chapitre 26 : ma vie n'est pas faite pour être racontée
SHAYNE
Il ne pouvait pas l'échapper et il le savait malgré lui, le voilà qui était à nouveau assis dans une de ces chaises maudites pour une autre réunion de VA. Shayne maudissait chaque seconde qui passait, fulminait comme s'il allait écumer de rage à tout instant.
La salle sentait la dépression à plein nez.
Shayne n'aurait jamais su qu'un sentiment pouvait avoir une odeur... En tout cas, ça piquait le nez autant que les oreilles.
Nala avait réussi à l'amadouer et il savait que peu importe à quel point son sarcasme atteignait le niveau de Chandler dans Friends, la jeune femme était immunisée.
Foutu Jay, c'était à cause de lui...
Alors qu'il avait mille et une insultes et plaintes en tête, quelqu'un était en train de parler sur le podium. Les mains croisés sur le petit présentoir, de sa voix triste et maussade, il racontait comment son expérience sur le terrain le tracassait dans la vie réelle.
Il disait qu'il aimerait trouver une réponse...
Shayne en avait une pour lui. S'il était une aussi grande lavette, fallait pas s'engager.
Il disait aussi qu'il y avait des jours où il voulait en finir...
Pareil, c'était pas une solution ! Et Shayne en savait quelque chose. Il avait essayé de se donner la mort mais celle-ci l'avait recraché comme une vieille chaussette. Autant vivre et faire chier son monde, non ?
Shayne n'arrêtait pas de faire et refaire son scratch d'attèle, énervé au plus haut point. Enfin ça jusqu'à ce que Nala lui saisit son poignet couvert des cicatrices Yéménites et siffla, ses yeux bleutés lançant des éclairs.
- je te jure que je vais te casser l'autre jambe si tu continues.
- ah oui et comment ? T'as un autre escalier ?
Elle resserra son emprise et Shayne admit à contre cœur qu'il allait arrêter, dans un gémissement pathétique et non viril, de douleur.
Au Diable, cette femme.
Satisfaite, elle croisa ses genoux pour se reconcentrer sur le témoignages de l'ancien combattant. Shayne, lui, reprit son ennui mortel en basculant sa chaise sur deux pieds, croisant ses bras derrière sa tête, soufflant aux corneilles.
Putain, putain, putain...
Il aurait bien aimé boire, sentant son gosier se sécher tel le désert du Sahara, mais s'il tentait une chose pareille... Il finirait amputé. Pourtant le poids que sa flasque avait dans l'intérieur de sa veste devenait considérable. C'était comme si son whisky l'appelait.
Normalement il devrait déjà avoir perdu le goût de cette boisson avec tout ce qu'il ingurgitait... Il était même devenu le client fidèle de l'épicerie du coin où il achetait son jack da'. Mais rien à faire, il en avait toujours besoin de plus. Surtout maintenant que ses migraines étaient revenus, plus stridentes que jamais.
Alors son régime quotidien se résumait à doliprane-whisky, whisky-doliprane.
Quoi de mieux pour faire exploser cette chose dans sa tête ?
Quoi que si la rupture devait se faire, Shayne priait tout les Dieux possibles et imaginables pour que ce soit au moment qu'il était en train de vivre... Enfin, survivre. Bien sûr, il pouvait toujours se brosser.
-... J'en suis à un point où j'ai honte. L'autre jour j'ai cassé mon miroir parce que le bruit que je faisais avec ma brosse à dents me faisait penser aux battements des ailes d'un hélicoptère.
Là, Shayne éclata de rire. A un tel point où il manqua de peu de faire tomber sa chaise à la renverse. Tout les regards se tournèrent vers lui, y compris du thérapeute qui était assis en premier rang, ses lunettes en bout de nez. Il arrêta donc en se râclant la gorge et fit un petit geste de la main pour qu'il continuent.
- Désolé. Continuez de raconter vos petites histoires.
Le thérapeute se leva en posant son petit carnet et dit au vétéran qui avait eu un problème avec sa brosse à dents de venir se rasseoir. Il emprunta ensuite le petit escalier marron qui grinça sous son poids et vint à son tour se positionner sur le podium, indiquant le promontoire du bout de la main.
- Venez donc raconter la vôtre, si vous trouvez la sienne... Amusante.
- Non merci. J'y tiens pas.
- Et pourquoi donc ?
- Parce que mes... histoires, appartiennent à moi et à moi seulement. Aussi les ploucs qui gèrent mes rapports, mais c'est tout. J'ai rien à dire.
