Chapitre 99 : nos adieux
SHAYNE
- J'arrive, Nala, j'arrive. Il me faut juste deux trois trucs.
Après des jours de préparation, de transports et de remise en place, le silence avait finalement trouvé un équilibre avec les mots qui nécessitaient un exécutoire vital. Partir était devenue un élément de survie. En revanche, survivre auprès de sa famille, alors que Shayne avait la vulgaire envie de disparaître six pieds sous terre, était devenu plus complexe. Du moins...
Jusqu'à ce qu'il ne reste plus que quelques heures avant le grand départ.
C'était donc le retour aux origines.
Alors que Nala gara sa voiture dans l'allée de sa maison, à la base militaire, Shayne sortit en trombes pour éviter la pluie stridente qui avait décidé de le tremper de la tête aux pieds en moins de quatre mètres, distance qui séparait la porte passagère à celle de l'entrée.
Et quand il la claqua derrière lui, c'était le retour de l'obscurité.
Les quelques lumières, surtout celle des phares de la voiture, parvenaient à déchirer les fenêtres, pour tomber en faisceaux poussiéreuses sur un sol toujours aussi jonché de cadavres de bouteilles.
C'était sa dépravation. Sa débâcle. Sa débauche macabre qu'il n'avait pas revu, depuis qu'il avait reçu, en prime, une bague sans mariée.
Mais étrangement, ses épaules ne s'affaissèrent pas, lorsqu'il s'enfonça dans cette obscurité...
Il s'y retrouva, même.
Il tendit les mains pour ne pas se cogner dans la table de la cuisine, ni le coin du canapé du salon, et passa fantomatiquement dans les couloirs, remerciant le ciel de ne pas pouvoir voir les cadres écorchés d'une famille qu'il avait essayé de construire après tant d'années de haine et de solitude.
Dans un petit soupir, il pivota dans la direction et alors qu'il s'apprêtait à allumer la lumière, sachant pourtant très bien qu'il n'y en avait plus, il fut aveuglé par les lueurs déchirantes qui venaient des autres maisons de la base, depuis la fenêtre.
Un pas en avant, et il put découvrir tout ses anciens collègues et voisins craquer, sous le péril massacrant qui faisait office de fléau, ces derniers mois.
Ils ployaient et criaient. Se dépêchaient et partaient.
Mais pas Shayne.
Lui, resta figé devant ses rideaux monochromes et mal formés, plus calme encore qu'en plein sommeil... Au point où, depuis longtemps, il parvint à prendre une grande inspiration.
L'odeur du chaos... Voilà le seul parfum qui arrivait encore à l'enivrer.
- Shayne ?
La porte d'entrée claqua sous l'entrée de Nala et Shayne sortit de sa contemplation en venant s'agenouiller devant son lit aux draps défaits, pour attraper un sac.
- J'ai presque fini !
Dans une nuée de jurons, l'officier renversa tous les tiroirs de ses armoires et chercha avec désespoir des vêtements propres ou d'autres biens à enfoncer dans son misérable sac vide. Malheureusement, plus il fouilla, plus il se rendit compte qu'en réalité, il n'y avait rien de propre à emmener.
- Putain, il faut vraiment que je fasse une lessive.
Soudain, il redressa la tête, se rendant compte de ce qu'il venait de dire.
Bien sûr... une lessive.
Il fallait faire une lessive, avant de courir pour sa vie et celle de sa famille.
Secoué par un petit rire, il laissa tomber ses affaires sur le sol et s'assit sur le rebord de son lit, attrapant une bouteille encore fermée posée sur la table de chevet, par le goulot. Sentir le liquide ambré dans ses mains lui redonna l'impression que rien n'avait changé.
Il avait déjà vécu cette situation.
C'était sa boucle infernale.
Peut-être qu'il avait quand même réussi à crever. Le doute résidait néanmoins sur l'évènement catastrophique... Le Yémen ? Le Nigeria ? Son retour ? La naissance de Neil ? Le départ de Sarah ? Ses chutes ? Son opération ?
Nash ?
Pas de doutes. Le chaos devenait confortable...
