chapitre 86 : la naïvité des enfants

Peu importait à quel point Nala pressait l'interrupteur, la lumière ne voulait toujours pas s'allumer dans la maison. Elle se pencha sur la rue encore nocturne et passa en revue les maisons de ses voisins.

Pas de lumières non plus.

Voilà que les premiers effets des bombardements dans la capitale se répercutaient dans les faubourgs.

Elle souffla et claqua la porte derrière Bear. Le chiot, du moins le chien, fila directement prendre sa place dans son panier à côté de la télévision, étouffant un énorme bâillement rose avant de se rouler en boule. Nala déposa ses clefs sur une table basse, ainsi que sa fille sur le canapé.

Bonnie ne supportait plus rien, depuis deux jours. Deux jours depuis le bombardement. Deux jours qui s'étaient écoulés depuis l'opération de Shayne et qu'il ne s'était toujours pas réveillé.

Mais aussi deux jours depuis Nash.

Voilà. Ça faisait beaucoup.

Bonnie comme Neil étaient silencieux, cependant. Mais Nala n'aimait pas entendre ses enfants aussi bruyants que des couloirs de cathédrale. Et elle savait qu'ils ne fermaient pas un seul œil, la nuit, dans la crainte qu'une autre alarme ne vienne les déchirer de peur.

La jeune femme s'agenouilla donc devant la petite brunette et lui caresser ses joues potelées, rougies par le froid mordant qui régnait sur le Texas comme un fléau.

— Ma chérie.

— Hm.

— Tu veux manger quelque chose avant d'aller dormir ?

La petite secoua la tête et Nala lui embrassa ses mains, tout en les frottant pour les réchauffer.

— Je vais aller vérifier le générateur. Tu restes ici avec le chien ?

— Oui, maman.

Nala se redressa et après un petit moment d'hésitation, la laissa derrière elle. D'un pas feutré, elle fraya son passage à travers la maison obscure, mais sur son chemin à la buanderie, elle croisa le dressing... Devant lequel elle se figea, nette.

La jeune femme aurait juré que l'époque où les officiers étaient venus accuser Jay de traîtrise ne s'était jamais produite, tant cela semblait lointain. Une époque où elle croyait encore dans la promesse qu'il lui a faite, qu'il allait revenir, qu'il n'allait jamais faire quoi que ce soit de stupide qui le retiendrait loin d'elle...

Elle devait se raccrocher aux charnières de la portière pour éviter de flancher. 

S'il y avait bien quelque chose en quoi Nala avait douté toute sa vie, c'était bien l'amour. Rien de bon pouvait sortir de ça. De l'amour qu'elle portait à son père, son petit frère... Et de Colt à Jay, il n'y avait eu que de la souffrance. 

Mais pourtant... L'espace d'un seul instant, une fraction de seconde... Elle avait cru qu'elle pouvait tout survivre, tant que c'était avec lui. 

Jusqu'à ce que ces officiers ne viennent.

"Traître".

Ce mot avait une tout autre signification, à présent. Le front de la jeune femme se plissa lorsqu'elle se redressa et qu'elle rentra dans le dressing. Son côté des armoires était défait. Les t-shirts dépassaient les étagères, les uniformes pendaient mollement sur leurs cintres, les bottines aux grands lacets traînaient par terre, au plus grand bonheur de Bear qui s'amusait à s'entortiller dedans... Mais dans un léger pivotement, la militaire tomba au froid inerte du côté de Jay. Les cintres étaient soit vidés, soit immobiles. Elle passa la pulpe de ses doigts sur les t-shirts qu'elle lui volait, en temps réel. Le capitaine lui criait toujours dessus, d'ailleurs, lorsqu'il était en retard et qu'il trouvait son dernier t-shirt propre sur la poitrine de sa compagne. 

Mais si d'habitude ce souvenir faisait sourire Nala, cette fois-ci, il n'y avait qu'une boule amère qui venait nouer sa gorge. Ses doigts empoignèrent le tissu gris et elle le fit tomber au sol. Et puis un autre. Et un autre encore. 

Jusqu'à ce qu'elle se cramponna à l'étagère entière.

