chapitre 23 : ma ville, mon pays, mon honneur

SETH

Seth était dans l'immense salle qui leur servait d'hôpital provisoire, en train d'aider Sarah à prendre des ordres. La docteure convertie en chirurgienne était vraiment excellente dans son management des situations désastreuses. Elle avait encore sa grosse veste blanche sur son uniforme, qu'elle n'avait pas quitté depuis le jour de la mission à Avellino. A croire que depuis, tout ce qu'elle avait fait, c'était de bosser, de patient en patient. Il ne l'avait pas vu ni fermer les yeux, ni manger, ni même s'asseoir, en fait. ça en devenait carrément flippant parce que le blanc camouflé de sa veste était plus trop blanc mais pourpre-brun.

Seth était donc en train de ramener une grosse boîte de bandages, qu'il déposa avec difficultés près d'elle, occupée à vérifier, de force bien sûr, la blessure à la gorge de Christian.

- OK, ça s'est un peu infecté mais j'ai arrangé ça. Juste essaye de ne pas trop... Ah merci, Seth. Donc essaye de laisser un peu à l'air libre.

Le major se dégagea de l'emprise couveuse de la docteure qui se rapprocha de la boîte que Seth venait de ramener pour en calculer son contenu. Le sergent s'apprêta à s'en aller quand il remarqua Jay s'en aller dans la salle voisine.

- Je le plains.

- Hein ?

- Jay. Je le plains. 

Seth se reconcentra sur Christian qui était en train de reboutonner la chemise de son uniforme. Il vint s'appuyer contre le poteau derrière lui, ramenant une jambe contre la paroi et lui demanda, la tête légèrement inclinée.

- Et pourquoi ?

- Pour la décision qu'il va falloir prendre.

- Et qui est ?

- Se barrer d'ici. Tous. Avant qu'il ne soit trop tard.

Le visage du jeune homme se renfrogna sous sa remarque mais n'eut pas le temps de répliquer ou demander des éclaircissements, car quelqu'un se rapprocha d'eux. C'était le second de Christian, le Lieutenant Reinhart, l'un des Texans qui faisait parti du détachement du gouvernement. Il était d'ailleurs l'un des rares à ne pas avoir des séquelles de toute cette vie précaire sous cette neige farfelue et les attaques qui l'étaient encore plus. 

- Major, je suis désolé de vous déranger mais il faudrait que vous veniez.

Christian roula ses yeux agacés au plafond et le suivit dans un marmonnement.

- avec toi, Reinhart, c'est toujours si dramatique...

Seth les suivit du regard avant de se pencher sur Sarah qui était occupée avec son nouveau paquetage, tout comme une autre docteure Italienne.

- Je devrai peut être aller parler avec Jay par rapport à ça...

- Calisto, tu peux aller apporter ça au Colonel Velio ? Il en aura besoin pour les brûlures... Hein, Seth, tu m'as parlé ?

- Non, rien, je te laisse.

***

Seth retrouva Jay un peu plus tard, il avait l'air frustré au plus haut point, marchant d'un pas rapide, à un point qu'il devait trottiner pour le rattraper.

- Capitaine ? 

- Pas le temps, Seth, soit tu viens avec moi pour me dire ce dont tu as besoin, soit ça attendra.

- Où est ce qu'on va ?

- Voir le Général.

Le jeune homme ouvrit la bouche pour protester, mais ils étaient déjà arrivés devant son bureau. Jay frappa un coup et la voix légèrement accentué d'Italien du Général de Brigade Natoli leur permit d'entrer.

- Capitaine Carter, vous êtes là ! J'avais justement besoin de vous pour...

- ça attendra, sauf votre respect. J'ai besoin d'abord de vous dire quelque chose.

L'officier Italien, qui était tranquillement en train de feuilleter ses dossiers, releva le bout de son nez et les contempla. Seth allait partir, se sentant un peu de trop, mais Jay se pencha sur lui en lui chuchotant, un air préoccupé traversant ses iris mentholés.

