chapitre 71.1 : la vérité brûle comme l'enfer

NASHVILLE

La lumière était trop aveuglante pour que Nash puisse voir convenablement en face de lui. Non pas qu'elle était particulièrement prononcée, c'était juste qu'après avoir passé plusieurs nuits de suite à boire et boire encore... Ses pupilles ne s'acclimataient plus aussi bien à la lumière.

Oui, oui. Boire. C'était tout ce qu'il faisait depuis qu'il s'était enfoui du berceau familial de Nala.

Le souvenir l'avait percuté, et pas quitté depuis. S'il avait passé toutes ces dernières années dans l'obscurité la plus totale, à présent, la clarté était à sa porte et le hantait. Alors oui, bien sûr que oui, ses principes, ses valeurs, ses vœux... il avait tout jeté à la poubelle. Il buvait et buvait encore jusqu'à ce que le gin bon marché lui fracasse tellement le crâne qu'il s'écroulait sur le sol et ne se réveillait que le lendemain.

Ses affaires, son travail, les dossiers qui s'accumulaient sur son dossier, son téléphone qui n'arrêtait pas de sonner... Rien, absolument rien n'avait d'importance. Il avait mal.

Parce que quelle genre de mère était prête à se suicider devant les yeux de son gamin ? Une malheureuse porte de salle de bains n'était pas suffisant pour apaiser un tel choc.

Tout ce que voyait Nash, désormais, c'était ce sang, épais et visqueux, couler des bras entaillés de sa mère pour venir frôler ses chaussettes.

Un évènement qu'on lui avait bien trop caché. Et il en voulait au monde entier.

Même Nala appelait. Et même à elle, il ne répondait pas.

Tout ce qu'il y avait à présent, c'était lui et les lumières aveuglantes de son bureau dans lequel il s'était enfermé. Les volets étaient abaissés, les lumières éteintes... Tout ce qui venait le perturber, c'était le son de ses partenaires qui travaillaient de l'autre côté de son bureau. Nash se redressa du plan de travail, remit sa bouteille vidée dans son tiroir qu'il referma seulement qu'à moitié et se leva de son siège. Il balança sa veste, sa cravate, retira même ses chaussures et vint s'allonger en plein milieu de la pièce.

Il avait tellement mal au cœur qu'il l'entendit fracasser le sol, tandis qu'il s'étendit. Ses mains posées sur son ventre, il plongea son regard dans le ventilateur à l'arrêt, au-dessus de lui.

Et bien sûr, alors que son esprit était en train de divaguer, on vint frapper à sa porte. Nash ferma un instant les yeux pour prendre son courage et dire à qui bien ça pouvait être d'aller se faire foutre, mais n'eut pas l'immense honneur d'en avoir le temps.

La porte s'ouvrit à la volée et Nash se redressa sur ses coudes pour voir de qui il s'agissait.

- Et bien, Nashville... Tu as l'air d'être une véritable merde.

Bien sûr. Bien sûr. Il fallait que ce soit son père. Sauf que Nash n'était pas du tout dans l'état de pouvoir le supporter. Lui, qui lui avait menti autant d'années dans les yeux, qui l'avait détruit et détruit encore, qui l'avait abandonné dès le début pour ne revenir que des années après pour profiter de lui...

Et alors que la colère commençait doucement à bouillonner en lui, Nash agrippa le coin de son bureau pour se relever et vint se positionner en face de son père.

L'homme recula un peu la tête, le nez froncé sous le dégoût lorsque l'odeur de l'alcool vint l'effleurer, mais Nash l'ignora. À la place de lui répondre, il le contourna et vint rejoindre le bureau de John qui regardait tranquillement la scène se passer.

- John... Qu'est-ce que je t'avais dit, la dernière fois ?

- Monsieur Peters, je...

- Qu'est-ce... Que... J'avais... Dit... La dernière fois ?

