chapitre 81 : Villare
JAY
Ce fut par la porte principale qu'ils sortirent. Tels des rois, maîtres des lieux... Ils sortirent par la porte principale. La foutue porte principale.
Sauf que s'ils étaient des rois... Ils seraient déchus. Dépourvus de couronne, de sceptre... Merde, même de peuple.
Jay et Chelsea. Les rois et reines déchus par-delà la montagne.
C'était dans un vent houleux pourvu de milliers de flocons de neige qu'ils quittèrent la propriété militaire du bastion français.
Par ce fait, ils quittèrent officiellement les frontières Italiennes afin de s'engouffrer dans une France plus solitaire que jamais.
Même s'ils revinrent sur leurs pas à la recherche de Parker et Emily... Ils avaient quitté l'Italie.
Ils avaient quitté l'espoir d'une fin d'une guerre. Mais avant tout, ils avaient rejoint... Ça. L'indescriptible, le néant, le... Ouais. Le "ça".
Jay n'arrêtait pas d'y réfléchir, alors qu'il se traînait dans la neige. Ses oreilles sifflaient toujours, mais il arrivait tout de même à percevoir les croassements des corbeaux qui s'envolaient de la vallée, dans une nuée de flocons houleux. Chelsea aussi, s'était tue. Depuis les corps des leurs, de Grace... Ses lèvres s'étaient soudées. Tout ce qu'on entendait d'elle, c'était le bruit de ses bottines dans l'épaisse couche de neige.
Tant mieux. Jay avait trop de sons dans sa tête, de toute façon.
Il essaya plusieurs fois de déglutir, sentant une boule énorme lui bloquer l'accès à l'air. En vain, bien sûr. Car à chaque fois qu'il fit jouer sa glotte, le goût métallique du sang envahit sa bouche.
Il valait mieux pour lui qu'il arrête.
Ce goût n'allait jamais le quitter, peu importait ses efforts. Alors ça ne servait à rien. Rien ne servait à quelque chose, d'ailleurs.
Pourtant, ils avançaient. Parce qu'ils n'y avaient plus que ça, qu'ils pouvaient faire.
Jay voulait revoir Parker et Emily plus qu'il ne voulait voir qui que ce soit dans le monde.
Le capitaine s'arrêta cependant pour reprendre son souffle, sa main écorchée aplatire sur l'écorce d'un pin, laissant derrière lui une grande lignée de sang écarlate. Ses poumons étaient plus embrasés encore que les feux qui ravageaient le monde. Chelsea sortit une gourde de son sac et la lui tendit.
- Bois.
- Tu en as besoin.
- C'est le fond. Je ferai fondre de la neige, au pire.
- Chelsea, ce n'est pas comme ça que...
- Je suis allée dans les mêmes cours militaires que toi. Je sais ce que je dis est stupide. Mais j'ai juste espéré que tu ne le remarqueras pas. Peu importe. Bois.
Jay se pinça les lèvres avec violence et accepta la gourde qu'elle lui tendit. Il devait se faire violence pour ne pas avaler les derniers millilitres d'une traite. Il savourait chaque goutte comme un enfant ferait avec un cookie avant le dîner.
Que ce soit cette foutue montagne ou le désert ardent du Niger dans lequel il s'était perdu après le bunker... Il n'avait jamais autant manqué d'eau dans sa vie.
- Ils sont partis par là, à en juger les traces de pas.
- La... La falaise est juste là-bas.
Grogna Jay en obliquant le bout de son nez bleui vers la fin du flanc de montagne. Chelsea courra à travers la neige, attrapa une corde et la remonta. Elle était tranchée, déchirée par un pic de montagne. Elle avait été mal nouée.
- Qu'est-ce que...
Jay laissa tomber la gourde, courra à son tour et cria en se laissant tomber au sol.
- Parker ?! Emily ?!
Rien.
Chelsea sortit une autre corde, l'accrocha fermement sur le flanc, passage deux mousquetons sur leurs ceintures respectives et aboya dans son passe-montagne.