Il s'apprêta à se redresser, quand soudain, quelque chose se mit à vibrer. Le front plissé, Shayne chercha son origine jusqu'à le retracer à son téléphone qu'il avait posé...
Qui était en train de l'appeler ?
Trop occupé à pencher la tête sur le côté, il ne réalisa même pas que Nala était rentrée dans la pièce. Ses yeux violacés par la fatigue perçaient à peine dans ses orbites marquées et c'était d'un pas fantomatique qu'elle se rapprochait de lui, à la main, Neil et sa tétine.
- Tu as fini ? On peut y aller ?
- Oui, je... Attends.
Il se tourna à nouveau vers son téléphone qui ne cessait de résonner sous l'appel et vibrait même son passage à travers le plan de la table de chevet.
Numéro inconnu.
Il redressa la tête vers la fenêtre, mais rien ne lui vint en tête.
Rien, absolument rien.
- Shayne ? Tu sais que tu es censé répondre, quand ton téléphone fait ce bruit-là ?
- Ouais... Ouais, je sais.
Cependant, aucun mouvement.
- Shayne ?
Qui était en train d'appeler ?
- Shayne !
- Quoi ?!
Nala s'avança dans la pièce et s'écria, ses cheveux noirs formant une auréole presque profane autour de son visage trop pâle.
- Qui t'appelles ?
- Mais je n'en sais rien !
- Alors réponds !
- Non !
- Pourquoi ?!
- Parce que la dernière putain de fois que c'est arrivé, c'était Jay qui m'appelait pour me dire qu'il t'avais trompé !
Il essaya tant bien que mal de ne pas expulser ses mots, mais il était trop tard. Le poison avait été éjecté... et à présent il s'étendait, là, avide de blessure, cherchant avec désespoir qui d'eux deux toucher.
Mais Nala ne dit rien.
Et Shayne en fit de même.
Il n'y avait que Neil qui gazouillait, lâchant la main de sa tante pour aller courir dans la maison.
La culpabilité vint immédiatement nouer l'estomac de l'officier qui se plia sur le lit, plongeant sa tête dans ses mains, tirant sur les petites mèches de cheveux qui regagnaient de plus en plus leur ferveur sur son front.
Pourquoi la blesser alors qu'elle était anéantie ?
Quel bien y avait-il à ça ?
Non, non, non...
Pitié...
- Je... Je suis désolé, Nala, j'aurais dû tout te dire depuis le départ, je... Putain, je ne suis rien d'autre qu'un con, je... Je ne sais même pas pourquoi je te dis ça maintenant ! Ha ! Qu'est-ce que t'es censée foutre avec cette information, hein ? Après tout ? Foutue... Putain !
Le bruit de son téléphone, toujours en résonance, accentua l'épinglant son des acouphènes dans ses oreilles et c'était avec colère qu'il l'attrapa et l'éclata contre le mur.
- Je suis désolé, Nala, je suis désolé, putain, je suis désolé, oublie ce que je viens de te dire, ça ne sert à rien, je...
- Shayne ?
Mains nouées derrière sa nuque, le jeune homme passa d'un côté à une pièce, continuant à s'excuser en boucles, malgré que Nala l'appela pour qu'il se calme...
Rien.
- Shayne !
Soudain, son cri se fit plus strident que n'importe quel autre son qui puisse l'assourdir et il se figea sur place, à quelques mètres d'elle. Ses yeux étincelaient sous les lumières, comme si un millier d'étoiles avaient décidé de se noyer dans un chagrin qu'on n'arrêtait plus.
Avait-il infecté le restant des fragments de son cœur ?
- Shayne... Je... Je suis enceinte.
L'air s'évapora des poumons de l'officier qui ne pensait même pas à le récupérer. À la place, il ne fit que fixer Nala, droit dans ses yeux qui déferlaient de larmes silencieuses. Elle non plus, ne semblait pas respirer.
Elle n'y arrivait peut-être plus.
- Dis quelque chose.
Ses épaules se mirent à se secouer sous un sanglot à qui on ne répondait pas et elle dut s'incliner sur les charnières de la porte de la chambre délabrée pour crier :
- Dis-moi quelque chose, je t'en supplie !
Quoi ?
