chapitre 66 : une petite lumière au fond du tunnel

CHRISTIAN

Chaud. Ou froid. Une vision floue et imprécise qui n'arrêtait pas de changer au grand damn de ses pupilles.

Mais le plus insupportable, c'était le bruit.

Il n'y en avait pourtant aucun. Et pourtant... C'était comme si ses tympans en étaient vrillés.

Christian avait depuis longtemps quitté son lit de malade, ainsi que cette malheureuse chapelle dans laquelle ils étaient tous entassés comme des sacs à patates. Des sacs à patates suintants de sang, de pourriture et de mort précoce, mais bon... L'idée était là.

Malheureusement.

Il ne pouvait pas rester. Alors, il avait attendu le bon moment pour se relever, se rhabiller et essayer de prendre l'air.

La sueur perlait le long de son front, faisant pendre ses boucles de cheveux sur son visage blême qui aurait fait peur aux fantômes de l'endroit, s'ils se manifestaient... Mais les esprits, comme le Seigneur, probablement, avaient quitté les lieux sans rien demander en retour.

Enfin, si. Lui, du coup. C'était lui, le vagabond des couloirs.

Il savait que c'était stupide, il savait que c'était inconscient... Mais il n'y pouvait rien. Il fallait qu'il respire. Qu'il vive. Si ça devait être les dernières minutes de sa vie, il préférait les passer dehors, plutôt que dans ce lit.

Alors il était là... Se cramponnant aux murs, serrant les dents pour éviter de grogner. Ses doigts glissaient sur la roche froide et son souffle formait des nuées devant lui. Ça n'aidait pas à sa vision déjà si affaiblie. Il remonta le long du petit escalier en spirale qui guidait jusqu'aux étages supérieurs de la vieille abbaye. À partir de là, il n'y avait plus personne.

Ils s'étaient tous amassés en bas, pour leur protection et surtout pour se réchauffer. Leurs vivres baissaient autant que la température... S'en était suffoquant. Alors plus le major déchu montait, plus son esprit se tranquillisait. Arrivé en haut des marches, Christian poussa la porte qui menait jusqu'aux petits jardins internes et c'était une bouffée de froid qui vint mordre son visage. C'était peut-être suicidaire, il était vrai, mais très franchement, son délire avait pris le dessus sur sa raison. Les mains toujours sur le ventre, il tutibe jusqu'à l'un des petits buissons recouverts de glace et de neige et se laisse glisser sur le sol. Le choc thermique de ses doigts brûlants sur la glace froide et étincelante sous lui le fit grimacer, mais il finit par se détendre. Même lorsque de ses plaies ouvertes par sa marche, se mirent à suinter à travers ses vêtements, pour venir s'égoutter sur le sol, il ne bronchât pas.

Il était même fasciné. Fasciné par la splendeur qu'avait ce pourpre sur ce blanc immaculé...

D'une beauté fatale, létale... Et un petit peu démente. 

Un sourire naquit dans le coin de ses lèvres lorsqu'il bascula la tête en arrière, afin de contempler les immenses nuages qui recouvraient le ciel. Des grosses boules chargées qui grondaient sans arrêt... Comme si des bombes allaient les fracasser à tout instant. Même si cette vue était à premier abord plutôt... chaotique, Christian n'en était que plus intrigué. Il avait passé sa vie à observer les nuages, pour savoir comment s'orienter et protéger les siens, dans les montagnes... Des nuages qu'il avait contemplé avec celle qu'il croyait aimer. Et où pouvait-elle bien être, aujourd'hui ? Qu'est-ce que Billie faisait ? Avait-elle au moins une pensée pour lui ?

Non. Bien sûr que non. Pourquoi ce serait le cas, de toute façon ?

Il allait fermer les yeux sur cette magnifique vue, quand un violent bruit de porte se fit. Il se redressa si vite que sa tête en tournait. Ses doigts dérapaient sur la couche de neige sur laquelle il était assise et par instinct, porta sa main droite à son holster. Il guetta les bruits de pas qui s'échappaient du couloir, retentissant dans ses tympans comme le tambourinement final de sa vie, mais quand la porte donnant sur le jardin de prière s'ouvrit... Il se détendit. Énervée et presque irradiante, elle repoussa l'épaisse couche de bois qui séparait l'extérieur de l'intérieur, gravé d'inscriptions latines, du bout de sa grosse botte militaire et rejeta son sac sur son dos. 

- Je me disais bien que je ne croyais pas avoir donné l'autorisation pour toi de sortir... 

- Je croyais que tu étais partie.

- Et tu t'es dit que c'était une bonne idée de fuir ? Ici ? Je suppose que tu ne pouvais pas aller bien loin...

La lieutenante souffla tout l'air de son corps et d'un pas de félin, elle se rapprocha de lui. Quand elle s'agenouilla en face de lui, ses cheveux glissants de son bonnet pour venir s'abattre en cascade sur ses épaules, une petite odeur vint enivrer les narines du major. Dans cette ère de souffrance, de sang et de putréfaction, Sarah sentait la fleur. Enfin, cette odeur arrivait à percer la piquante odeur chimique de médicaments, du moins. Christian tenta de se relever, pour faire face, son orgueil d'homme prenant le dessus de sa maladie, mais Sarah ne le laissa pas faire. D'un unique coup d'index sur l'épaule, elle le repoussa dans le buisson et plissa du nez.

- Tu n'iras nulle part. Tu as voulu venir ici, c'est ici qu'on fera ça.

- Laisse-moi.

- Je peux faire ça. J'aurais une charge en moins. Cependant, tu seras un corps en plus. Le prix est lourd... Fais ton choix. Je n'ai pas le temps.