Cramponné sur les rebords du bureau, les tendons saillants, ses cheveux jais pendant de son front en fines loques, sa voix s'empreignit de colère. Les voix des autres s'éteignirent et un silence de plomb vint s'installer. Mais peu importait les mille et un regards qui étaient braqués sur eux comme des lasers de Snipers... Nash ne se démonta pas. Il en avait assez et à présent que la colère s'était installé en lui... Il fallait un sacré calment pour la faire disparaître. Le doux et tendre homme qu'il pouvait être s'était évaporé le moment où il s'était rappelé comment toute sa misérable vie avait commencé.

Et ça n'allait pas s'arrêter.

John reposa le combiné de téléphone qu'il avait dans le creux de l'épaule et après un petit raclement de la gorge, il répondit, du plus calme qu'il pouvait.

- Vous aviez dit de ne plus jamais faire rentrer votre père sans que...

- Ouais. Exact. Je ne voulais plus jamais revoir ce trou du cul. Et pourtant... Ha, pourtant il est devant ma gueule. Maintenant, dis-moi, John... Qu'est-ce que ça dit de toi ?

- Je suis vraiment navré. Il voulait juste vous voir.

- Me voir ? Oh... Il voulait me voir...

D'un coup de main, Nash balaya l'épaisse pile de dossier qui ornait le bureau de son secrétaire et le silence doubla de pression.

- J'en ai rien à foutre ! Il fait comme tout le monde ! Il prend rendez-vous !

- Mais...

- J'arrive pas à le croire que tu l'ouvres encore... Tu sais quoi ? T'es viré.

- Quoi ?!

- Nash...

La main de l'ancien dirigeant de la branche Texane de l'entreprise vint se poser sur son épaule et il se tendit. D'un petit sursaut, il la déblaya et continua en ramassant le carton vidé qui trônait sur le sol, afin de la présenter devant son secrétaire.

- Prends tes affaires et dégage. Ce n'est pas comme si je ne t'avais pas prévenu !

- Monsieur Peters, je vous en supplie.

- Ne fais pas l'enfant, Nash.

- Ne me touche pas, putain...

Grogna Nash avec la véhémence d'un tigre, lorsque la main de son paternel vint à nouveau l'effleurer. Il regarda John se lever et commencer à mettre ses stylos dans le caisson et se retourna enfin vers son père. Comme d'habitude, habillé de son parfait petit costume taillé sur mesure, il se tenait derrière lui, dans une position nonchalante. Cette vision lui était insupportable, alors il arqua le bras vers la porte qui menait à l'ascenseur et siffla sourdement.

- Dégage d'ici. Je ne me répèterai plus jamais. Tu n'as rien à faire ici, cette compagnie ne t'appartiens plus... Alors juste... Dégage.

- Nash, je suis ton père. J'ai le droit de venir te parler quand je le veux.

- Mon... Mon père ?

Hoqueta Nash avec bien trop d'ironie qu'il ne le devrait. Il s'approcha de lui, coupant le peu d'espace qui les séparait, presque au point où leurs deux fronts se collèrent. L'expression faciale de son père commença à virer vers l'inquiétude lorsque les yeux embrasés de Nash se figèrent dans les siens et il eut raison... Car il n'y avait plus rien qui pouvait l'arrêter de vociférer.

- Mon père ? Tu oses encore prétendre que toi, tu es mon père ?

- Nash, tu fais une scène. Calme-toi.

- Que je me calme... Ce connard veut que je me calme...

Nash rit un instant, ses mains toujours enfouis dans ses poches, mais il n'aurait fallu que d'une mini fraction de seconde pour qu'il sorte un poing serré au maximum et qu'il vint l'enfoncer dans sa figure.

Surpris et déboussolé, son père tituba en arrière, sa joue déjà rougie en main, ses yeux bleus qu'il avait légué à son fils, lançant des éclairs.

Mais Nash n'allait pas s'en arrêter à là. Comme si ce premier coup de poing avait laissé la porte ouverte à toute sa colère de se consumer, il arqua à nouveau le poing et l'abattit au même endroit. Et puis un autre et encore un autre. À chaque fois un peu plus fort.

- T'as tué ma mère, espèce d'enculé ! C'est ta faute ! C'est ta faute !!

