Nala n'était pas sereine à l'idée que Neil ne soit toujours pas revenu. Cela allait faire une semaine qu'il était chez les sœurs de Sarah. Bon, ce n'était pas comme si Shayne était en état d'avoir son fils en bas âge quelque part près de lui, mais quand même. Alors après avoir passé des heures à l'écouter marmonner différentes insultes, d'avoir dû à nouveau prendre soin de lui en lui faisant boire de l'eau salée et de le faire coucher sur le côté pour ne pas qu'il meurt pendant son léger coma, Nala reçut enfin la réponse chez qui le bébé pouvait être. C'était pas forcément une bonne nouvelle car la personne en question était Melinda, la deuxième ainée de la famille. Elle n'était pas vraiment une personne à qui on pouvait juste parler comme ça, alors ça n'allait pas être facile.

***

Melinda habitait au centre ville de Dallas, dans l'un de ces immeubles gratte-ciels qui n'allait pas servir à grand chose si leurs très chers voisins de pays se décidaient à venir les bombarder... 

Nala était donc en train de regarder le pic de l'immeuble depuis le trottoir de la ville, le nez en l'air sans forcément prêter attention aux gens qui râlaient parce qu'elle s'était arrêté en plein milieu du trottoir. Elle appréhendait un peu cette rencontre, elle en avait même enlevé son gilet sous la chaleur du stress, alors que le vent du début de l'hiver glaçaient les autres passants. Elle posa ses mains sur ses hanches pour pouvoir prendre une très profonde inspiration et se décida d'enfin rentrer à l'intérieur.

Quand elle frappa à la porte, elle devait attendre au moins deux bonnes minutes pour qu'on vienne l'ouvrir, à un tel point qu'elle allait même frapper une deuxième fois, mais la sœur de Sarah vint quand même l'ouvrir.

- Quoi ? Oh, c'est toi, Nala, je... Je suis surprise de te voir ici... Entre.

Elle lui ouvrit la porte en plus grand, sans lui accorder plus d'attention que ça et retourna à l'intérieur du très spacieux appartement. L'endroit était immense, entouré de baies vitrées qui donnaient sur toute la ville, le soir venu, la vue devait être magnifique... Quant au reste de la décoration, c'était plutôt sommaire, gris, froid... Et au milieu de cette dépression se trouvait une petite boule de vie du nom de Neil. A sa vue, Nala se mit à sourire et le bébé, qui était sur le dos, sur un petit tapis pour enfant, se roula sur le ventre pour se lever sur ses jambes et de se tenir au canapé gris pour lui faire face. Il lui tendit ses petits bras et elle vint lui faire un gros bisou.

- Je suis très occupée, Nala, je dois aller au boulot et je suis déjà en retard.

- Ton cabinet est littéralement en face de cet immeuble.

Marmonna Nala en indiquant l'immeuble de la famille Anderson, de prestigieux avocats dont le chignon n'était jamais parfait. Melinda se tourna donc vers elle et soupira, agacée.

- ça ne veut pas forcément dire que j'ai le temps pour quoi que ce soit que tu es venu faire ici... Je suppose que tu veux récupérer Neil ?

- C'est pas de la récupération, je m'inquiète c'est tout.

- C'est drôle que tu t'inquiète maintenant parce que tu aurais peut être dû le faire avant... Tu sais dans quel état Shayne m'a apporté ce pauvre petit ?

La jeune femme se laissa s'asseoir sur le canapé et Neil grimpa sur ses jambes pour se presser contre elle. Il avait l'air exténué, comme s'il avait passé ces derniers jours à pleurer et que maintenant était le seul moment qu'il ne le faisait pas. Elle lui essuya donc ses joues rougies et tandis qu'il fermait les yeux pour s'endormir d'aplomb, elle releva le regard vers Melinda qui se tenait devant elle dans sa tenue de travail, les bras fermement croisé sur sa poitrine.

- Je sais qu'il n'est pas vraiment exemplaire ces derniers temps mais...

- Exemplaire. Ha. Non en effet, j'appelle pas un gars qui tient à peine debout sur ses jambes, un père exemplaire. D'ailleurs, j'allais appeler les services sociaux pour Neil.

C'était probablement ce qu'avait poussé Nala à venir dès qu'elle le pouvait. Rien que d'imaginer une agente des services sociaux embarquer ce doux petit bébé dans le système, lui provoquait des frissons dans le dos. La jeune femme s'en mordilla la lèvre d'exaspération avant de commencer à lui expliquer.

- Ecoute Melinda, Shayne ne va vraiment pas bien ces derniers temps. Mais ça ne fait pas de lui un mauvais père. Il a beau injurier devant le petit, il a beau être complètement à la ramasse, il... C'est vrai qu'il ne ressemble pas exactement à ce genre de pères idéals comme on peut le voir dans les films... Mais je te jure qu'il l'est. Tout au fond de lui, il l'est. Tu sais qu'à sa naissance il était tellement nerveux que je l'ai attrapé monter un complot de fuir ? C'était vraiment pathétique. Mais dès qu'il a vu son petit... Je te jure que j'ai rarement vu quelqu'un autant aimer son enfant. 

- Peu importe, maintenant, il est loin d'être responsable, au point de le mettre en danger ! Je veux dire... Il a conduit jusqu'ici, complètement ivre ! Imagine s'il... 

