chapitre 3 : plus que nous deux

Même après sa conversation avec Nash, Nala n'arrivait pas du tout à enlever ses pensées de cette stupide lettre. Une fois qu'elle avait couché Bonnie au lit, elle vint s'asseoir sur le canapé, suivie de Bear qui vint se réfugier sur ses genoux en baillant.

- c'est maintenant que tu viens, hein ? Quel genre de chien tu es si tu te caches quand des hommes viennent détruire cette maison ?

Le chiot bailla avec insouciance et enfouit le bout de son museau dans ses pattes et Nala marmonna en se penchant sur la table pour reprendre la lettre de la Cour Martiale.

- lâche...

Elle s'allongea en soupirant et porta la feuille au dessus de sa tête pour inspecter chaque lettre de chaque mot et de chaque phrase. Peu importait à quel point elle la relisait encore et encore et encore, elle n'arrivait pas à comprendre. Ses yeux se posèrent ensuite sur le sceau officiel du gouvernement et la colère l'envahit à un tel point qu'elle en chiffonna la feuille et la balança contre le mur.

Fais chier.

***

N'arrivant pas à dormir, Nala décida d'aller voir Shayne, s'il y avait une personne avec qui elle pouvait parler de ces frustrations, c'était bien lui.

Quand elle arriva chez lui, en plein milieu de la nuit, Bonnie endormie contre son épaule, elle remarqua que la porte était entre ouverte. Elle posa une main contre le bois pour pousser la porte qui grinça sous le coup. Un déclic d'arme à feu se fit depuis les ombres de la maison et elle se figea sur place, posant par instinct ses mains sur la tête de sa fille.

- ah, c'est toi...

Une lumière s'alluma brusquement, éblouissant Nala au passage mais quand elle put enfin voir à nouveau, elle vit Shayne assis dos contre le mur, une arme dans une main, pointée sur elles et dans l'autre une bouteille de whisky déjà vidée. Bonnie marmonna contre l'épaule de Nala et elle vint l'allonger sur le canapé où elle retomba vite dans le sommeil, sans prêter attention à ce qui était en train de se passer. La jeune femme revint alors vers Shayne et s'agenouilla en face de lui pour regarder d'où venait le sang sur son t-shirt blanc avant de remarquer que les poings de son ancien officier supérieur étaient sérieusement amochés, comme s'il venait de passer toute une journée à les enfoncer dans des briques.

- C'est rien, j'ai juste frappé un mur.

Ah, donc c'était littéralement ce qui s'était passé. Nala regarda un peu autour d'elle et vit qu'il y avait exactement le même désordre que ce que les policiers envoyés par la Cour avaient foutu chez elle. Elle en ferma un instant les yeux, trop accablé par cette nouvelle et demanda en se concentrant sur le couloir qui menait aux chambres.

- Où est Neil ?

- Je suis allé le déposer chez les démones.

- Chez qui ?

- Les sœurs de... Les sœurs de S... Bref, les quatre trucs qui me servent de belles sœurs. J'avais besoin de temps.

- Depuis quand tu fais ça ? Pourquoi tu n'es pas venu me l'apporter ?

- Parce que t'avais tes merdes à supporter. Ces crétins de flics militaires m'ont aussi mis au courant pour mon très cher frangin. J'aurai en fait dû le tuer quand j'en avais l'occasion, non ?

Nala fronça les sourcils sur sa dernière réplique et se releva pour le regarder de haut en bas. Elle n'arrivait pas à le croire.

- Shayne... T'es bourré ?

- Bingo.

- T'as dû en boire combien pour être bourré, putain...

- J'sais pas entre... 4, 5 verres ?

- 4, 5 verres ou 4, 5 bouteilles ?

- C'est quoi la différence ?

La jeune femme lui prit son arme, le rangea dans son pantalon et agrippa ses deux poignets afin de le redresser sur ses jambes. Mais redresser un homme de la taille et de la carrure de Shayne en plus du fait qu'il ne soit pas stabile à cause de tout l'alcool qu'il avait pu ingurgiter, c'était bien plus complexe que prévu et il manqua de peu de lui tomber dessus et de l'écraser. Le fait qu'elle le rattrape par le ventre, le fit vomir au dessus de son épaule et elle fit tout les efforts du monde pour ne pas le lâcher sur le coup.