- Avec un peu de chance, ils sont dans la cave. Viens. Viens !
Jay ne tarda pas à se laisser glisser le long du flanc et à sauter sur la paroi pour se frayer un passage entre les pics et la roche grise.
- Parker ?! Em' ?!
Un grondement rauque lui répondit. Faible, plus un écho, mais quand même. Une réponse.
Une main dépassa de la paroi et Jay s'empressa de continuer à descendre. Il lâcha son mousqueton de la corde, atterrit sur le sol d'une petite caverne au plafond bas et étouffa un cri lorsqu'il aperçut Parker écroulé sur le dos, une jambe légèrement plus longue que l'autre, complètement déboîtée de son socle. Jay balança son sac de côté, s'agenouilla devant lui et s'empressa de la remettre à sa place.
Mais Parker ne cria même pas, peu importait la violence du craquement des articulations. Une unique larme coula sur sa joue, creusant une falaise entre les taches de suie et de sang... Mais c'était tout. Pas un bruit ne vint dépasser la barrière de ses lèvres.
- Allez Parker, ça va aller, ne me lâche pas, d'accord ? Tout va bien.
- Où est Emily ?
Jay redressa la tête vers Chelsea qui était descendue à son tour. Haletante, elle se tenait dans le bâillement de la cave, la poitrine soulevée au gré de ses expirations complexes. En guise de réponse, Jay descendit le bout de son nez vers Parker qui bien sûr, ne répondait pas. Le jeune lieutenant restait allongé au sol, ses bras blessés écarquillés autour de lui, telle une étoile de mer déchue. Dépourvue d'air, d'espoir et de vie. Une coquille sans âme qui s'était échouée au fin fond de nulle part.
Nulle part.
Dépourvu des siens.
Jay se mordit si violemment la lèvre qu'un goût métallique lui envahit une énième fois la bouche.
Morte. Elle était morte. Comme tous les autres. Sur les cent, il ne restait plus qu'eux trois.
Enfin... Deux et demie.
Lorsque le capitaine ouvrit la bouche pour prendre une grande inspiration et étouffer un sanglot, une suffocation lui échappa. Il n'arrivait plus à le retenir. Il n'arrivait tout simplement plus à retenir son chagrin. Les doigts fébriles de Parker vinrent doucement s'enrouler autour de son poignet, dans une vaine tentative de se redresser, mais Jay le devança. Il se racla la gorge, se mit sur ses genoux et le força à enrouler ses bras autour de ses épaules. Du peu de courage qui lui restait, il marmonna à l'égard de ses maigres compagnons :
- Allez. On va chercher un abri pour la nuit.
***
La nuit faisait du bien. La nuit était obscure. La nuit était froide.
Mais au moins... Oh oui, il faisait nuit. Pas une seule lumière ne vint perturber cette pénombre obsidienne qui entourait Jay, Chelsea et Parker entre eux d'eux qu'il tenait avec le peu de forces qui leur restaient. La neige faisait place aux cailloux parsemés de givre tout aussi blanc et le flanc de montagne piquait pour dévoiler une vallée obscure. La première bâtisse était une petite ferme abandonnée au toit déchiré qui laissait passer les flocons de neige silencieux. Ils avaient beau tomber au sol, ils n'y restaient jamais bien longtemps. Ils s'enfonçaient dans la surface de la roche grise et ne réapparaissait plus. Enfin, du moins Jay le pensait.
C'était peut-être l'obscurité.
Ou c'était peut-être sa conscience. Qui pouvait bien donc savoir ?
Certainement pas lui.
Chelsea, en revanche, parvint à sortir une dernière pile de son sac et s'empressa de la monter dans sa lampe torche. La jeune femme fit éclaircir le passage qu'ils empruntaient et même un petit panneau avec un nom de village "Villare", surplombé d'un "Bienvenue en France". Peut-être que l'accueil aurait été plus chaleureux si Jay n'avait jamais été aussi transi par la nuit glaciale ou encore la vision des trois couleurs ternies qui composaient le restant du drapeau français.