- Je sais. Et je sais aussi qu'il le regrette. Mais Melinda, je t'en supplie... Tu peux pas mettre cet enfant dans le système. Tu sais ce qui arrivera si c'est le cas ? Si tu veux un exemple, regarde cet homme que tu sembles tellement détester... C'est le système qui a fait ça. C'est le système qui l'a rendu froid et distant, qui l'a brisé jusqu'au plus haut point. Alors crois moi, il y a de la bonté en lui. Parce que lui, plus que toutes les personnes dans ce foutu monde, il tient à être un bon père. Parce que le sien en était un... Plus qu'horrible. Et Shayne n'est rien comme lui, l'était.

- Malheureusement je ne peux que compter sur ta parole pour ça.

Melinda feignit de s'éloigner, comme pour lui indiquer qu'elle en avait terminé avec cette conversation mais Nala n'allait pas lâcher l'affaire. Elle déposa alors doucement la tête de Neil sur l'un des oreillers du canapé et se leva avec douceur pour ne pas le réveiller afin de rattraper la sœur de Sarah.

- Leur père était tellement horrible qu'il écrasait ses cigarettes sur leurs peaux. Au début de leurs enfances, il obligeait Shayne à frapper Jay. Histoire de savoir qui était le plus fort. Il battait et abusait sexuellement leur propre mère en face d'eux. Merde, il l'a tué devant leurs propres yeux ! Et le pire de tous... Il les a envoyé en pâturage aux terroristes. Et même là, il a encore essayé de les tuer, encore et encore, il n'a pas lâché l'affaire. Il aurait même continué si... 

Nala s'arrêta, envahie par toutes ces émotions et se passa ses mains dans ses cheveux sous la frustration. Melinda s'était elle aussi arrêté et s'était tourné vers elle, l'air horrifié par ces confidences. La jeune femme profita donc de ce moment d'attention pour continuer.

- Il était une personne horrible. Immonde. Ce n'était même pas un être humain. Mais Shayne... Shayne fait des efforts. Et il est loin d'être bien à cause de Sarah, au moins il a tenu à ce que Neil soit à l'écart pendant ce moment. Mais il va s'en remettre. Il s'en remet toujours. 

L'avocate hocha quelques fois la tête et revint vers elle, dans un grand soupir, faisant tinter ses talons hauts sur le sol marbré.

- Crois moi bien que ce que Sarah a fait nous dépasse. Nous aussi on a été choqués. On était peut être content qu'elle laissa Shayne mais... On ne laisse pas les enfants derrière.

- Je comprends.

- Toi aussi, tu as quelqu'un qui est parti faire la même... Débilité ?

- Oui, le père de ma fille.

Melinda en fronça les sourcils avant de reposer son attention sur Neil qui était toujours en train de dormir, la bouche légèrement ouverte, ce qui était juste adorable. Elle s'adoucit à cette vue et remarqua.

- On ne devrait pas abandonner les enfants.

- Je suis d'accord. Et ce petit a déjà perdu sa mère. Qui ne reviendra certainement pas, même si la guerre s'arrête et qu'elle est encore vivante à la fin... Laisse lui un père. Ne lui laisse pas le système. Ces dernières années j'ai connu bien trop de personnes issus du système ou qui ont souffert de l'absence d'un parent. J'en ai vu les conséquences. Et comme je le dis, Shayne tient à être un bon parent. Il le saura quand je lui aurait botté si fort le derrière qu'il en oubliera le goût de l'alcool. Je te le promets.

A sa remarque, elle ne put s'empêcher de rire et leva même les bras en l'air.

- D'accord. Je te fais confiance. Mais je te préviens, si ce petit a le moindre problème...

- Il n'en aura pas. Je m'occuperai de lui le temps que... Le temps que l'autre con dessoule.

- Bien. Bien. Alors je n'appellerai pas les services sociaux.

- Merci.

- Mais tu seras prévenu. Et puis ce petit braille comme mille diables...

Nala esquissa enfin un sourire et retourna vers Neil qu'elle reprit doucement dans les bras, après avoir prit ses affaires.

- Merci, Melinda.

- Mouais... J'arrive pas à le croire que je t'ai écouté plaidoyer pour lui, tu sais... Tu aurais dû être avocate. 

La jeune femme mima la lourdeur de ce compliment, ce qui les fit rire toutes les deux et Melinda l'accompagna jusqu'à la porte qu'elle lui ouvrit.

- Tu n'es pas la démone que Shayne décrit, tu sais...

- Non, j'ai bien peur qu'il n'ait raison. Je n'aime juste pas qu'un enfant soit blessé. Et puis avec la guerre, les orphelinats et les familles d'accueil vont enfler... Si ce petit a la chance d'avoir le père que tu prétends qu'il soit... Tant mieux.

Nala lui sourit une dernière fois et finit par lui tourner le dos pour rentrer dans l'ascenseur et vite se barrer de là avant qu'elle ne change d'avis. Une fois dans le cube aux musiques outrageusement endormantes, elle poussa un énorme soupir en serrant son neveu près de son cœur.

 - J'ai bien cru que je n'allais pas y parvenir... Mais tout ira bien, mon ange, tu vas voir, je vais m'occuper de ton très stupide papa...