- Allez, allez, on va aller te coucher, tu vas décuver et on en reparle demain. Ou après demain, je suis sûre que ton coma éthylique va durer un peu plus que sept heures...

Elle le traîna de toutes ses forces jusque dans sa chambre et une fois arrivée sur place, Nala s'arrêta, ne sachant pas vraiment où est ce qu'elle pouvait le déposer. Cette chambre, c'était exactement le style d'endroit où on pourrait retrouver une bande de sans abris... Un vrai squat. Si le salon avait quelques carcasses de bouteilles vides et sentait la transpiration, l'alcool et la poussière, cette chambre était le reflet même d'un bar de Falloujah après une victoire des troupes. 

Dans un coin, il y avait tout un monticule de bouteilles dont le fond était en train de former une flaque visqueuse sur le plancher, s'insérant dans la oindre fissure. C'était parti pour embaumer cette pièce à vie... Il n'y avait plus rien sur les murs blancs qui se retrouvait parsemé de trous à dimension de poings, entourés d'éclats et de projectiles sanguinolents. Tout se retrouvait fissuré sur le sol, surtout les photos de son mariage avec Sarah qui avait été très bref et en petite communauté, à leur souhait. 

Et puis le lit... 

La couette était roulée en boule par terre, aspirant telle une éponge l'alcool, il n'y avait pas de draps housse, pas d'oreillers, rien de tout ça. Il n'y avait que le matelas qui était parsemé de ça et là par des petites tâches de sang. 

Nala revint de sa contemplation désespérée quand elle sentit Shayne lui glisser entre les mains et fort heureusement, elle arriva à le rattraper par la taille et lui enroula son bras autour de son épaule, pour avoir une plus grande emprise sur lui.

- Allez, assieds toi là, je vais te faire ton lit.

- T'es pas ma mère, Nala.

- Non mais je l'entends m'implorer de le faire... Alors assieds toi là, je vais te trouver un seau, dégueule dedans et pendant ce temps je m'occupe de ce foutoir.

Il ne protesta pas, certainement parce qu'à en juger son visage, un bol de vomis lui bloqua le passage de son sarcasme. Nala se dépêcha alors d'aller chercher un seau dans la salle de bains et revint pile à temps pour qu'il vomisse dedans. Elle porta ses mains à son front pour en essuyer la sueur de désespoir qui était en train d'en couler et prit une grande inspiration. 

Ce qui était effrayant dans toute cette histoire, ce n'était pas tant qu'elle devait s'occuper d'un ivrogne, mais que cet ivrogne en question était Shayne, l'homme le plus fort et respectable à sa connaissance. 

ça ne pouvait juste pas être possible. 

Elle se reprit cependant et commença à fouiller dans les armoires pour en sortir des draps propres. Elle dégagea tout ce qui était sale, sale étant un bien piètre euphémisme, et commença à couvrir le matelas d'un drap. Quand elle se redressa, elle vit Shayne en train de chanter l'hymne nationale du Texas dans le seau, la tête bien profondément enfoncé dedans à un tel point qu'il n'y avait que ses cheveux ternes qui en dépassaient. Elle mima du bout de lèvres un "c'est pas vrai" avant de se rendre à nouveau dans la salle de bains et d'en revenir avec un verre qu'elle lui tendit. Shayne le porta à ses lèvres mais recracha presque immédiatement le liquide sur elle ce qui commença à faire remonter ses nerfs à la surface.

- Ah mon Dieu, que viens tu de me servir, femme ?

- ça s'appelle de l'eau, Shayne, il faudrait que tu t'y familiarise...

- Ce breuvage est complètement ignoble, on devrait envoyer en prison le gars qui l'a inventé...

- J'en parlerai avec la planète Terre dès que j'ai une confirmation de rendez vous, votre altesse.

Répliqua Nala en se penchant sous le lit où se trouvait tout les oreillers, perdus dans une poussière infinie. Elle en toussa même et ouvrit la fenêtre pour les secouer dehors avant de les couvrir de taies propres et de faire le reste du lit.