Cependant, un sentiment de chaleur l'envahit quand même lorsqu'il aperçut par-delà ses paupières à demi fermées, un petit village. Il n'y avait pas grand-chose. Surtout quelques maisonnettes aux toits de chaume et aux façades de pierre qui étaient encore plus désertiques que les carcasses de voitures qui les devançaient.
- Il n'y a personne.
La voix de Chelsea déchira la nuit comme une complainte, mais Jay était trop fatigué pour y prêter attention. Il posa sa main sur son épaule et pointa l'autre sur l'un des plus grands édifices.
- On... On dirait une mairie.
- Ouais.
- On s'y abritera. On verra demain pour le reste.
La lieutenante obliqua son faible faisceau de lampe torche vers le visage blême de Parker écroulé dans ses bras, mais encore une fois, Jay préféra l'ignorer. Ils allaient faire un feu, se coucher et ça ira mieux.
Bien sûr que ça ira mieux.
Ils venaient de traverser une montagne. Ils venaient de perdre le nom propre de l'espoir... Ce serait stupide de lâcher à ce moment précis, pas vrai ?
Pas vrai ?
En s'approchant de la porte, Jay remarqua que celle-ci était complètement défoncée. Le faisceau de la lampe torche de Chelsea éclaira un petit vestibule à peine plus grand qu'un placard, pourvu des visages des anciens présidents de la république. De vieilles reliques aux verres cassés. D'ailleurs, Jay marqua dans leurs fragments. Le capitaine retira sa botte et porta ses mains à son arme. C'était stupide, bien sûr, mais les réflexes ne se perdaient pas.
Chelsea s'empressa de déposer Parker sur les marches en bois grinçant du petit escalier et souffla :
- Ce sera suffisant pour cette nuit. Je vais aller voir s'il y a de quoi manger.
Elle lui emboîta le pas et disparut dans l'un des couloirs qui menaient à de diverses pièces abritées de la neige. Jay se maudit lorsqu'il passa une main inutile sur l'un des interrupteurs. Il n'y allait pas avoir de lumière. Et puis encore, un radiateur ? Un frigo ? Un four avec des pizzas ?
Un gargouillement féroce creusa son estomac, ce qui le força à appuyer un poing sur son ventre afin de le faire taire. Son dernier vrai repas remontait à bien longtemps, désormais. Jay déglutis la salive qui lui envahit la bouche, en guise de vraie nourriture et ferma le bâillement de la porte grâce à une planche en bois qui jonchait le sol au carrelage explosé. C'était peu, mais c'était quelque chose. Ensuite, son regard se posa sur Parker. Le front pressé contre la rampe d'escalier, il avait le regard perdu dans la vague. Le capitaine s'empressa de s'agenouiller en face de lui et lui agrippa fermement le menton pour le faire regarder dans ses yeux. Mais même ainsi, il semblait aveugle. Ses pupilles fermées ne laissaient transparaître aucune émotion. Que du vide.
- Dis-moi où tu es blessé.
Aucune réaction. Jay souffla et commença à le palpiter de partout. Un sursaut de la part du jeune lieutenant lui indiqua que c'était le bras. Il lui releva la manche de son uniforme et grimaça en voyant la vilaine plaie qui lui trancher la moitié de son avant-bras, épargnant par miracle, ou par malédiction, ses veines vitales. Jay déchira un morceau de son t-shirt, après s'être débarrassé de son sac et de sa veste d'uniforme et le lui plaqua sur la blessure qui n'avait cessé de saigner.
- Presse.
Il le relâcha, mais Parker le fit autant. Plus autoritaire encore, Jay gronda en lui reposant sa propre main sur son piètre pansement improvisé.
- J'ai dit : presse.
Cette fois-ci, il obéit. Jay se redressa dans un craquement sourd de genoux et à ce moment précis, Chelsea débarqua à nouveau. Un semblant de sourire cornait ses lèvres gercées.
- Tu ne devineras jamais ce qui marche encore.
- Quoi ?
- Les douches.
