c'est comme si on se connaissait depuis des années.
Je n'ai jamais réussi à savoir si elle était comme ça avec tout le monde, ou si tout ça n'était pas anodin.
Au delà du fait qu'elle me prête un tant soit peu d'attention, elle est aussi très belle. Je ne saurais l'expliquer. Son visage est doux, et lorsqu'elle sourit j'ai l'impression que mes problèmes disparaissent de ma vie, comme s'ils devenaient soudainement plus insignifiants.
Et les petites étoiles qui scintillent dans ses yeux quand elle est heureuse, transforme son regard.

Tout a dérapé, le soir du quatorze juillet. Les feux d'artifice étaient tirés sur la plage, en face du bar. Comme à son habitude elle est venue, je lui ai servi un thé et elle s'est tournée vers la grande baie vitrée qui donne une vue plongeante sur l'océan. Elle m'a fait signe de la rejoindre sur le tabouret d'à côté, pour regarder le spectacle. Le bar était presque vide à l'intérieur, il n'y avait que nous. L'ambiance était tamisée, seules les lumières des feux venaient s'infiltrer dans la pièce. Et je ne sais pas vraiment ce qu'il s'est passé, on était proches, et à plusieurs reprises on s'est regardés intensément. J'avais terriblement envie de l'embrasser, et cette proximité entre nous n'arrangeait rien.
Elle s'est levée, pour être plus près de la vitre alors je l'ai suivie, elle a posé sa tête sur mon épaule et à enroulé son bras autour du mien. On profitait simplement de ce qui se déroulait sous nos yeux, c'était magnifique. Puis quand le dernier feu d'artifice a été tiré, elle a relevé la tête pour me sourire. Nos regards se sont pour la énième fois croisés, ils se sont mélangés, ils sont tout deux descendus un peu plus bas et on s'est lentement rapprochés.

On s'est embrassé sous la pluie d'étoiles colorées, et depuis ce jour là, je ne l'ai plus jamais revu.

Ça fait maintenant deux mois, nous sommes en Septembre. Deux mois qu'elle n'est pas revenue, qu'elle ne m'a pas sourit comme elle savait si bien le faire, et qu'elle ne m'a pas demandé de choisir le parfum de son thé.
Ma vie est redevenue d'un banal ennuyant. À ses côtés, juste l'espace d'un instant, j'avais l'impression d'exister pour quelqu'un.
Je n'ai plus vraiment espoir qu'elle franchisse cette porte. Elle a simplement dû se rendre compte comme tout le monde, que le barman n'était pas si intéressant que ça. Et je crois que je ne lui en voudrais pas pour ça, parce que c'est un peu vrai.
Je ne suis pas intéressant, et le simple fait qu'elle m'ait accordé un peu de son temps m'a même étonné sur la durée.

Aujourd'hui je n'ai même pas levé la tête pour voir qui entrait. Les gens sont rarement polis, et je n'avais pas envie de leur souhaiter un bonjour sans qu'il n'y ait de retour.
Je continue d'essuyer mes verres, dans le silence, coincé dans mes pensées. Puis deux mains se sont posées sur le comptoir.

À sa place.

Je lève les yeux, et mon cœur fait un bon dans ma poitrine.

Elle est là, un petit sourire timide sur les lèvres.

Je ne sais pas si je dois être surpris, heureux ou alors en colère qu'elle se pointe ici comme une fleur après deux mois sans nouvelle.
Elle me regarde, de ses yeux perçants. Elle mordille sa lèvre comme elle aime si bien le faire lorsqu'elle est nerveuse, puis s'approche un peu de moi. Elle attrape le stylo qui est accroché à la poche de mon tablier, et fouille dans son sac pour y ressortir un bout de papier. Je la vois y inscrire quelque chose, avant de le glisser jusqu'à moi. Je la questionne du regard, retissant. Je ne suis pas sûr de vouloir regarder ce qu'elle a inscrit sur cette feuille, mais je fini par la déplier.

Enchantée, moi c'est Luna

Je souris face à cette phrase. Elle est peut-être anodine, mais c'est de cette manière que l'on s'est parlé la première fois.
Alors, je lui attrape à mon tour le stylo et y inscrit la phrase suivante :

Enchanté, moi c'est Matteo

C'est à son tour de sourire. Je croise les bras sur le comptoir, m'approchant d'elle pour la même occasion. Tandis qu'elle me donne une seconde fois le papier.

Tu aurais un thé à mon conseiller ? Quelque chose de très apaisant

Le fait qu'elle se souvienne aussi bien, mot pour mot de notre première conversation m'étonne et me fait plaisir à la fois.

Journée difficile ?

Notre jeu continue, elle déplie le papier et continue à marquer ses différentes répliques.

Un peu, mais j'essaye d'oublier

Ce jour là, je lui ai tendu sa tasse de thé à la menthe.

Il te faudra autre chose ?

Je prends une énième fois le bout qu'elle me tend. Sa réponse à l'époque était "non",elle m'a simplement souri et puis elle a commencé à me questionner sur ce que je faisais, si ça faisait longtemps que je travaillais ici ou non, et c'est ainsi que nos petites discussions habituelles ont débuté.

Mais lorsque j'ouvre le papier, je retrouve une tout autre réponse.

Oui, ton numéro

Je lève les yeux vers elle, et elle me sourit maladroitement. Elle se tortille d'un pied à l'autre, les joues rosies. Cette situation lui donne un air innocent. Je me mets à sourire inconsciemment, en la voyant dans cet état. J'attrape la stylo, puis lui écrit une réponse et le lui tends.

Mon numéro se mérite mademoiselle

Elle me regarde à son tour. Je me perds facilement à travers les étoiles qui brillent dans ses yeux, puis son sourire m'hypnotise. Elle se mord la lèvre, écrit et me rend le papier.

J'ai une idée derrière la tête, mais je ne suis pas sure d'avoir l'accord

Je ne tarde pas à lui redonner son petit mot. Je reste accoudé au comptoir du bar, face à elle, en attendant sa réaction.

Je te fais confiance. Essayes

Elle semble hésiter.
Elle me regarde, comme si elle tentait d'apercevoir une réponse à travers mes yeux.
Elle fait d'abord glisser le papier à côté de nous, puis elle se met dans la même position que moi. Nos visages sont proches, je peux sentir son souffle chaud s'écraser contre mon nez.
Nos mains se frôlent, et puis elle s'élance sur la pointe de ses pieds.
Elle s'approche doucement, mon regard reste bloqué sur ses lèvres durant un petit moment. Et puis finalement, je comble l'espace qui restait entre nous.
Nos lèvres se touchent, et tout à coup, c'est une seconde explosion au creux de mon ventre.
Je souris, au fur et à mesure que le baiser s'intensifie. Mes mains viennent prendre place sur ses joues brûlantes, la tenant encore un peu plus près de moi.
Puis on se détache.

Je suis pendue à ses lèvres. J'aime ses yeux, et le sourire qu'elle est en train de m'adresser. J'aime le fait qu'elle se tienne sous mes doigts, et qu'elle soit revenue, juste pour moi.




~~

Fin.

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