Une fois fait, Nala s'assura de ranger toutes les armes à feu à l'air libre dans le coffre fort, alla vider le seau de vomis, le nettoya et revint le mettre à côté du lit où elle aida Shayne à s'y déposer. Il s'y écroula tellement fort qu'une latte en cassa sous son poids. Le visage profondément enfoncé dans son oreiller, la jeune femme en profita pour lui prendre ses mains et avec une compresse froide, essuya les plaies sur ses phalanges. Il avait pas loupé le mur, dis donc... Et vice versa.

- ...zi.. Mna...

- Quoi ?

- Merci, Nala.

- Ah. Ouais... T'inquiète.

- Tu m'fais mal...

- T'auras encore plus mal si je ne le fais pas.

- Pas faux.

Elle le vit tourner sa tête vers lui et leurs regards se croisèrent. Faire face à ces deux grands iris bleus brillants, c'était quelque chose de vraiment effrayant, comme si dans elles brillaient une envie de commencer à parler. Là, elle n'avait pas envie de parler, elle avait plutôt envie d'enfoncer elle aussi sa tête dans le seau et d'y vomir un bon coup.

- Nala...

Et voilà.

- Oui ?

- Est ce que tu vas bien ?

Surprise, la jeune femme se figea et ouvrit la bouche pour répondre. Mais comment est ce qu'elle pouvait répondre ? Elle finit quand même par le faire en se remettant à poser sur ses blessures la compresse froide déjà bien imbibée de sang et de fragments de plâtre.

- Oui, je vais bien. Je ne suis pas vraiment surprise, c'est tout.

- Je serai tellement mal à ta place... Il a préféré se barrer avec sa tarée d'ex plutôt que de revenir ici pour prendre soin de sa famille et de sa propre gamine...

Sur sa réponse, Nala appuya un peu trop fort contre ses blessures et il retira sa main en gémissant de douleur.

- Aw !

- Désolée, je... Désolée.

Shayne la toisa avec fureur mais finit très vite par oublier et s'allongea en étoile sur son lit en passant une main dans sa barbe mal rasée qui commençait à se fournir.

- Je vais te dire un truc, Nala...

- Hm ?

- Ne chiale pas pour lui. Il en vaut pas la peine.

Dans l'inconscience du moment, une larme coula sur la joue de Nala et quand il le vit, il vint l'essuyer d'une main remplie de tendresse.

- Je viens de dire quoi, là ?

- Désolée. Désolée.

Il se pencha d'un coup et vomit à nouveau dans le seau ce qui la fit se relever et dans un raclement de gorge, annonça qu'elle allait lui rechercher un verre d'eau. Elle avait déjà franchie le seuil de la porte de sa chambre que sa voix retentit.

- Elle m'a laissé un truc, tu sais.

Nala se tourna à nouveau vers Shayne qui était en train d'essuyer les gouttelettes de vomis de sa bouche du revers de sa main qu'il essuya à son tour sur les draps qu'elle venait pourtant de changer.

- Une lettre ? Des explications ?

- Non. Juste ça.

Il fouilla un peu dans ses poches et finit par en ressortir un objet qu'il lui tendit. Ne voyant pas de là où elle se trouvait, elle se rapprocha à nouveau avant de se figer sur place. Sa réaction fit rire Shayne qui bascula sa tête sur son oreiller et de laisser tomber l'objet en question au sol, parmi les débris de verre des cadres des photos de son mariage. Nala le ramassa et secoua la tête sous le coup. 

Ce n'était rien d'autre que la bague de mariage de Sarah. 

La jeune femme s'assit à nouveau sur la chaise, en soupirant lourdement avant d'apercevoir une inscription inscrite à l'intérieur de l'anneau qu'il avait fait graver pour elle.

- "je mourrai avec toi". Hm. 

- Elle était prête à mourir avec moi mais...

- Pas de vivre avec toi.

- Yep.

Nala lui tendit pour qu'il la reprenne mais il la balança dans le tas d'ordures.

- Qu'elle crève, ce que j'en ai à foutre... 

- Shayne...

