chapitre 90 : déchu
NASHVILLE
Oui, la pluie avait arrêté et oui, le soleil était de retour. Mais ce n'était pas pour ça que Nash rentrait chez lui, un sourire gros comme le monde sur des lèvres qui n'avaient rien connu de tel depuis un moment qui lui sembla si éternel qu'il avait l'effet d'une crampe.
Une crampe, c'était bien le mot.
Mais c'était la première douleur qu'il trouvait exaltante. Qu'il avait envie de retrouver. Tout comme Nala, d'ailleurs, à qui il avait enfin pu dire tout ce qu'il avait sur le cœur. Qu'il avait enfin pu tenir dans ses bras, qu'il avait enfin pu embrasser.
Et même s'ils s'étaient déjà embrassé avant, c'était comme s'il ne l'avait jamais fait. Qu'il avait découvert des facettes d'elle encore plus sublimes que ce qu'elle cachait. Une harmonie gracieuse, un nectar enivrant dont on n'avait jamais assez. Chaque pas qu'il exécutait l'éloignait de plus en plus d'elle et serrait son cœur. Il avait envie de la tenir pour l'éternité. L'embrasser, recouvrir sa peau douce de caresses toutes plus tendres les unes que les autres. Une pernicieuse envie l'empoignait au ventre. Un peu plus et il allait s'écrouler sur le trottoir. Ses jambes sous lui avaient beau allonger sa démarche pour regagner au plus vite son appartement pour retourner au travail, mais elles tremblaient aussi.
Ouais. Il allait s'écrouler.
Nash se ressaisit en passant sa paume sous ses narines et évita de justesse un groupe de personnes qui essayaient de regagner leurs travaux, si tant soit peu le désastre qui les entouraient leur en donnait encore l'occasion. Un rire ironique secoua d'ailleurs le jeune homme lorsqu'il remarqua qu'au milieu de ce chaos de guerre, il était le seul à sourire.
Finalement, c'est bien vrai ce qu'on dit. L'amour soigne tous les maux.
Nash rentra à l'intérieur de son immeuble, salua brièvement ceux qui avaient pourtant des airs effrayés ridant leurs visages d'habitude si paisibles.
Tout ira bien. Tout ira bien, maintenant.
Y croyant dur comme fer, Nash regagna son appartement en montant les escaliers plusieurs marches à la fois et y pénétra sans aucune difficulté. Sa débauche l'accueillait à bras grands ouverts. Les bouteilles, les vêtements, les papiers, la nourriture à emporter... Mais même s'il se prenait la tonne de bouteilles de gins et de boîtes de pizza dans les tibias, il ne perdit pas de son sourire. Il se contenta d'enjamber le tout, de rejoindre la salle de bains et de se débarrasser de ses vêtements encore mouillés de la veille. Son reflet dans le miroir avait tout de suite perdu de son pathétisme. Ses épaules s'étaient redressés et même la teinte violacée de ses cernes avait quelque chose de plus joyeux. Peut-être c'était le pétillement de ses prunelles séraphiques qui y étaient pour quelque chose.
Nash attrapa une chemise, une cravate, sa veste de costume, mais alors qu'il était encore en train de nouer sa ceinture sur sa taille, tenant les pans de son vêtement blanc sous le menton, il réalisa quelque chose.
Il était rentré dans son appartement sans même utiliser les clefs qu'il touchait pourtant dans la poche arrière de son pantalon.
Ses sourcils se froncèrent dans l'instant et il se redressa tel un suricate. À l'affut. Doucement, très doucement, il rejoignit sa cuisine où il fit passer sa main sous le comptoir en pierre grise. Pour un fabricant d'armes et ex-militaire, Nash avait toujours stocké plusieurs armes dans son appartement. Cependant, sa cachette ne comportait plus que le crochet sur lequel l'une d'elle devait se trouver. Il s'agenouilla pour voir si elle avait glissé sur le sol, quand soudain, un clic retentit dans le silence. Tonnant, réellement. Il cassait la vague avec un déchirement sec qui le fit figer.
- C'est ça que vous cherchez ?
La voix profonde et légèrement rocailleuse provenait de John. À coup sûr.
Nash déglutit et porta sa main à son tiroir à couteaux, mais la voix poursuivit.
- Je vous déconseille de faire ça. Levez-vous, Peters.
Dans un craquement de genoux, il obtempéra. En effet, c'était John. Habillé d'un t-shirt couvert de sueur au niveau de la gorge, d'un jean bleu dans lequel il était moyennement enfoncé, il portait l'arme à bout portant. Les rayons du soleil transperçant les fenêtres et illuminèrent le métal argenté dans lequel elle est fabriquée.
Pointé sur lui, menaçant, fatal, funeste...
C'était comme s'il le découvrait pour la première fois. Ironique pour quelqu'un comme Nash, pas vrai ?
