chapitre 72 : la valeur de la vie
Nala était à peine réveillée alors qu'elle était déjà prête à s'en aller. Elle ne voulait pas attendre une seconde de plus pour aller récupérer sa fille. Elle dégringola donc le long des escaliers, sa veste à peine mise sur ses épaules, dans le pénombre et attrapa au vol quelque chose à grignoter ainsi qu'un thermostat rempli de café brûlant. Elle claqua violemment la porte derrière, s'assit dans la voiture et commença à la réchauffer pour dégeler le pare-brise.
Occupée à bailler et à se frotter les mains, Nala jeta des coups d'yeux nerveux sur la rue encore complètement endormie. Il n'y avait que les lampadaires qui venaient la saluer avec leurs éclats aveuglants. Encore pire étaient leurs reflets sur l'épaisse couche de neige.
Une neige qui n'avait toujours pas quitté leurs contrées.
Une éternité de damnation immaculée.
Nala étouffa un bâillement dans le creux de ses mains quand son attention se porta sur le rétroviseur qui indiquait le siège d'enfant à l'arrière. Elle plissa les yeux et se retourna en tendant le bras vers quelque chose de froissé à côté. En le déroulant, elle reconnut les gribouillis de Bonnie. Plus particulièrement un petit bonhomme avec une cravate et un sourire à l'envers plus grand que son visage.
Un bonhomme triste en cravate.
Nash.
- Oh bordel...
Changement de plans.
***
Nala appuya sur la sonnette comme une dingue avant d'enchaîner en frappant.
Plus de douceur. Plus de questions. Là, elle était énervée.
- Nash ! Je sais que tu es là ! Ouvre !
Elle s'apprêta à continuer quand la porte s'ouvrit sur un Nash décoiffé en train de boutonner sa chemise sur son torse.
- Je t'avais entendu, Nala. La première fois.
- Oh. Pas à San Antonio je crois. Et pas pendant des jours après non plus.
Le jeune homme passa deux rapides coups de mains dans ses mèches brunes pour le remettre à leurs places, en vain bien sûr et agrandit l'ouverture de la porte pour la faire rentrer.
- Désolé pour ça. Rentre.
Comment ça ? Ahurie, Nala fronça les sourcils et s'avança en lenteur dans l'appartement de Nash. Un rapide coup d'œil sur les environs et fut encore plus surprise lorsqu'elle aperçut que tout était rangé.
Ce n'était qu'une façade. Un mirage de plus dans la vie si miroitante de Nash.
Nala le sut lorsque son pied grinça sur du verre pilé au sol.
- Nala, je n'ai pas le temps. Faut que j'aille au boulot. Tu voulais... ?
- Euh... Hm. Oui, je voulais... Je voulais te donner ça.
Soigneusement, Nala déplia le dessin gribouillé de Bonnie et le lui tendit. La main de Nash se figea sur la cravate qu'il tentait tant bien que mal de nouer sur sa chemise.
- Elle a mis un cœur au-dessus. Pour toi.
Le jeune homme prit doucement le dessin dans ses mains et s'assit sur le rebord du canapé où Nala pouvait apercevoir quelques trous faits au couteau.
- C'est...
- Pour toi, oui.
Il pinça ses lèvres et ses doigts ripèrent sur la feuille. Sa pomme d'Adam gonfla sous son dégluti, fit quelques pas en arrière vers la cuisine et épingla le dessin sur le frigo.
- J'ai l'air... Déprimé, dessus.
- Ouais. Pas que dessus.
Il se tourna vers elle, ses grandes prunelles bleues écarquillées.
- Alors... Tu... tu es prêt ? À dire ce qui t'as pris ? Parce que sincèrement... Je n'avais rien compris. Et ça, pour que je te vois maintenant et que...
- Je sais, Nala.
- Sérieusement, Nash, tu pouvais pas...
- Je sais, je sais. Je sais vraiment, Nala. C'est juste que... Il y a beaucoup qui a changé.
Il se rapprocha de la baie vitrée et le cœur de Nala se serra. C'était l'endroit où ils avaient essayé de se dire au-revoir. Mais encore et encore, ce n'était pas possible. C'était comme si quelque part, quelqu'un avait décidé du contraire.
Une douleur à perpétuité, une incertitude régnant en maître. C'était insupportable irrespirable, mais un destin qui n'arrêtait pas de tourner à l'imprévu. La jeune femme resta sur son tabouret en le regardant se laisser glisser le long de la vitre par-delà laquelle on pouvait voir les nuages chargés de neige se faire déchirer par le maudit faisceau rouge de la comète. Une vue chaotique pour la vie qui l'était tout autant pour Nash.