Il ouvrit la bouche pour confirmer son choix, mais n'en fit rien. Il avait pas assez de force de se battre contre cette furie qui semblait rayonner, dans toute cette tourmente. Rayonner... Voilà le mot. Alors que la docteure était en train d'ouvrir son sac, où se trouvait diverses boîtes et petites flasques de médicaments, il la scruta. C'était peut-être la haute fièvre et son sang qui semblait se rebeller contre lui, tournoyant dans ses veines comme un bouillon, mais il était persuadé de voir quelque chose d'émaner d'elle. Il n'eut cependant pas le temps de plisser les yeux pour confirmer, car en moins d'une fraction de seconde, quelque chose vint lui piquer le pli des coudes. Il tressauta sous la vive douleur que la piqure suscita et Sarah marmonna en préparant une autre seringue.

- Oh, pitié... Tu auras encore plus mal si je loupe une veine... Putain, elles sont tellement dilatées qu'on ne voit que ça.

- Laisse mes veines.

Elle sourit à sa remarque et vint appliquer sa main gantée sur son front. Elle lui essuya ses boucles trempées pour lui tâter la peau. 

- On peut t'utiliser comme chauffage en bas. Allez viens avec moi, on continuera de te soigner.

- C'est encore possible ? De toi à moi... Tu... Tu crois que...

Il étouffa la fin de sa phrase dans une petite toux, mais Sarah n'avait pas besoin de plus pour répondre.

- Bien sûr. Rien n'est jamais trop tard.

- Tu mens. Mal, en plus.

- Je fais ce que je peux, d'accord ? Oui, bien sûr que oui, tu peux crever, mais je ne te laisserais pas faire. Je te bourrerai de tous les médicaments du monde, s'il le fallait.

- Pourquoi ?

Elle fronce les sourcils, presque outrée, avant d'indiquer le patch aux serpents croisés sur son épaule.

- Parce que c'est mon boulot, abruti.

- Pourquoi ?

- Pourquoi c'est mon boulot ?

- Hm hm.

Elle souffle bruyamment, faisant tressauter ses mèches brunes et se rassit dans la neige en face de lui. Elle commença à préparer un kit de sutures et alors qu'elle était en train de faire passer le fil dans l'aiguille, elle expliqua.

- Parce que j'aime bien aider les gens. Les garder en vie. C'est dingue, parce que j'aurais jamais cru que peu importait à quel point je faisais du bon boulot... Le nombre de morts dans une guerre comme celle-là est plus drastique qu'autre chose, mais...

- Moins drastique, maintenant que tu t'es sacrifié pour aller chercher tout ça.

Continua Christian en indiquant les médicaments et anti-bios éparpillés dans la neige glacée.

- Je sais pas ce qu'il en sera. Mais ce que je sais, c'est que tu n'as pas intérêt à encore me faire le coup de sortir. Alors quand j'aurais fini de.... Encore, te recoudre, tu vas rentrer et purger toute cette foutue septicémie. 

Elle lui releva son uniforme du ventre où paraissait encore ces maudites blessures datant de la bataille et Christian parvint à trouver la force de rire.

- Comme c'est romantique. 

- Tu veux être romantique ?

Sa réplique quasi immédiate le prit de court et il resta silencieuse. Sarah s'arrêta sous le coup, aussi et leurs deux regards s'emboîtèrent. Le silence du jardin, le soufflement du vent glacial dans les gouttières, tout devint trois mille fois plus lourd. Si Christian le pouvait, il se serait enfoui dans la neige jusqu'à ne plus jamais en sortir. Il n'en eut pas le temps, car la jolie brune s'expliqua, le ton plus solennel encore que si elle avait été à des funérailles.

- J'ai abandonné mon fils de six mois et un homme qui était prêt à m'aimer jusqu'à en détruire le monde. Crois-moi... Tout ce que tu penses savoir sur moi ? Oublie-le. Je ne suis pas quelqu'un de bien. Je ne mérite pas... bref. 

- Hm hm... J'ai fait exprès de coucher avec la nana d'un gars vraiment bien, juste pour l'emmerder, parce que je le détestais d'être autant... Lui. Et je l'ai forcé à me choisir et à m'épouser. Alors... On est deux.

Sarah finit enfin par planter l'aiguille dans la chair violacée de ses blessures et Christian s'en serra les dents jusqu'à s'en fracasser les mâchoires.

- Super. On peut donc en conclure qu'on est deux sales enculés qui devraient vraiment être flagellés sur place.

- C'est peut-être pour ça qu'on se retrouve dans la maison du Seigneur... 

- On va y crever, voilà ce qu'il en est. 

D'un coup de dent, elle arrache le fil après avoir noué le dernier point de sutures et rangea son attirail à nouveau dans son sac. 

- Assez de conneries. Je te ramène à l'intérieur.

Elle s'apprêta à l'aider à se relever, mais d'un geste habile, Christian la prit de court et se releva seul. Oui, il allait s'écrouler à tout instant et oui, il n'était pas du tout en état d'encore marcher, mais tant pis. Il allait se débrouiller. Il tendit le bras vers la porte qui menait à l'intérieur et s'inclina avec exagération.

- Les dames d'abord.

- Je t'en foutrais...

Mais sans broncher plus que ça, elle accepta. Et c'est ensemble qu'ils rentrèrent s'abriter de ce froid qui les tenaillait et n'allait pas arrêter de le faire de sitôt...

Oui. Ensemble... Voilà un mot que Christian n'avait pas connu depuis longtemps.

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