chapitre 36 : imbibée de sang
SARAH
L'avantage dans la concentration et l'expérience, c'était que le calme régnait dans la tête de Sarah alors que le monde éclatait autour d'elle. L'inconvénient de ce calme, c'était qu'elle pouvait aussi penser à autre chose.
Notamment à sa discussion avec Chelsea, un peu plus tôt.
Les seuls mots qu'elle avait en bouche et qui défilaient devant ses yeux, c'était : quelle grosse pute. Quelle putain de grosse pute. Oui, c'est cru. Mais il fallait dire ce qu'il y avait. Jamais, oh jamais, n'avait-elle rencontré une pareille garce qu'elle. Elle croyait qu'elle attendrissait qui avec ses yeux doux et ses cheveux clichés ? Un vrai démon. Comment est ce que Jay avait pu tomber pour elle avant, ça, c'était la vrai question.
Et alors que du sang giclait sur le visage de Sarah et qu'elle refermait avec plus d'efforts son garrot fraîchement posé, elle continua de fulminer, en grinçant des dents.
Et puis c'était quoi ses remarques à la con ? Elle se prenait pour qui pour se permettre d'utiliser ses erreurs contre elle ? Sa psy ? Sa mère ?! Merde !
Il n'y avait rien entre elle et Christian. Tout ce qui les liait, c'était un champ de bataille. Sarah se redressa un peu pour lui jeter un coup d'œil. Il était appuyé contre le mur de la tranchée en train de gémir de douleur alors que Calisto, une infirmière Italienne d'environ son âge essayait de bander ses plaies.
Pourquoi est ce qu'il a fallu qu'il monte aussi ?
Sarah secoua sa tête pour se débarrasser de ses voix internes et se concentra sur son patient, le Lieutenant Reinhart, le bras droit de Christian. Celui-ci s'était fait tirer dessus dans son bras alors qu'il armait son fusil et malheureusement, la balle avait atteint l'artère principale. Merde. N'ayant plus aucune compresse de libre, elle sortit tout des plaies et les balança sur le sol congelé, tachant la neige à peine tombée d'éclats pourpres. Elle se releva les manches de son uniforme sur ses coudes et de ses pleines mains, enfonça ses doigts dans la blessure. Le Lieutenant Reinhart cria jusqu'à s'en arracher les cordes vocales et un infirmier Italien vint lui mettre quelque chose dans la bouche pour Qu'il ne se coupe pas la gorge.
Eh oui, les médecins de combat étaient légèrement plus barbares que les médecins civils.
- il faut juste que je clampe...
On lui tendit l'objet en question et elle le rattrapa de justesse avant qu'un énorme obus vint éclater la bordure de la tranchée dans un fracas insupportable. Si les autres se baissèrent, effarés par le bruit, elle, ne sourcilla pas un seul instant. Elle souffla sur son nez pour se débarrasser de la neige et de la terre et après avoir plissé les paupières pour mieux se concentrer, elle enfonça l'outil chirurgical dans la plaie. Elle trifouilla à la recherche de l'artère, faisant au passage basculer le Lieutenant Reinhart au bord de l'inconscience. Le problème, c'est qu'elle ne pouvait pas ordonner un massage cardiaque tant qu'elle n'avait pas clampé. Ça ne servait strictement à rien. Elle réussit et dans un bruit de ventouse, elle sortit ses mains de la plaie et enleva sa première paire de gants bleus. Comme les compresses, elle les jeta sur le sol et ordonna à Calisto de prendre la relève afin de finir les détails.
- je prends ta place pour monsieur Rambo, ici...
Elle fit gigoter ses doigts dans sa deuxième paire de gants et se rapprocha de Christian dont la vie avait été sauvé par Seth.
- t'en as de la chance, tu sais ça ? La chance que des hommes sont prêts à sortir des tranchées pour sortir tes fesses de ce foutoir de l'enfer.
Il ne fit que gémir. Et pour cause. Trois balles avaient traversé son ventre, près de sa ceinture. Malgré le climat insupportablement froid, la jeune docteure releva brutalement tout son uniforme sur son torse pour avoir une meilleure approche sur la blessure. Mais hormis les blessures, il y avait surtout un énorme tatouage qui allait du bas de son pectoral gauche pour remonter à son épaule. Sûrement jusqu'à son poignet. Elle se reconcentra néanmoins sur les blessures et posa ses doigts sur les trous.
- quel tact !
S'écria le Major d'élite de montagne en relevant la tête, le visage déformé par la douleur.
- chochotte. Les balles ont traversé ton corps, à trois centimètres de tes intestins. Alors ne chouine pas comme un sous-lieutenant à la sortie d'Académie.
Il ouvrit la bouche pour riposter, mais elle le retourna brusquement sur le côté et il cria de nouveau.
- mais putain !
Elle sourit, satisfaite. Bon. Il était vrai que Christian n'était pas la personne la plus désagréable à qui parler. Il la faisait même rire. Dans tout ce merdier, quelqu'un avait réussi à la faire rire, alors oui, ce n'était pas désagréable. Alors Chelsea n'avait rien à dire. Quoi, elle était supposée pleurer tout le temps ? Juste pour être camouflée dans la sphère morne des évènements ? Un éclat de mortier répondit à sa place.
- bon, je vais devoir vite recoudre avant que tu ne te vides. Normalement je devrais juste te panser et passer au prochain, mais là, c'est risqué. Je vais aussi vérifier que rien n'est touché, à l'intérieur.
Alors que Sarah s'agenouilla près de son corps, pour mieux voir les blessures de l'intérieur, elle agita sa petite lampe de poche. Il garda en main son uniforme pour qu'il ne retombe pas sur la blessure et finit par demander.
- il... où est-il ?
- qui ?
- Seth.
- tu veux le remercier pour t'avoir tiré de là ?
- un minimum.
- il est parti tirer d'autres gens d'autres merdiers. Ne sois pas égoïste.
Il avança la main vers son visage, mais elle se dégagea avant que ses doigts n'aient pu effleurer sa peau.
- tu as du sang, près de l'œil.
- je suis médecin de combat. Avant l'aurore, j'en aurai dans des endroits désagréables.
Comme si c'était la seule excuse. Elle fouilla ses poches à la recherche de son set de sutures et d'un geste habile, prépara l'aiguille. Elle plissa la peau blessé et l'enfonça d'une traite, faisant crisper Christian au passage qui empoigna des petits tas de neige à ses côtés.
- ça remonte à quand, tes premières sutures ?
- t'étais pas encore né.
- tu ne peux pas être si vieille que ça.
- je vais te coudre la bouche, si tu l'ouvres encore.
Il rit, mais son rire s'effaça vite quand elle eut fini le premier point de sutures et entama le deuxième. Il arracha son gant pour essuyer la sueur froide de son front du bout de sa main et le feu d'au-dessus de la tranchée fit luire son alliance. Il vit qu'elle avait les yeux rivés dessus et s'empressa de remettre son gant.
- C'est... C'est compliqué.
Sarah attrapa un ciseau et coupa le dernier point avant de piquer dans la plaie suivante.
- Regarde autour de toi. On est en pleine bataille. Des hommes tombent. Tu crois que j'en ai quelque chose à foutre ? Je ne vais pas me répéter... Ferme ta bouche, ou...
- tu me la couds, ouais, j'ai capté.
Elle le fusilla du regard et entreprit le restant de son travail.
Mais malgré le son des balles et des bombes autour d'elle... Tout ce qu'elle entendit, c'était le battement de son propre cœur.
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