- John.
- Je vous ai attendu toute la nuit... Vous savez ça ?
L'homme avait l'air d'une ruine. Ses cernes formaient des tatouages obscurs sous ses yeux pâles, renforçant la teinte pâle de son sourire ironique. La nervosité l'épinglait à la manière d'une rose épineuse. Une présence obscure qui forçait Nash à lever les mains en l'air pour essayer de le persuader à baisser son arme.
- Calme-toi, John. On... On peut discuter.
- Discuter ? J'ai l'air d'être venu discuter ?
Nash se pinça les lèvres en guise de réponse et regarda autour de soi pour trouver un échappatoire. Malheureusement, il était coincé derrière le comptoir de sa cuisine. À droite, le canon le suivait. À gauche, le canon le suivait.
Et se cacher, n'était pas une option. Ça ne l'avait jamais été, d'ailleurs.
John se gratta nerveusement la tempe du bout du canon et ricana.
- Vous étiez avec quelle conquête, cette nuit ? Jessica de la compta ? Ou une fille en manque de confiance en elle que vous avez trouvé au bar ?
- John, vraiment, je...
- Vous saviez ce que ça faisait ? D'être le larbin d'un morveux qui savait à peine rester assis ? Encore moins tenir une foutue compagnie ? Et même si je me déchirais le cul pour vous aider, vous suivre dans cette folle idée d'indépendance, même à travers la crise de notre pays... Vous... Vous avez fait quoi ?
- John...
Son ancien assistant pointa à nouveau son canon sur sa tête, le forçant à nouveau à lever les mains et gronda plus froidement encore.
- Arrêtez... D'énoncer... Mon... Prénom...
- Qu'est-ce que tu veux ? Hein ? De l'argent ?
- Qu'est-ce que vous voulez que j'en fasse ? M'essuyer le cul alors que le reste du pays brûle ? Les riches n'ont plus que leurs comptes bancaires pour chouiner dans les ruines.
- Alors quoi ?
Le jeune homme osa faire quelques pas jusque dans le salon, mais s'arrêta aussitôt lorsque le sourire de John disparut dans un rictus sévère.
- Après que vous m'aviez... Renvoyé... J'ai dû partir de chez moi, avec ma famille... Et vous savez où elle est, maintenant ? Sous des foutus décombres. Vous... Vous avez tué ma famille. Si vous ne m'aviez pas renvoyé, ils seraient encore en vie !
L'homme crachait ses mots avec autant de douleur que de poison. Un mélange toxique qui fit frissonner Nash et peu importait à quel point il essayait de garder ses mains stables devant lui, rien n'y faisait. Le tremblement l'assaillit sans aucun contrôle. Ce n'était pas de la peur. Moins encore de la lâcheté. C'était plutôt l'irrationnelle pensée que rien ne pouvait être fait.
Pourtant, jugeant l'état de John et du manque de soutien dans ses jambes qui le tenait à peine, il savait qu'il avait pourtant le dessus. Que d'un revers de main, il pourrait lui attraper son arme et se défendre.
Alors pourquoi est-ce qu'il ne bougeait pas ?
Pourquoi est-ce que ses veines se tordaient entre ses nerfs, pourquoi est-ce que ses muscles se glaçaient et pourquoi est-ce que son épiderme était si frigorifié ? Pourquoi est-ce que ses yeux se voilaient d'une brume qu'il ne parvenait pas à dissiper, peu importait ses clignements de paupières ?
Tant de questions qui mouraient en périssant, à la vue de ce canon de plus en plus menaçant.
- Vous... Vous n'aviez pas le droit de me renvoyer, de détruire ma vie...
- La guerre n'est pas ma faute, John, maintenant pose ça, on...
- Peut-être pas, mais vous m'avez pris tout ce qui me restait.
Le bras de l'homme s'arqua au point où l'arme frôla son cœur de près et sa voix s'abaissa dans un murmure à peine audible.
- Et je vais vous prendre ce qu'il vous reste...
Nash émit un mouvement avant que le coup ne parte et parvint à lui bloquer le bras. Il serra ses doigts autour de son poignet afin de le déstabiliser, mais John rattrapa son arme de justesse et le repointa sur sa poitrine.
Le coup qui partit, n'était qu'un son en plus parmi ceux qui bourdonnaient déjà dans les oreilles du jeune homme, le forçant à lâcher prise et à reculer d'exactement deux pas. Son dos heurta l'entête du canapé et il se figea.
Les yeux de John s'écarquillèrent violemment lorsqu'ils réalisa ce qu'il avait fait. Il relâcha subitement son arme, recula et partit de l'appartement, laissant derrière lui un peu de fumée, une tache de sang ne cessant de s'accentuer ainsi qu'une porte ouverte qui claqua contre le mur.
