chapitre 67 : le cauchemar à l'état pur

JAY

- J'ai comme un mauvais pressentiment.

À l'annonce de Jay, tout le monde redressa le regard de leur piètre dîner. Le nez en l'air, le capitaine huma la légère brise qui souffla dans sa direction. Un fourmillement parcourra son échine tandis qu'il porta sa main à son arme. Les routes étaient de plus en plus dangereuses, aussi ironiques que ça pouvait paraître, car ils étaient pourtant dans la Zona Verde, autrement dit, là où ils étaient tous supposés être en sécurité.

Il n'y avait pas de sécurité. Que du chaos. Jay ne dormait quasiment plus. Trop préoccupé par les siens. Trop préoccupé par les milliers de petites voix qui lui giflaient la tête avec la hardeur d'une centaine de poignards embrasés. Il voulait rentrer. Pour la première fois de sa vie, il voulait dire merde, couiner, cacher sa tête dans un oreiller et se réveiller que pour aller manger. Il avait faim, aussi. Les commerçants, tout sorte de vendeur, à vrai dire, prenaient profit de la guerre et faisaient grimper les prix jusqu'à des plafonds exorbitants. Les maraudeurs, comme ceux de Pise, se multipliaient. La police... C'était devenu une vaste blague. Autant dire que ces habitants, ces victimes de guerre, ces fugitifs, immigrés par millier... Ils étaient seuls.

Comme eux en fin de compte.

Jay se releva, délaissant son fond de conserve et se rapprocha de l'entrée de la masure où ils avaient trouvé refuge pour la nuit et s'accouda dans l'embrasure de la porte. Il n'avait qu'un seul mot, quand son regard s'étendait sur les derniers paysages de la botte Italienne... 

Guerre.

Un mot pourtant court et simple, auquel il avait été confronté depuis les premiers instants de sa vie, mais qui à ce jour... Le fracassait de l'intérieur. Emily et Seth vinrent se ranger à ses côtés, leurs armes en main, prêts à obéir au premier ordre qu'il leur fournirai, mais d'un geste de main, les rassura. Parker s'essuya la bouche du revers de sa manche d'uniforme blanc, qui fut immédiatement taché de la sauce rouge des haricots qu'ils mangeaient pour la énième fois.

- C'est peut-être ce qui se passe au pays... Quand on est passé en ville, tout à l'heure, j'ai aperçu des infos, sur les écrans... Les couvre-feux vont être mis en place plus tôt et des exercices sont effectués chaque jour pour les enfants.

La gorge de Jay se resserra. Son enfant. Sa magnifique et rayonnante petite Bonnie Blue, dont la joie de vivre était le seul et unique remède dont il avait besoin maintenant. Il souffla si bruyamment que les mèches brun caramel de ses cheveux volèrent de son front et il revint s'asseoir sur son coin de paille.

- Tant mieux. Ils ne sont jamais assez préparés.

Emily se pencha légèrement sur leurs affaires, entassés dans un petit monticule près d'un mur rocheux qui s'effritait et en sortit son talkiewalkie grésillant.

- Il faudrait peut-être alerter la base ? Leur confirmer nos positions ? Demander comment ça se passe de leur côté ?

Au moment où elle allait prendre contact, ouvrant la bouche pour confirmer qui elle était, mais Chelsea le lui arracha des mains pour le remettre dans les affaires.

- Laisse tomber.

- Mais...

- Em. Elle a dit, laisse tomber.

Quand la jeune blonde leva le regard sur Parker qui avait posé sa main sur son bras, 

- Chacun à sa place, maintenant.

Elle envoya un regard inquisiteur à Jay qui lui affirma, sévèrement. Il finit par reprendre son souffle, sentant son cœur tambouriner dans sa poitrine comme un train en retard et étira ses jambes pour s'allonger, sa tête sur son sac.

- Dormez. Demain, c'est la dernière ligne droite avant les Alpes et... On n'aura pas d'arrêt.

Pas d'arrêt avant les Alpes... On aurait dit un bon petit plan vacances, un magnifique pèlerinage à travers l'un des pays les plus religieux de l'Europe, mais pour l'instant, c'était l'enfer. 

Et ils n'étaient qu'au début de leurs cauchemars.