Ses partenaires laissèrent en plan ce qu'ils faisaient pour se ruer sur eux, tentant de toutes leurs forces de séparer les deux, mais Nash se débattit pour revenir à la charge. Il était complètement aveuglé, il voyait rouge. Ses entrailles, son sang... Tout bouillonnait à la limite de l'éruption. Et si des larmes se dessinaient dans les sillons de ses yeux endoloris, c'était le sang qui coulait de ses poings.

On réussit finalement à les séparer, pile au moment où Nash allait abattre son poing dans la tempe de son père.

Mais c'était déjà bien trop, pour lui. La peine était là, la souffrance encore plus... Il fallait des réponses. Et c'était par le sang qu'il fallait payer.

***

- Pas plus de dix minutes.

Enfermé dans la cellule, sans sa ceinture et sans les lacets de ses chaussures, les poings ensanglantés des deux côtés de son crâne, Nash releva lentement la tête vers le couloir de la détention provisoire du commissariat.

Oui. Il aurait fallu de la police pour arrêter la tornade de rage de Nash.

Le policier de garde fit rentrer son père dans le couloir et il grogna. Au moins, à en juger la tête qu'il avait, à présent, ces coulées de sang qui tachaient sa chemise blanche ou encore son œil droit complètement fermé et gonflé, il savait qu'il n'avait pas loupé son coup. Ses coups, plutôt.

Sa veste de costume retiré, il la gardait en main, tandis que de l'autre, il pressait un paquet de glaçons sur sa joue gonflée. Il vint s'arrêter devant les barreaux de la cellule et souffla.

- Il t'auras fallu 26 ans pour t'en souvenir.

- 26 ans que tu m'as menti.

Trancha Nash, presque immédiatement après, toujours pas levé de son banc. Son père regarda un peu autour de lui, mais vu qu'ils étaient seuls, il vint se coller aux barreaux.

- Je ne t'ai jamais ment. Pas là-dessus.

- Tu m'avais dit que tu allais m'apporter mes réponses, si je venais avec toi, tu te rappelles ? Tu m'as... Appris, enseigné... Tu m'as retiré de force à l'armée et pour quoi... Pour que je sois ton petit chien ?

- On avait déjà discuté de ça, Nash.

- Tu as tué ma mère...

- Non. Non, ta mère s'est tuée toute seule.

- Tu l'y as forcé.

Mark ricana de son faux rire que seuls les capitalistes pouvaient sortir pour embobiner leur monde et le dégoût de Nash n'en fut qu'accentué.

- Je l'y aurai donc forcé... Tu m'avais vu, dans cette salle de bains ? Je tenais ces lames de rasoir ?

- Tu nous avait laissé sans rien.

- Ce n'est pas vrai. Quand ta mère est tombée enceinte, je lui ai donné mille dollars pour l'avortement et les... Dommages et intérêts.

- Quoi ?

Répliqua Nash avec lassitude. Son père finit par se retourner vers lui et il arqua le seul sourcil qui réagissait encore.

- Ta mère ne t'avais jamais raconté pourquoi... Pourquoi toi, tu étais né ?

Le dégoût dans la voix de l'homme était si prononcé que Nash ne sut même pas secouer la tête ou donner quoi que ce soit d'autre comme réponse.

- Disons que... L'année de ta naissance était une véritable folie... Les soirées se succédaient et... Je mentirais si je disais que je ne trouvais pas ta mère la plus belle femme qui puisse exister. Malheureusement elle avait dix-neuf ans, j'étais marié... Mais je la voulais. Je la voulais vraiment.

- Ferme-là.

Nash tenta de replier ses jambes à son torse, mais ses muscles étaient paralysés sur place. Son père continua malgré tout, son regard nonchalant collé sur son pas tandis qu'il commença à marcher le long du couloir.

- J'étais, bien sûr, le seul qui sache parler suédois et... Au fil de la tournée, j'ai réussi petit à petit à me rapprocher... Puis un jour, lors d'une fête... Particulièrement festive... On avait fini la soirée ensemble.

- Il y a quoi de pas compréhensible dans "la ferme" ?