Jay étouffa un rire dans son épaule et secoua sa tête, à défaut de ses mèches toujours et encore collées par la crasse sur son front.
- J'en reviens pas.
- L'eau est glaciale, mais je ne pense pas qu'on va se plaindre.
- Non. Non, en effet. D'accord, je... Hm... Vas-y en première. Je... Je m'occupe de nous.
La jeune femme resta un instant figée, mais ne se fit pas prier. Jay se tourna vers Parker qui n'avait pas bougé d'une paupière et ses doigts s'enfoncèrent dans ses côtes. Il craignait le repos comme la peste. Et pourtant, il n'en avait jamais eu autant besoin.
Après avoir renversé la carcasse de Parker sur son dos, Jay monta une à une les escaliers. Le couloir s'annonçant était étroit et puait l'humidité. Mais au moins, il faisait si froid que l'eau gelait sur les murs au papier peint écorché. Une bonne et une mauvaise chose.
Il y avait une pièce avec un bureau et des papiers oubliés, des dossiers jonchant les moquettes rongées par les derniers rats de son monde, mais surtout quatre chambres dont l'une d'elle un master. Jay grogna lorsqu'il y déposa Parker, tout en faisant attention à sa jambe qui avait été disloquée, et s'empressa d'attraper le plus de couvertures possibles pour l'emmitoufler. Il se dirigea vers des placards et y trouva par chance des vêtements. Il attrapa quelques t-shirts à la texture froide et se rapprocha à nouveau de Parker. Il lui enleva son gilet par balle, lui retira sa veste et le força à lever les bras. Il essaya ensuite de lui retirer son t-shirt kaki, mais celui-ci était collé à sa peau comme un second épiderme. Ce fut donc au couteau qu'il le lui en débarrassa. Un bref halo lui permit de voir que son torse dénudé était dans un état lamentable. Malgré ses muscles, des jours de jeûne et de dépravation l'avait lourdement amaigri. Sans parler des bleus, des hématomes, des blessures allant de banales à lourdes... Ses quelque peu de tatouages tranchés par des cicatrices à peines roses... Jay aurait voulu croire que ce n'était qu'une illusion.
Malheureusement, ça ne l'était pas. C'était loin d'être le cas, d'ailleurs.
Il se pinça faiblement les lèvres et se contenta de poursuivre. Il sortit de sa poche le peu qui lui restait de sa trousse de premiers soins, noya une boule de coton dans du désinfectant et le lui passa sur tout le torse. Parker aurait dû gémir, sursauter au minimum... Mais la seule réaction qu'il eut de lui, c'était un peu de chair de poule. Rien de plus.
- Seth n'a pas souffert. Enfin du moins, je l'espère.
Les globules aveugles de Parker roulèrent dans ses orbites pour se poser sur Jay qui n'osa pas redresser les siens. Il se contenta simplement de poursuivre.
- Le bastion était vide. Ils étaient déjà tous partis. Il y avait un genre de... De labo. Mais encore une fois... Vide. Et... Et Grace... Et bien tous les autres... C'était trop tard.
Jay arrêta ses frottements et minauda entre ses mâchoires serrées.
- C'était trop tard, Parker. Il n'y avait rien qu'on puisse faire.
Les lèvres du jeune lieutenant ne se dessoudaient toujours pas. Le capitaine lui enfila son t-shirt propre et le força à s'allonger dans le lit, le recouvrant des draps qu'il avait trouvé.
- Peut-être qu'il n'y a jamais eu quelque chose qu'on pouvait faire.
Il aurait voulu qu'il réagisse. Car ainsi, il aurait réagi avec lui. Ils se seraient crié dessus, se serraient insulté, auraient sûrement pleuré... Mais rien. Et Jay en faisait tout autant avec son propre désarroi. Il claqua brièvement ses mains sur ses cuisses et recula de quelques pas afin d'atteindre la porte de la chambre.
- Je... Je vais te laisser. Essaye de dormir.
Dormir... Quelle jolie illusion.