Nash resta donc seul. La main empoignant son cœur qui semblait s'être arrêté après un sprint sans pitié.
Un choc difficile à supporter qui coupa son souffle, net, entre ses lèvres entre-ouvertes. La blancheur écarlate de sa chemise semblait honteuse face au sang, lui laissant toujours plus et sans relâche, du terrain. C'était impensable de savoir que sa propre source de vie l'envahissait. Le suffoquait. Lui montait à la gorge, dans une boule rageuse qui privait tout accès à l'air.
D'abord, Nash s'appuya sur son canapé, mais sa grippe glissa et il en fit ainsi sur le sol. Mais même s'il l'avait percuté de plein fouet, même s'il courbait l'échine en laissant échapper de maigres gémissements inaudibles, il ne parvenait pas à se libérer. Il continuait de chuter, alors qu'il venait d'atteindre le fatal gouffre funèbre.
Il n'y avait pas de retour en arrière, cette fois-ci. Pas d'hôpital, pas de sutures. Pas de médicaments à prendre et pas de réhabilitation.
Non. Juste du vide ambulant, tourbillonnant autour de lui avec la funeste élégance des feuilles d'automne.
Nash reposa son bras à ses côtés lorsque des frissons l'assaillirent. Ils ne firent que s'accentuer lorsque sa peau rentra en contact avec l'épaisse et visqueuse flaque pourpre qui ne cessait d'agrandir depuis son torse.
Tout devint flou.
Et pourtant, Nash parvint à sourire.
Toute sa vie, il avait cru que les gens autour de lui étaient fait de papier. Des petits bonhommes pouvant couper, envelopper, et se déchirer. Rien que du papier. Absolument rien de plus.
À ce jour, il en était toujours persuadé. Il pouvait même entendre leurs bruissements, au-delà du chaos qui régnait dehors. Du papier, blanc, aveuglant comme les premières chutes de neige sur les déserts Texans.
Son obscurité allait définir le jour à venir, au moins. Il ne le connaîtrai pas, toutefois. Il allait rester là, alors que le soleil se levait sur la capitale.
Une violente quinte de toux s'empara des poumons de Nash et il se retrouva sur le flanc. Ses doigts, glissants, ripèrent sur le sol et le sang dessina la courbe de sa génétique. Sa joue, pressée contre le froid, plissa l'un de ses yeux, tandis que l'autre était pointé sur sa cuisine.
Le foutu aimant avait à nouveau lâché le dessin de Bonnie. À présent, il était à demi avachi sur le sol de la cuisine. Tout ce qu'il pouvait encore voir, c'était son nom écrit de sa petite main à peine habile.
Nash avait toujours voulu mourir, du plus loin qu'il s'en souvint. Depuis qu'il avait vu sa mère et ses veines béantes, depuis qu'il avait dû ramasser Jay en le tirant de la mort. Depuis qu'il avait dû tout sacrifier au nom d'une vengeance qu'il n'avait jamais eu. Depuis qu'il avait remarqué que tout était en réalité inéluctable.
Tout comme le froid de la mort qui rôdait autour de lui.
Il tendait la main, rampait en dépit de la douleur qui lui déchira la poitrine et parvint à poser ses doigts sur le dessin. Crachotant, de plus en plus, ses postillons vinrent se mélanger aux couleurs ambitieuses que Bonnie avait utilisé pour ses traits.
S'il y avait bien un seul instant dans sa vie où il n'aurait pas voulu mourir, c'était celui-ci. L'instant où il venait d'embrasser la femme qu'il aimait le plus au monde. L'instant où il s'était enfin retrouvé, où il avait souri, sincèrement.
Cependant, voilà que la douleur se mua en un soupir silencieux. Qu'une larme unique et saillante traversait pour la dernière fois la barrière de ses paupières à peine battantes.
C'était donc dans un réflexe inavouable, que Nashville relâcha le dessin. Qu'il reposa sa tête sur le sol. Qu'il laissa la fatigue et le froid le submerger en même temps que le sang dans sa gorge. Envahi, il n'avait plus nulle part où s'échapper. Sa destination finale était la solitude massacrante qu'il n'avait jamais affronté. Plus de repères et plus d'amour.
Nash était devenu, à son tour, ce petit bonhomme de papier qu'il avait toujours vu en les autres.
Sauf que celui-ci, s'était déchiré pour de bon, cette fois-ci.
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Je pense que vous comprenez pourquoi je n'ai pas voulu poster ce chapitre pendant les fêtes 😂
Sachez que pendant UN AN ET DEMI j'ai essayé d'éviter ce chapitre, mais bon. Si ça peut vous consoler j'ai moi-même perdu un bout de mon âme dans ce chapitre. Croyez-moi.
À très vite pour la suite 💜
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