- Quoi ?
- Tout. Et je ne sais plus quoi faire. C'est comme si avant, peu importait ce que je faisais, ce qui se passait... Je savais, au moins ce qui allait se passer. Même si c'était misérable.
- Et maintenant ?
- Maintenant je ne sais plus. Toute ma vie, j'ai cherché à savoir et à comprendre... Pour que finalement, j'en suis résumé à... ça.
Nala pinça douloureusement ses lèvres et regarda les environs miroitants.
- C'est juste le moment. On a tous l'impression que tout s'écroule.
- Ouais. Ouais, ça doit être ça.
- Nash, qu'est-ce qui s'est passé ? Je veux dire concrètement ?
- Je ne peux pas te dire.
- Pourquoi ?
- Parce qu'il n'y a rien à dire. C'est ça, le truc. J'ai cru qu'il y avait. Mais non. C'était toi qui avait raison. Il faut juste accepter que ce qui s'est passé... ça s'est juste passé.
La jeune femme se releva de son tabouret et d'un pas lent vint rejoindre Nash dont les genoux étaient ramenés à son torse où la chemise était encore ouverte sur son cou. Elle pouvait même voir son cœur palpiter dans sa gorge.
- Je n'avais pas dit ça. J'avais dit que c'était OK de se sentir mal.
- Pareil, Nala. Je ne me sens pas mal. Toute ma vie, je me suis senti mal. Là... Non. J'ai littéralement l'impression que ça s'est arrêté.
- Qu'est-ce que tu es en train de dire ?
Nash releva vers elle un sourire empli de douleur et il secoua la tête, faisant déplacer ses mèches fines dans ses prunelles azur.
- Je dis que rien ne semble être important, maintenant. Regarde dehors, un peu... Comment est-ce qu'une seule action peut encore avoir son importance ?
Nala s'acroupit en face d'elle et posa ses main sur les genoux du jeune homme.
- On n'a pas le droit de perdre espoir. Si c'est ça que tu me dis.
- C'est nocif, l'espoir, Nala. Toi, plus que n'importe qui peut en dire autant.
- Comment ça ?
- Oh s'il te plaît... Jay ?
Comme agressé par une gifle, elle s'assit par terre. Nash roula ses yeux au plafond et essuya légèrement ses mains de ses genoux.
- Ne me dis pas que tu penses sérieusement que tout a encore son importance.
- Nash. Sérieux. Comment on en est arrivé à là ?
- J'en sais rien.
- Pourquoi tu ne reprendrais pas du début ? Parce que je ne saisit toujours pas ce qui s'est passé.
Il passa un instant sa main dans ses cheveux avant de méchamment plisser ses iris endoloris et de répliquer.
- Tu veux vraiment savoir, Nala ? Vraiment ? Alors voilà. J'en ai marre. J'en ai vraiment marre. De... De devoir prétendre, de devoir chercher à comprendre, d'enchaîner les problèmes, la vie comme si j'étais supposé être reconnaissant d'avoir survécu aux drames qui l'ont forgé. Il y a un truc comme "ça suffit". ça suffit, Nala. Voilà ce que je suis en train de dire.
- Mais...
- Non. Il n'y a plus de "mais", je veux juste que ça s'arrête. Je veux juste pouvoir respirer tranquillement, vivre une vie normale et juste oublier. Mais apparemment, personne ne me laisse faire ça. Il faut toujours que... Il faut toujours que je me prenne les pieds, encore et encore, dans une toile d'araignée et putain, je suffoque. J'en peux plus. J'en peux juste plus. Entre les secrets, les problèmes, les problèmes liés aux secrets... Une seconde, ta vie semble ne tenir qu'à un fil et pour quoi ? Pour que celle d'après on le coupe aussi sec ? Putain, je ne compte même plus toutes les fois où j'ai essayé de me rattraper. Mais à quoi bon essayer, bordel ? À quoi bon, alors que le monde s'écroule et que les gens qu'on aime... Se cassent. À quoi bon, alors qu'au final, on crève tous, seul. Personne n'en a quelque chose à foutre. Rien n'a d'importance. Rien n'a plus aucune importance. On peut attendre, prétendre, enchaîner les jours comme si on remplissait un contrat... C'est épuisant. Je suis épuisé. Je ne veux juste plus. Je l'ai dit un millier de fois dans ma vie, mais je le redis, une fois de plus. Alors, la vraie question est... Comment toi, alors qu'il t'a abandonné avec elle, tu fais pour supporter encore ?