- Non. C'est elle qui arrêtait pas de chialer à propos du fait que je n'étais pas assez impliqué dans notre couple, depuis le début elle n'arrêtait pas de me répéter que je l'ai laissé... Quand je suis arrivé au Nigeria et qu'on s'est retrouvé... Elle me faisait toujours comprendre que c'était avec moi qu'elle voulait qu'elle passe le restant de sa vie avec. Alors je me suis plié, je suis pas parti, je lui ai dit je t'aime, je l'ai demandé en mariage... Pour que ce soit elle qui se casse ? Sans rien dire ? En me laissant que sa stupide bague ? 

- Et un enfant.

- C'est ça le pire... Elle a abandonné un gamin. Son fils. Son propre fils.

Nala sentit la lourdeur de ses propos et n'en savait d'autant plus pas quoi répondre par rapport à son désespoir... Lui, qui avait dû vivre la même chose plusieurs fois dans sa vie, était le premier qui n'aurait pas voulu que ça arrive à son fils. Mais l'histoire se répétait. Encore et encore... Ne laissant qu'un goût amer de la vie. 

- Maman ?

Nala se retourna brusquement vers le seuil de la porte où se trouvait Bonnie en train de se frotter les yeux de son petit poing tout en baillant et elle s'approcha d'elle pour lui essuyer ses petits cheveux de son visage.

- Désolée ma chérie, viens, je vais aller te coucher, d'accord ? Retournes dans le salon, je reviens dans deux minutes.

- Tonton Shayne va bien ?

- je...

- Nope, tonton Shayne s'est fait larguer par une grande connasse alors il va continuer à chialer comme une grosse merde.

- Retourne dans le salon, Bonnie.

Grogna Nala en la repoussant un peu pour qu'elle obéisse, avant de revenir vers Shayne et de murmurer.

- Shayne, je veux bien être là pour toi, mais sérieux, ne dis pas ce genre de choses à Bonnie.

- Pourquoi, tu as peur qu'elle apprenne ce que c'est la vie ? C'est un grand coup dans la gueule, voilà ce qu'elle devrait savoir... Les dessins animés qu'elle regarde sont des grosses arnaques, ça n'a rien d'aussi joyeux... Tu es en train de lui mentir.

- Je vais te laisser décuver tranquillement. Bonne nuit.

Sans attendre de réponse particulière, elle éteignit la lumière et ferma la porte avant de revenir vers le salon où Bonnie s'était réfugié en boule dans les couvertures du canapé.

- Maman, est ce qu'il est malade ?

- Oui. 

- ça passera ?

- Oui.

En effet, elle mentait à sa fille. Nala repensa à ce que Nash lui avait dit un peu plus tôt dans la journée par rapport au fait que Shayne avait toujours raison. Putain ce qu'elle aurait aimé que ce soit pas le cas dans le moment... Elle vint alors s'asseoir près de sa fille qui vint se coucher sur ses genoux et commença à lui expliquer.

- Parfois dans la vie, on est... Déçu. Parce qu'on a pas ce qu'on veut. Et on devient très triste.

- mais tu m'as pourtant dit qu'on est jamais triste longtemps ?

- C'est vrai. Mais certaines personnes peuvent être plus... Blessés pour certaines choses que d'autres. Ils peuvent alors être tristes pendant plus longtemps.

- Longtemps comment ?

- Longtemps.

Voyant sa fille commencer à lui agripper ses jambes avec plus de force par peur, Nala lui caressa ses cheveux en essayant de la rassurer.

- Mais il faut se reprendre, d'accord ? Même si on est très tristes et ça arrivera toujours, pour une raison pour une autre, il faut garder la tête haute et avancer. Parce que si on reste tristes, on risque de l'être pour la vie.

- J'ai pas envie d'être triste pour la vie !

- Et moi j'ai pas envie que tu le sois. Alors qu'est ce qu'on fait ?

- Un gros câlin !

Bonnie se redressa pour venir entourer la taille de Nala de ses bras et la jeune femme l'entendit demander, sa voix à moitié étouffée par sa propre étreinte.

- Est ce que tonton Shayne a besoin d'un câlin ?

- Peut être plus tard. Maintenant il a besoin de dormir. Et toi aussi.

Sans rien ajouter, Bonnie se recoucha dans le canapé en baillant un grand coup et Nala couvrit le corps de sa fille de l'une des couvertures avant d'aller éteindre la lumière du salon et de revenir se blottir contre sa fille.

- Je t'aime, maman.

- Je t'aime aussi, Bonnie.


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