- Traître, espèce de traître... Traître ! Traître ! Traître !! Tu me parlais de fidélité, à aller agresser Nash, hein ? Tu me parles de fidélité ?! Toi ?! Et tu es où maintenant, hein ?! Où est-ce que tu es alors quand je cache notre fille des bombes ?! Hein, Jay ?! Où est-ce que tu es, sale traître ?!

Nala s'abattit sur ses genoux. Ses rotules craquèrent sur le sol avec un bruit sourd. Cette douleur émorfilée qui lui chapelait le cœur avec la violence d'un millier de couteaux était bien pire. Au point où, repliée sur elle-même, Nala se tenait la poitrine avec des doigts si crochetés qu'elle pouvait s'arracher le palpitant à tout instant. Allongée dans les vêtements de l'homme qu'elle croyait loyal, elle creusait les reins pour y trouver son échappatoire. Peut-être qu'ainsi, elle allait pouvoir le retrouver. Lui arracher elle-même les yeux. Lui crier tout ce qu'elle pensait de lui à son visage. Le secouer... Mais aussi le tenir. 

Prendre les armes. 

Fuir à son tour.

Le retrouver.

Le traquer.

Voilà tout ce qu'elle aurait surement fait, si Bonnie, Neil et Shayne n'étaient pas là. Sans aucun regard en arrière, elle l'aurait retrouvé. Même s'il était à l'autre bout du monde ou même, surement mort. 

Pourtant, même si les yeux embrumés de la jeune mère retombèrent fatidiquement sur le coffre-fort bourré d'armes... De leurs armes, de celles qu'ils avaient ramenés du Nigeria, à défaut de leurs frères et sœurs, de celles qu'ils avaient achetés, de celles avec lesquelles ils ont continués de se battre... Elle savait qu'elle ne pouvait pas faire une chose pareille. Pas avec les petits. Elle était responsable. 

Et elle ne pouvait pas suivre Jay dans son irresponsabilité. Pas alors qu'elle avait eu si peur de mettre Bonnie au monde. Pas après l'abandon qu'elle avait elle-même vécue.

- Maman ?

Lorsque la voix fluette de Bonnie retentit dans son dos, Nala s'essuya d'abord ses larmes. Elle n'allait pas laisser sa fille voir ses larmes. Elle se redressa ensuite et lui adressa son plus beau sourire.

- Oui, ma belle ?

La fillette tenait une barquette de glaçons dégoulinant entre ses petits doigts encore boudinés.

- Qu'est-ce que tu veux faire avec ça ?

- A... À la crèche, ils ont parlé de la Californie et... Ils ont dit qu'ils y avaient des montées des eaux, à cause des gros glaçons qui ont fondus dans le nord alors... Tu veux bien m'aider ?

Incomprise, Nala se redressa du bordel qu'elle avait causé et vint rejoindre sa fille. Elle s'agenouilla devant elle, lui essuya ses cheveux bruns de ses joues froides et l'embrassa tendrement sur le front.

- Avec quoi ?

- Viens.

Bonnie attrapa sa mère par la main et la tira jusqu'aux toilettes. 

- Nemo il est parti dans l'océan pas vrai ?

- Bonnie, tu...

Sans prévenir, la petite renversa la plaquette de glaçons dans les cabinets et se hissa sur la pointe des pieds pour tirer la chasse d'eau. Plus confuse que jamais, Nala l'attrapa par les épaules avec douceur et la serra contre elle.

- C'est pas grave, pas vrai ? Dis, maman ? Ils vont revenir les glaçons, pas vrai ?

- Les glaciers, Bonnie. Et...

Elle aurait voulu lui dire la vérité. Lui dire que ce qui allait être dit, n'allait qu'empirer. Lui dire que les temps qui allaient venir aller s'annoncer pire encore qu'un occasionnel bombardement.

Mais elle n'allait pas priver sa fille d'espoir.

Alors elle se contenta de lui sourire et de lui caresser les joues.

- Oui. Oui, ça les fera revenir.

- Alors tu m'aides ? Il faut qu'on en jette d'autres. 

- C'est une bonne idée, Bonnie.

Oui... Juste pour l'inconscience de l'espoir inhalé.

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