Shoot 1
Shoot 1
Vue de Hira
Je t'attendais là, sur cette plage, face à cette grande étendue d'eau bleue infinie, baignée par les rayons du soleil de fin de journée, je le voyais à l'horizon, qui se couchait au-dessus d'une mer reflétant les couleurs pastels du ciel.
Je t'attendais là, sans comprendre un seul instant que je n'allais plus jamais te revoir, Sabito. Jamais je n'avais pensé que tu m'abandonnerais comme ça, d'une façon pareille, d'une manière si lâche et si terrible.
Pourquoi ?
Pourquoi tu m'as fait ça ?
Pourquoi maintenant ?
Sabito, pourquoi ?
Toi et moi, nous nous connaissions depuis seulement quatre ans, mais c'était comme si on se connaissait depuis une éternité. Je me souviens de tout, d'absolument tout, dans les moindres détails, de parfaitement tout.
Tu étais chez Maître Urokodaki alors que tu n'avais que dix ans, tu venais de perdre tout ce qui était cher à ton coeur, parce que ces putains de démons avaient encore arraché le coeur d'un être trahi par la vie, tu as été trahi par la vie comme l'on était bien des gens. Tu venais de perdre tes parents, ta soeur, ton frère, ta famille entière, celle qui t'avait toujours abrité, celle en qui tu avais grandi dans la confiance d'une vie prospère, et en seulement une nuit, en seulement quelques minutes, tu as tout perdu.
Je me souviens encore de l'émotion que tu avais, des larmes que tu as versées quand tu as enfin eu le courage de me confier tout ce que tu avais sur le coeur, ce beau jour d'été, alors que nous avions fini un dur jour d'entraînement, et que nous étions tous les deux, seuls, face à la mer, assis sur le sable fin de la petite plage en contre-bas de la colline où est le chalet du Maître.
-Hira, tu te rends compte de la cruauté de ce monde ?! avais-tu lâché entre les larmes, complètement dévasté, bien loin du Sabito que je connaissais, avec ce sourire de grand frère réconfortant et cette bonne humeur communicative. Je n'avais que dix ans, putain, et je me suis réveillé au beau milieu de la nuit parce que j'avais soif, et je l'ai vu, je les ai vus. Ils étaient trois, trois putains de démons, ils ne m'ont pas vu, mais je les ai vus, et putain ce que j'étais terrifié, et je n'ai même pas cherché à protéger ou à prévenir ma famille, nan, j'ai préféré me cacher et à penser à ma pauvre petite pomme plutôt que de sauver ceux qui étaient plus chers à mon coeur, et qui méritaient bien plus de vivre que moi.
-Arrête de dire ça ! avais-je protesté, tu mérites autant de vivre que tout le monde et...
-Mais j'ai été égoïste ! m'avais-tu coupé, presque en hurlant, les larmes redoublant sur tes joues en cascade. J'ai préféré penser à moi plutôt qu'aux autres ! Tu te rends compte du connard que je suis ?! J'aurais préféré mourir à leur place ! J'aurais préféré mourir avec eux ! Je me sens tellement coupable de n'avoir rien dit, de ne pas avoir confronté les démons, de n'avoir prévenu personne, d'être resté lâche et muet devant la scène horrible qui se déroulait devant mes yeux... JE SUIS COUPABLE, PUTAIN ! Hira, ma famille est morte à cause de moi !
-Tu n'avais que dix ans ! avais-je alors crié, tellement prise dans ton histoire, je me souviens même que mon coeur s'était serré dans ma poitrine. Tu ne pouvais pas confronter les démons, ils allaient te manger tout cru, tu ne pouvais pas te défendre ! Arrête de rejeter la faute sur toi, Sabito ! Tu as agi comme tout le monde aurait fait, tu n'as pas à te sentir coupable, tu n'as pas à te sentir égoïste, tu as agi comme tu devais faire ! Je sais que ta famille te manque, mais tu as fait ce qu'il fallait, et tu n'y peux rien, les démons détruisent des vies, et si on est là aujourd'hui, c'est pour les exterminer...
Tu avais simplement hoché la tête, le visage tellement ravagé par la tristesse, la culpabilité et les larmes que tu ne pouvais plus rien dire, tu avais crié ce que tu avais besoin de crier, et j'étais presque honorée d'être celle à qui tu t'étais confiée. À cet instant-là, nous nous connaissions depuis seulement trois mois, et tu avais fait de moi ta confidente, une personne importante pour toi, et je me souviens de ce sentiment de fierté que j'éprouvais en t'écoutant.
J'étais quelqu'un pour toi, putain.