***
En effet, l'eau était glaciale. Mais tant pis. La tête penchée vers le bas, les mains plaquées sur le mur, Jay regardait l'eau tourbillonner à ses pieds. De l'eau normalement transparente qui se teintait de pourpre et de marron. Une eau loin d'être celle de Lourdes.
C'était son eau.
Le choc du jet glacé sur sa peau blessée le faisait grogner presque toutes les secondes. Pourtant, il resta ainsi. Immobile. Regardant les dernières semaines s'écoule littéralement de lui et s'enfuir dans un tourbillon d'oubli dans la bouche d'évacuation. Une faible odeur de savon rose flottait dans l'air lorsque Chelsea lui avait laissé la place afin d'aller essayer de les nourrir. Et pourtant, même s'il avait le bout de savon entre les doigts d'une main, il n'en faisait que des miettes. Les gouttes d'eau glaciales se frayaient un passage parmi ses nombreuses cicatrices, le lavant, mais il ne voulait faire guère plus.
Enfin, il ne savait pas s'il ne voulait pas, ou s'il ne pouvait pas.
Il prit quand même la décision d'arrêter et tourna le robinet pour le fermer et sortir.
Une petite serviette blanche était posée sur le lavabo et il le saisit afin d'essuyer le reste du miroir de la salle de bains. Il fit face à son reflet blême et un grondement sourd naquit dans son torse. Ses cheveux brun caramel, d'habitude si ambivalents, se retrouvaient en loques et ce n'était pas seulement parce qu'ils étaient mouillés. Il passa un bref coup de main dans ceux-ci et s'habilla d'un t-shirt propre et du dernier pantalon d'uniforme encore propre qui était resté dans son sac. Il laissa son holster, ses armes en tout genre au sol et ouvrit doucement la porte de la salle de bains sur le couloir. Il attrapa au passage une couverture et se drapa ses massives épaules avec. La tignasse blonde et propre de Chelsea pointa au bout du même couloir et elle se figea en le voyant.
- Quoi ?
Grogna le capitaine en s'appuyant aux murs afin de se tenir. La lieutenante secoua la tête et haussa les épaules.
- J'ai trouvé quelques réserves. Du corned beef et des petits pois. Je... Je lui en ai donné, mais il n'a même pas regardé l'assiette.
Sans surprise.
- Emily est...
- Tu ne l'as pas encore compris ?
- J'ai fait à manger. Tu vas manger, au moins, toi ?
Répliqua-t-elle en l'ignorant. Jay hocha la tête et la suivit dans l'une des chambres. Sur l'une des commodes était posée un petit grill de camping avait une casserole qui embaumait les petits pois. En temps normal, Jay aurait grimacé, mais ce n'était pas le cas. Il était plutôt prêt à se pourlécher les babines, tant l'odeur d'un plat réchauffé sonnait appétissant. Alors qu'il se servait dans un bol et qu'il plantait sa fourchette dans un morceau de viande, Chelsea s'assit silencieusement sur la bordure du lit. Le matelas grinçait légèrement sous son fin poids, mais sans plus. Elle dégagea ses cheveux blonds de sa nuque et les garda un instant en mains avant de les rejeter. Elle semblait indécise. Jay porta sa fourchette à sa bouche et vint s'asseoir à ses côtés.
- On est en France, Jay.
- Ouais.
- On va où, maintenant ?
- Je n'en sais rien.
- On retourne en Italie ?
- Peut-être.
Jay planta sa fourchette dans un unique petit pois et le contempla sous toutes ses formes.
- Où est-ce que tu penses ?
Chelsea ouvrit plusieurs fois la bouche, mais aucune réponse ne dépassa ses lèvres tremblantes.
- Je n'en sais rien.
- Ah.
Jay avala une bouchée de corned beef, mais reposa son assiette, malgré sa faim tenaillante. Il croyait que la sensation de chaleur allait faire du bien à son estomac, mais il sentait qu'il allait vomir à tout instant.
Il n'étais plus habitué.
- Et... Et qu'est-ce que tu as envie de faire ?