Mais quoi ?!
- Putain, Shayne !
L'officier porta sa main à sa barbe, à la recherche du désespoir dont elle avait besoin. Pliée en deux, au point de s'effondrer, Nala ne retenait plus un seul sanglot.
Un millier sortaient de son âme comme si elle n'arrivait plus à les contenir... Démoniaques et viles, ils l'avaient hanté...
Jusqu'à présent.
Jusqu'à sa réponse :
- Je n'en sais rien... Je ne sais pas quoi te dire... Qu'est-ce que tu veux que je te dise ?
- N'importe quoi !
- Je... Mais bordel ! Comme... Quoi ? Que Nash était très fertile ?
À peine son dernier mot expulsé, que les sanglots se figèrent entre les lèvres tremblantes de la tireuse d'élite déchue...
Du moins, avant qu'un ricanement la transperce.
Elle parvint à se redresser et plaqua ses mains sur son ventre, alors que son rire s'intensifiait. Les larmes cessèrent de perler le long de ses joues et son euphorie devint contagieuse, car même Shayne se mit à sourire...
Pour que finalement, la maison se secoue sous le délire.
- Je n'en reviens pas !
- Et moi, alors ?
Leurs mains se rencontrèrent et c'était épaule contre épaule qu'ils éclatèrent de plus belle, jusqu'à ce que des crampes immondes ne les tordent en deux et qu'ils s'écroulèrent sur le lit défait. Nala porta son poing à la bouche pour étouffer une quinte asthmatique et il essuya le coin de ses propres yeux pour en dégager une larme.
- Putain...
- Ouais...
- On ne va pas survivre, pas vrai ?
- Hm hm.
Ils ne rirent pas, cette fois-ci. Ils s'échangèrent un sourire, mais rien ne les secouait à nouveau.
C'était bon, quand même.
Nala porta ses mains à son front pour se débarrasser de ses cheveux et Shayne frôla sa joue du bout des doigts pour lui assurer qu'il était bien encore là, lui.
- Hey. On va déjà commencer par sortir d'ici et de retrouver ta mère et Bonnie.
- D'accord.
- Et ensuite, on va continuer à rire. Parce que c'est drôle, ce qui nous arrive.
- Ouais. Une putain de blague.
Shayne l'attrapa par le poignet et la força à se relever du lit, avant de lui balayer les épaules, comme il l'aurait fait si elle avait été devant elle, en uniforme et qu'il s'assurait que tout était impeccable.
Voilà une remise de prix qu'il n'aurait manqué pour rien au monde.
Plus valeureux encore que n'importe quelle étoile d'argent, au détour d'une mission catastrophique.
Il se racla la gorge quand il redressa son regard à demi aveugle vers le sien et siffla entre ses dents serrées :
- Mais avant que ça n'arrive on va continuer.
- On ne lâche pas.
- Non. Ca, non. Jamais.
Nala jeta un coup d'oeil aux alentours et demanda, fluette :
- Tu as besoin d'autre chose, ici ?
Shayne prit une grande inspiration et regarda le tiroir de sa table de chevet où il avait enfoncé la bague de mariage de Sarah, quelques mois plutôt.
Mais malgré un silence, qui fut de courte durée, il lui assura, avec un sourire qui n'avait jamais été aussi énorme.
- Non. Non, je n'ai vraiment besoin de rien d'autre.
- Alors... On y va ?
Il hocha la tête et lui indiqua le chemin jusqu'au couloir toujours plongé dans les ténèbres.
- On y va.
Ouais.
Il n'avait vraiment besoin de plus rien d'autre.
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Désolée de tous le retard ! C'est juste que c'est la fin de cette saga, et j'ai beaucoup mais ALORS BEAUCOUP de mal de quitter mes bébés, chaque ligne me fait littéralement chouiner...
Petit changement au programme, il y'aura un chapitre 100 (on sort les mouchoirs) ET un épilogue 🤭
Oui, parce que je suis CETTE indécise 😂
Mais promis, la fin en vaut la peine, ça fait deux ans je l'ai en tete 🥲
Je n'en dis pas plus et je vous dis à dimanche prochain 🥲💙
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