- Mais quand on s'est réveillé le lendemain... Elle a commencé à crier. Elle disait qu'elle n'avait rien voulu de tout cela et que je l'avais forcé. Que je l'avais...

Nash se redressa dans un bon, son sang ne faisant qu'un misérable tour dans ses veines. Ses poings à nouveau serrés contre ses hanches, il se rapprocha finement des barreaux.

- Quoi ?

- Je ne comprenais pas ce qu'elle me disait. Vraiment. Et puis quelques jours après, elle est revenue en scandale, annonçant que je l'avais mise enceinte. Je lui ai donné l'argent, mais elle continuait à crier, menaçant qu'elle préviendrait ma femme, la police... Puis elle avait disparu. Et pour quoi... Pour qu'elle ose revenir six ans plus tard et qu'elle me menace ? Moi ? Alors bien sûr que je lui ai refusé ce qu'elle me demandait... Elle n'était qu'une misérable avec un larbin minaudant.

- Tu as violé ma mère...

- Vois-tu, Nash... Peut-être que oui. Oui, peut-être qu'elle n'avait pas autant envie de moi que moi d'elle... Et oui, je l'ai foutu enceinte... Mais elle... Elle t'as gardé. Comme preuve. C'est moi qui t'utilisais ? Pense plutôt à ce qu'elle t'as fait...

Nash en avait les narines qui palpitaient. Toutes les veines de son corps étaient saillantes. Tous ses sens étaient en alerte, au point où il aurait très bien pu entendre les pas de cette petite colonie de cafards qui regorgeait les coins de la cellule.

Mark décrocha le paquet de glace de son visage et cette même expression manipulatrice vint le teindre lorsqu'il poursuit :

- Elle préférait se suicider, plutôt que de devoir te voir, te toucher. Elle préférait mourir plutôt que de te savoir à ses côtés, de respirer le même air que toi... Pour elle... Tu n'étais qu'un déchet. Toxique. Nocif. Elle te détestait tellement, Nash... Et c'est elle que tu idéalises ? Alors que c'est moi, qui t'ais donné une éducation ? Un toit ? Oui, je t'ai mis à l'épreuve et oui... Je t'ai laissé en famille d'accueil pendant un bon moment... Mais réfléchis... C'est grâce à moi ? Ou à elle que tes poches sont blindés ?

- Tu as violé... Ma mère...

Répéta Nash, articulant chaque syllabe comme une incantation du mal. Mark roula ses yeux bleus identiques au plafond et en fit autant de ses épaules.

- ça n'a plus d'importance, Nash... L'important, c'est que tu sois là. Et ça n'aurait pas été le cas si ta mère t'avais aimé ne serait-ce qu'un minimum. À la place, elle a préféré se tailler les veines. Elle ne s'était même pas fatigué de faire ça chez elle... Elle a fait tout pour casser le seul truc qui allait pouvoir me faire construire mon empire.

Nash s'appuya sur les barreaux, au point où le bout de leurs nez respectifs se frôlaient et souffla, ses dents si serrées qu'elles grinçaient.

- Je vais te tuer.

Mark expira, exaspéré et fit un petit pas en arrière pour regagner la porte. Une petite larme vint creuser une tranchée dans le sang séché qui recouvrait la joue de Nash.

- Tu pourras me menacer autant que tu veux, Nash... Bon nombre ont essayé avant toi. Ta mère par exemple. Et rappelle-moi, où elle est, maintenant ?

Le gardien vint lui ouvrir la porte, mais avant de partir, il se retourna à demi pour ajouter autre chose :

- Oh... Je t'ai payé ta sortie, au fait. Prends soin de toi... Fiston.

Et sur ce, il s'en alla, laissant Nash seul, avec toutes ces révélations.

Un choc véhément qui n'avait de ressemblance avec absolument rien d'autre...

Et peut-être que la dernière lueur de vie et d'espoir s'éteignit dans l'âme de Nash. Une flamme, faible et pauvre sur laquelle on a toujours soufflé, mais qui aurait finalement fini par flancher.

Oui. Il avait flanché. Flanché, étant le mot.

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top