- Tu viens de me le demander.
- Non je veux dire... Ce que tu as envie de faire.
Elle plongea ses doigts agiles dans ses mèches blondes et répondit sourdement.
- J'ai envie de dire : rentrer à la maison. Mais je ne sais même plus ce que ça veut dire. Donc...
- Hm.
- Mais... Je dirai retourner à Monte Cassino. Au moins, les nôtres sont là-bas. Enfin, ceux qui restent. Du moins je l'espère.
- Ouais.
- Sarah te manque ? C'est ta famille.
Jay explosa ses joues tant il retint son souffle. Merde, ça faisait longtemps qu'il n'avait pas pensé à elle. Il se demandait ce qu'elle devenait dans cette grande abbaye au milieu du désert de glace.
- Je suis sûr que peu importe quoi... Elle se débrouille déjà bien mieux sans moi.
- Tu sais qu'elle m'a menacé ?
Jay étouffa un rire ironique. Ça lui ressemblait bien. C'était prévisible. Chelsea sourit et elle croisa ses mains sur ses genoux.
- Je suppose qu'elle avait raison de le faire.
- Ah ouais ?
- Mais plus rien semble important, maintenant. Je... Je crois que j'ai oublié qui je suis. Est-ce que ça a du sens ?
Jay la regarda du coin de l'œil et se redressa difficilement du lit.
- Je comprends ce que tu veux dire.
- C'est comme si quelqu'un venait d'effacer toutes les informations de ma tête.
- On devrait dormir, Chelsea. Ça ira mieux demain.
Jay ne sut pourquoi il avait dit ça. Car il n'en pensait pas un mot. La blonde se redressa à son tour et s'adossa dans la chambranle de la porte, ses bras croisés sur sa poitrine.
- Tu te souviens des barricades, Jay, pas vrai ? De la révolution ? De nous, gamins, des drapeaux de liberté à la main, des mots de rébellion à la bouche ? On ne savait rien, à l'époque. Et on le faisiat quand même.
- Je me souviens.
- C'est la même chose maintenant. La seule différence, c'est que...
Elle garda la bouche ouverte afin de continuer sa phrase, mais aucun son ne l'accompagne. Elle finit par la refermer et recula d'un pas.
- Bonne nuit.
Elle s'apprêta à se retourner, mais Jay la rattrapa lentement par le poignet.
- C'est quoi ?
L'incita-t-il à continuer sa phrase.
- J'en sais rien. Je pensais juste que j'y arriverai plus avec toi à mes côtés. Et si à l'époque, c'était le cas... Maintenant...
- Mais je suis là.
Peut-être un peu trop, d'ailleurs. Il la surplombait de toute sa taille. Il pouvait même sentir son souffle caresser sa joue. Il desserra doucement ses doigts de son poignet, mais ce n'était que pour longer sa paume avec, jusqu'à rencontrer les siens.
Chelsea posa sa main valide sur son bras et s'appuya sur lui... À un souffle de sa bouche.
Ce fut d'abord doux. Presque inespéré. Un éraflement honteux qui mélangeait sang et timidité.
Avant que bien sûr, tout ne dérape.
Jay lui lâcha la main afin de lui saisir ses joues et l'embrassa fougueusement. Si fougueusement, qu'ils reculèrent jusqu'au lit. Chelsea s'assit sur la bordure et porta ses doigts à sa ceinture, tandis qu'il retira son t-shirt. Malgré le froid qui hurlait en compagnie du vent sur les piètres murs de la mairie française, sa peau s'embrasa dans la seconde. Chaque fibre, chaque parcelle de son corps, réagissait à ses caresses.
Chelsea se laissa surplomber et enroula ses jambes autour de sa taille, plantant ses doigts dans son dos et ses lèvres sur son cou, faisant parfois déraper ses dents.
Dans une fraction de secondes, il lui retira ses vêtements et la placarda sur le matelas, lui arachant un faible gémissement au passage.
Gémissement qu'il rattrapa en l'embrassant de plus belle.
Encore.
Et encore.
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