De nos dix ans à nos quatorze ans, nous étions seulement tous les deux chez Maître Urokodaki, il nous formait comme il avait formé des jeunes pourfendeurs bien avant nous, et, même s'il avait des méthodes plus que bizarres, c'était le meilleur des professeurs.
Je me souviens d'absolument tout. De la fois où tu m'as sauvée parce que Sakonji m'avait poussé du haut d'une falaise en sachant pertinemment que je ne savais pas nager. De la fois où je t'ai retrouvé évanoui dans la forêt parce que tu venais de te prendre un piège en pleine face. De la fois où nous sommes rentrés trempés, griffés de partout et fatigués d'un entraînement intensif, mais que nous riions aux éclats, juste parce qu'on était tous les deux.
Je ne saurais décrire à quel point ces quatre années ont été les plus belles années de ma vie. Tu le sais, moi aussi je n'ai pas eu un passé facile, et quand j'ai eu le courage de te le raconter, c'est parce que je me sentais en confiance, parce que je savais que tu allais me rendre la pareille, parce que je savais que tu serais là pour moi comme je l'ai été pour toi.
-Ma mère est morte en me mettant au monde, avais-je alors lâché en regardant l'horizon.
Et oui, nous étions encore sur cette fameuse plage, cet endroit qui n'était rien qu'à nous, cet endroit qui nous appartenait, cet endroit où nous avions absolument tout vécu.
-Ma mère est morte quelques heures après son dur accouchement... avais-je répété. Et mon père m'en a toujours voulu. À cause de moi, il avait perdu le grand amour de la vie, il me rejetait toujours la faute dessus même si je n'y pouvais rien, j'étais impuissante face à la situation, mais j'avais consciente d'être la coupable dans l'histoire... Alors je me murais dans le silence, j'acceptais les coups qu'il me donnait, j'acceptais les insultes qu'il me criait, parce que j'étais coupable, parce que j'étais responsable, parce qu'il avait raison de me traiter ainsi, c'est tout ce que je méritais après lui avoir fait perdre l'être le plus cher à son coeur...
-Tu ne méritais pas ce traitement, Hira ! avais-tu alors protesté, mais je t'ai alors coupé d'un geste de la main, m'incitant à me laisser continuer.
-J'étais persuadée que je le méritais... avais-je alors marmonné, mes yeux toujours rivés sur l'horizon pour ne pas te regarder, parce que je savais que j'allais craquer et que je ne devais pas pleurer, je ne pouvais pas pleurer, je ne voulais pas être faible devant toi. Et, un jour... Je suis partie dans le village voisin comme mon père me l'avait demandé pour faire quelques courses, et quand je suis rentrée le soir, après une longue journée à avoir marcher, à avoir négocier les prix et à me trimballer des produits lourds comme par possible pour le corps d'une petite fille de dix ans, mon corps gisait sur le sol, inerte... Et, cruellement, je n'ai même pas été triste. J'étais même soulagée...
J'ai laissé une pause, reniflant pour retenir un début de tristesse qui ne cherchait qu'à exploser, qu'à s'exprimer.
-J'étais soulagée parce que je n'allais plus vivre ainsi... Plus personne n'allait me frapper, plus personne n'allait m'insulter, plus personne n'allait me rappeler que je n'étais qu'une putain d'erreur et que je n'aurais jamais dû exister... Que ma naissance aurait dû être une bonne nouvelle si cela n'avait pas engendré la mort de ma mère... J'avais presque envie de remercier le démon qui avait tué mon putain de géniteur, je me sentais vide. Je ne savais pas quoi ressentir.
Et je me suis enfin tournée vers toi, et tu me regardais. Depuis longtemps ou pas, ça, je ne savais pas, mais je m'en fichais presque.
-C'est cruel de penser ainsi, hein ? avais-je alors demandé avec un faux sourire, mes yeux de plus en plus mouillés.
-Pas du tout, avais-tu alors affirmé avec un hochement de tête sérieux, l'air grave. Vu le traitement que t'as infligé ton père, c'est très compréhensible, Hira. Tu n'es pas cruelle, tu es juste envers toi-même, tu es réaliste.
-Merci de m'avoir écoutée, Sabito.
-Tu sais bien que je ferai tout pour toi, Hira.
Cette phrase, c'était presque comme une promesse entre nous. Nous étions inséparables, nous étions si proches, Urokodaki nous a même confié que jamais il n'avait eu de toute sa carrière de professeur deux élèves aussi proches l'un de l'autre, et j'étais presque flattée.
Nous nous sommes connus pendant quatre, nous nous sommes découverts pendant quatre ans. De nos dix à quatorze ans, c'était juste le paradis d'être à tes côtés, après toutes ces années de souffrance auprès de mon père tyrannique, et toi de te libérer de cette culpabilité qui pesait sur tes épaules.