- Alors dites nous au moins pourquoi vous êtes là ?
- Elle m'a forcé.
Répondit il en pointant Nala du bout de l'index, ce qui la fit couvrir son visage de ses mains. Cool, au moins elle allait se réfugier dans la honte. Les autres vétérans se mirent à chuchoter entre eux, certains lançant de mauvais regards, d'autres restant immobiles tels des statues. Le thérapeute enleva les lunettes de son nez et le mit dans sa poche arrière avant d'ouvrir les bras en grand.
- Cet endroit est un espace où l'on vient se confier. Je pense que ça vous fera du bien de vous exprimer sur votre expérience qui vous a traumatisé.
- Traumatisé ? Vous le voyez où, mon traumatisme ?
- Dans ta barbe. Parmi pleins d'autres choses.
Grogna Nala à travers ses doigts. Shayne allait répliquer mais le thérapeute reprit.
- Nous sommes tous passé par là. Et nous avons tous commencé par la première étape. Le déni.
- Wow. Vous êtes allé sur le front vous ?
- Non, mais...
- Alors vous pouvez pas dire "nous".
L'un des vétérans, une vraie armoire à glace dont les tatouages éclataient sur ses larges biceps, se retourna vers Shayne et dit de sa voix profonde mais bienveillante.
- Mais moi si. Somalie, dix tours. Et je te dis, frangin, ça fait du bien.
- On m'appelle frangin, Nala, vite, on se casse !
Il se leva de sa chaise pour partir mais le thérapeute l'arrêta en s'avançant.
- Tu reviendras. Mais il faut que tu saches qu'ici, on sera toujours prêts à entendre tes souffrances.
Shayne s'arrêta net, le sang commençant à bouillir dans ses veines. Il serra férocement ses doigts dans des poings prêts à frapper et se tourna à demi vers tout le monde.
- Mes souffrances ?
- Tout le monde a eu son lot. Tout le monde a eu son "Somalie".
- Pas tout le monde à eu le Nigeria.
En effet, le silence s'installa.
- Moi si.
Fit soudain la voix de Nala qui avait posé son coude sur le rebord de sa chaise. Shayne desserra ses poings sur le coup et elle continua, la voix se brisant dans sa gorge.
- Et je sais que ça fait mal. Que ce qui a bien pu se passer a crée l'enfer dans lequel on vit actuellement. Et ça tue, pas vrai ?
Le Lieutenant-Colonel vit les yeux bleus de la jeune femme commencer à briller. Il détestait ça. Il détestait tout ça, en fait. La haine le submergea à nouveau mais à la place de juste tout balancer et de faire un carnage, il dit simplement.
- Je n'ai rien à dire.
Et il sortit.
Bon, la porte manqua de peu de sortir de ses charnières mais au moins il était loin de leurs regards de compassion. Putain, c'était quoi leurs problèmes... Il remonta le couloir, du plus vite qu'il pouvait malgré sa jambe en atèle et s'apprêta à sortir du bâtiment quand il aperçut Nolan au bureau d'accueil. Celui-ci releva d'abord un œil vers lui, un peu distrait, avant de subitement poser ce qu'il faisait et de le rattraper, d'un pas rapide.
- Shayne, je savais que j'allais te revoir !
- Pas maintenant.
- T'as l'air énervé !
- Dégage.
- Shayne, attends.
L'avocat militaire lui emboîta le pas et se posta en face de lui, arrêtant Shayne au passage qui releva le bout de son visage vers le plafond pour ne pas s'énerver plus qu'il ne l'était.
- Et si on discutait ? Juste toi et moi et une bouteille de whisky. Bon quelque chose me dit que t'en as déjà eu pas mal mais... C'est moi qui paye.
Tout ce dont Shayne avait besoin en ce moment précis, c'était d'un grand champ vide où il pouvait crier jusqu'à ce que ses cordes vocales s'enfuient en courant. Certainement pas d'aller boire un verre avec le gars qui était supposé être son pire ennemi.
Mais mis à part tout ça, dans tout ses plans se trouvaient le mot "alcool".
Le restant, il s'en foutait.
Shayne le contourna de nouveau pour pouvoir ouvrir la porte et alors que Nolan allait prendre ça pour un "non", il marmonna.
- T'as intérêt à garder ta gueule bien fermé quand je boirai. Je ne supporterai pas de discussions de gonzesse.
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