Nala dut se faire violence pour éviter que les larmes viennent embrumer ses yeux. Elle replaça sa mèche noire derrière son oreille au moins trois fois en cherchant ses mots avant de tout simplement répondre.
- Je n'ai pas le choix. C'est justement pour elle. Pour Bonnie. Je n'ai aucun droit. Je suis responsable.
- Ouais. OK.
- Nash, je ne suis pas en train de te dire que tu n'en vaux rien pour autant, je t'en supplie, arrête de penser ça.
- Pourquoi ?
- Parce que ton fil de vie dépend du mien.
Sa réplique était instinctive. Peut-être un peu trop instinctive. Sincère, mais pas lieu d'être. Elle s'empressa donc de se remettre debout et se racla la gorge afin de se débarrasser de cette monstrueuse boule d'émotions qui menaçait de la faire craquer.
- Ce n'est pas ce que je voulais dire.
- Ce n'est pas grave, je comprends.
- Nash, je veux juste que tu saches que tu n'es pas seul. Tu ne seras jamais seul, parce que soyons honnêtes... Tu es juste... Toi. Tu penses peut-être que le monde entier a fini par te tourner le dos, mais ce n'est pas le cas. C'est juste un temps de chaos. Mais l'univers est né dans le chaos. Et de ça, en est né l'ordre.
- Tu crois sincèrement que ça finirait par passer ?
- Il le faut. Il le faut. Il le faut vraiment.
Nash posa une main contre la vitre, faisant tatouer l'empreinte de ses doigts dessus, afin de se redresser. La dépassant de quelques têtes, il lui sourit.
Sauf que toute la vie avait quitté son geste et c'était comme se prendre un coup de poignard en plein cœur.
- Tu as surement raison.
- Ne me fais pas peur, Nash. Je te l'implore.
- Non, non. Non. La vie elle est ce qu'elle est, pas vrai ?
Ils n'eurent pas le temps de se regarder dans les yeux, car le téléphone de Nash se mit à sonner. Il contourna Nala et le saisit du canapé avant qu'il ne tombe par terre à cause des vibrations. Elle profita qu'il ait le dos tourné pour prendre une grande inspiration et ravaler un sanglot naissant, les mains figés dans le creux de sa taille.
Elle ne s'attendait pas à une si grande honnêteté de Nash. Et si Shayne qui s'écroulait, était déjà un horrible moment à supporter, une fois que lui, s'y mettait...
C'était une seconde apocalypse.
Elle n'était pas sûre de pouvoir tenir.
Alors que Nash était en train de parler houleusement d'affaires au téléphone, Nala se dirigea silencieusement vers la sortie. Elle posa sa main sur la poignée quand son regard se posa sur le courrier avachi au sol. En se baissant pour le ramasser, elle remarqua une enveloppe noire et dorée qui se démarquait des autres.
C'était une invitation à un grand gala de charité pour la compagnie de Glock.
Nala se tourna vers Nash qui était en train d'écouter son interloquteur, tout en tournant en rond et demanda :
- Hey... Tu y vas ?
- Oh ça ? Ouais, je suis obligé. Oh mon Dieu, j'avais failli l'oublier.
Calant le téléphone dans le creux de son oreille, il se rapprocha d'elle et lui prit l'invitation des mains en fronçant les sourcils.
- Bordel. ça va vraiment être chiant.
- Pas forcément.
- Comment ça ?
- Je peux venir si tu veux ?
Il éclata de rire avant de redevenir sérieux pour répondre à son collègue. Nala attendit et il finit par murmurer.
- Tu n'es pas obligée. Vraiment, ce sera trois fois rien.
- Alors si c'est trois fois rien, je viendrais.
Il voulut répondre, mais il était bien trop occupé au téléphone. Nala sourit doucement, posa un instant sa main sur son bras avant de s'en aller.
En claquant la porte derrière elle, elle se plia à demi pour enfoncer ses paumes dans ses cuisses.
L'air était devenu un bien trop précieux, ces derniers jours.
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Noooon je ne vous ai pas oublié ! Je suis juste terriblement occupé ces derniers temps avec le travail éditorial et tout 😭😭😭
Mais voici le chapitre !
💙💙💙💙
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