***

Des corbeaux. Des corbeaux par milliers. Un remake réel des Oiseaux d'Hitchcock. Les bestioles au plumage noir comme la nuit, croissaient et croissaient encore, se battant avec les autres charognards pour les morceaux de viande qui s'étalaient à l'infini. Parce que oui... Devant la petite troupe de traîtres, qui avaient passé la matinée à arpenter les durs chemins qui menaient en hauteurs de ce continent, s'étalaient, à perte de vue... Des cadavres. Debout, devant des grands fils barbelés aux annotations de danger, écrits à la peinture noire et rouge, sur des panneaux en fluo, ils étaient aussi pétrifiés que les corps. Seul Jay eut la force mentale assez développée pour se dépêcher de s'agenouiller devant son sac pour en sortir son masque à gaz. Jamais il n'aurait cru devoir s'en servir pour... ça. Comme un mécanisme, tout le monde s'exécuta pour l'imiter et très vite, ils étaient couverts, sous ce soleil de plomb, qui brûlait leurs peaux un peu plus chaque jour qu'ils montaient dans les confins Européens. La peau du visage de Seth, blanche, trop blanche, d'habitude, était même recouverte de cloques. Des cloques qui se retrouvèrent vite coincés sur le masque et on l'entendit grogner en relief. 

Jay activa son apport en oxygène et Chelsea minauda.

- On se croirait dans Tchernobyl.

Tout le monde se retourna vers elle. Même Emily, dont la langue pouvait parfois fourcher dans des conditions plus que déplacées. Mais Chelsea ? De son rang d'officière ? De son éducation de West Point ? De son expérience militaire ? Non. Jay la fusilla tellement du regard qu'elle soupira, faisant embrumer la vitre de son masque à gaz et commença à longer la longue étendue de fils barbelés.

- On devrait trouver une entrée quelque part.

- Capitaine, est-ce qu'on va devoir traverser... Tout ça ?

Jay comprit pourquoi le petit hoquet d'Emily fit surface. Il pressa son épaule contre la sienne tout en faisant signe aux autres de suivre la lieutenante, et lui indiqua la désolation.

- On perdra trois jours si on contourne. Il faut qu'on y aille aujourd'hui.

- D'où viennent ces corps ? Pourquoi... Pourquoi sont ils alignés comme ça ? Où sont les forces ?

Des questions auxquelles il ne saurait répondre. Jay plissa légèrement les yeux pour pouvoir voir au-delà de la brume, dans laquelle il commençait tout doucement à s'étouffer et aperçut une grande tente, au loin. L'entrée était grande ouverte. La bâche voletait sur une grande pièce où étaient en train de virevolter des centaines de feuilles, des tables et chaises basculées en arrière. Il se tourna donc vers Emily et répondit, la voix maussade.

- Parce qu'il n'y a plus rien à faire. Ils sont venus, ils ont déposé leurs... Déchets et ils sont partis. 

- Avant quoi ?

Parker se baissa sur le sol et attrapa les feuilles tamponnées de rouge.

- D'après ces feuilles, je dirais des maladies... On est pas supposés être là.

Inquiet, Jay se rapprocha du lieutenant, lui arrache les feuilles des mains et parcourra ses yeux dessus. Hormis le texte écrit en italien, il comprit plus ou moins les maladies qui y étaient inscrites. 

- D'accord, à partir de maintenant, plus personne n'enlève son masque ! On peut crever en trente secondes et demie ! 

- Si ce n'est pas déjà trop tard...

Tout le monde se retourna vers Seth, qui jusqu'à présent était bien silencieux. Il tenait lui aussi une feuille en mains et le tendit vers son supérieur qui vint le voir.

- Soit ils vont bombarder cet endroit, soit ça parle de sucre... J'en suis pas certain, l'italien, c'est pas...

- D'accord, nouvel ordre ! On se bouge le cul !

Jay dépassa les autres, déchira la bâche qui donnait sur le champ de cadavres recouverts de couvertures blanches, nuancées du noir des plumages des corbeaux et s'avança en criant.

- On sait pas quand ils viennent enflammer ces cadavres, alors dépêchons ! Maintenant ! 

Il n'en fallait pas plus.

Les voilà qui étaient littéralement en train de s'avancer dans l'antre de la Mort. Le jour de la condamnation était arrivée. 

Il était trop tard.

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