Et vite, presque naturellement, cette amitié si puissante, si forte, si fusionnelle, s'est progressivement transformée en cette chose dont j'avais si peur : l'amour. Le vrai.
Je ne saurais dire quand est-ce que je suis tombée amoureuse de toi, mais c'était un vrai déclic pour moi. Un matin, je me suis réveillée dans cette chambre du chalet que nous partagions tous les deux, j'avais peut-être treize ans quand j'ai rougi pour la première fois en te voyant.
C'était un jour comme les autres, et pourtant, j'ai rougi comme je n'ai jamais rougi, comme si c'était la première fois que je te voyais, mais non, cela faisait des années que chaque jour semblait être un même jour éternel à tes côtés.
Mais l'amour, j'en avais si peur. Après tout ce que mon père m'avait fait subir, j'avais peur d'avoir la relation que mes parents éprouvaient quand ils étaient ensemble, parce que j'avais peur d'être blessée plus tard par ton absence plus tard, si jamais un malheur t'arrivait.
J'ai commencé à vivre au jour le jour, essayant d'ignorer ces sentiments qui grandissaient en moi à ton égard, essayant de les repousser, mais c'en est presque devenu impossible, tu me fais tourner la tête, tu me rendais folle, Sabito. Mon monde tournait désormais autour de toi et de toi seul.
Et comme par un miracle de la vie, un beau jour, en fin de journée, comme à notre habitude, nous faisions cette petite promenade sur cette plage qui était presque devenu un rituel entre nous, une tradition qui réchauffait nos coeurs, qui nous mettait de bonne humeur, encore une chose rien qu'à nous deux.
Puis nous nous sommes arrêtés devant le coucher de soleil. Le moment était parfait. Nous nous tenions la main sans même savoir comment c'était arrivé, nous regardions ce spectacle de la nature qui se déroulait devant nous avec une perfection inestimable, et nous nous sommes tournés l'un vers l'autre.
Ce premier baiser, c'était presque naturel, comme si c'était écrit depuis longtemps, comme si tout ça n'était qu'un vilain coup du destin. Le début d'une grande histoire, la promesse que nous mourrons ensemble vieux dans une petite maison après avoir terrassé tous les démons du monde entier.
Urokodaki s'est d'abord un peu moqué de nous, il nous a taquinés "ah, les amours de jeunesse, comme c'est beau..." avec une once de regret, comme s'il avait vécu ça aussi, quand il avait notre âge.
Chaque jour était un diamant tant que tu étais là, Sabito.
Quand nous riions ensemble pour tout et pour rien.
Quand tu me prenais dans mes bras quand ça n'allait pas.
Quand je te consolais quand ta culpabilité était encore trop forte et insupportable pour toi.
Quand tu étais encore là.
Quand j'étais encore là.
Quand nous étions encore là.
Quand nous étions encore ensemble.
Les quatre ans à tes côtés, cette promesse d'éternité entre nous, tout s'est écoulé en seulement quelques secondes, ces quelques secondes où je t'ai perdu, pour toujours et à jamais.
Quatre ans à nous entraîner pour ce jour fatidique.
Quatre ans à apprendre à nous battre avec le meilleur pour réussir ce test.
Quatre ans à deux.
Quatre ans de bonheur.
Quatre ans.
Quatre ans perdus en quelques secondes.
La sélection finale. Pour laquelle nous nous sommes entraînés. Pour laquelle nous nous sommes battus. Pour laquelle notre amour aurait dû nous lier.
Mais il nous a détruits.
Nous devions nous battre ensemble pour la sélection finale.
Nous devions nous en sortir ensemble.
Nous avions tout prévu.
Mais tu es parti seul de ton côté.
Pendant de longues heures, je m'en suis sortie, et notre lieu de rendez-vous au caas où nous étions séparés était cette plage.
Cette putain de plage.
Notre plage, Sabito.
Notre plage.
J'ai attendu.
J'ai attendu longtemps.
J'ai attendu, dans le déni.
Dans la tristesse.
J'avais déjà compris que tu ne viendrais pas.
Mais j'ai continué d'espérer.
J'ai continué de penser que tout ça n'était qu'un putain de cauchemar éveillé.
Puis Urokodaki est venu me voir, l'air désolé, l'air dévasté.
Et il m'a dit que tout était fini.
Que tu avais brisé notre promesse.
Que tu étais parti sans moi.
Que tu m'avais laissé seule.
Que tu m'avais abandonnée.
Que tu n'étais plus là.
Que je venais de perdre la personne qui comptait le plus pour moi.
Que j'ai perdu l'amour de ma vie.
Que je t'ai perdu.
Que je t'ai perdu, toi.
Sabito.
Je t'aime.
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