- Reste. Juste fais toi discret.

Il hésita un peu mais ce n'était pas maintenant qu'il allait désobéir. Il ferma donc la porte et se tint en arrière, les mains poliment croisés dans le dos. Le Général de Brigade Natoli les regarda à tour de rôle, sentant que quelque chose se tramait. L'homme se leva avec douceur et incita Jay à continuer, d'un geste de la main.

- Je vous écoute.

- Ces derniers jours j'ai pas mal réfléchi, à notre situation, à la vie ici...

- Oui ?

- Et je crois qu'il faut qu'on arrête de se voiler la face. Qu'on soit réalistes. 

Le visage de lu Général Italien se marqua d'un voile sombre, comme s'il comprenait où Jay voulait en venir. Celui-ci prit une rapide inspiration, posa ses mains sur sa taille et continua, dans un souffle.

- Il faut qu'on parte d'ici. De cette base. De cette ville. Il faut qu'on se rétracte dans les terres. Et parce que c'est dangereux de rester à côté de la mer et aussi parce qu'on forme une position idéale pour l'ennemi. Général... Il faut vraiment qu'on parte.

- Partir ?

- Sans plus tarder.

- Hm.

L'homme baissa un instant le regard vers ses dossiers éparpillés, posa une main sur eux avant de se diriger vers la fenêtre de son bureau. Il croisa ses mains derrière son dos, le regard perdu sur les étendues enneigées qui recouvraient les pistes de la base. Face à cette vue quelque peu dystopique, il marqua un petit temps de silence avant de demander, sans forcément s'en détourner.

- Vous êtes né où, Capitaine Carter ?

Jay et Seth s'échangèrent un petit regard étonné sous le coup. Mais qu'est ce que ça pouvait bien avoir à faire avec ce que le Capitaine était en train d'essayer d'expliquer ? 

- Amarillo.

- Vous aimez cette ville ? De bons souvenirs ?

- Pas vraiment.

- Hm... Vous voyez ces collines ? Derrière toute cette neige ? Je suis né pas loin d'ici, justement... Derrière ces mêmes collines. J'ai fait mes premiers pas dans les vignobles de ma famille et de mes voisins... J'y ai rencontré mon premier amour, mes amis... J'ai pleuré et rit sur ces terres. On m'aurait dit que 30 ans plus tard, j'allais devoir abandonner cette ville aux mains destructrices de mon ennemi pour sauver ma peau... 

- Général, on...

- Je sais ce que vous voulez dire, Capitaine Carter. Je le sais, parce que ça fait des semaines que je me dis exactement la même chose. Je ne peux juste pas l'accepter. Pas encore.

L'homme souffla face à la vue mais finit par se rasseoir à son bureau, tout en remettant ses lunettes. Il allait se replonger dans ses dossiers quand Jay posa ses mains à plat sur le plan de travail pour se mettre à son niveau.

- Plus on attend, plus on risque gros... On rationne déjà nos provisions et nos médicaments !

- Pour l'instant, le blizzard les arrête. Il nous arrête aussi.

- Je vous déconseille fortement de ne pas cacher vos prétextes derrière la météo foireuse des coins, Général.

- Et je vous déconseille à votre tour de prendre ce ton avec moi, Capitaine Carter.

- Ecoutez, je sais ce que ça vous coûte mais...

- Non, vous ne savez pas.

Jay se redressa en se taisant et le Général marqua une pause dans sa réprimande. Tandis que ses yeux glacés lançaient des foudres, il revint vers son bureau pour attraper ses lunettes sous une plombe de feuilles diverses.

- Abandonner Naples c'est comme si vous... Vous deviez abandonner Houston. Cette ville, ces terres, nous ne pouvons pas le jeter comme un vulgaire mouchoir à la poubelle ! 

- Général, je...

- Que vous ai je dit, à notre rencontre ? Je me battrai jusqu'à ce que je saigne et saignerai jusqu'à ce que je mourrai. Je ne quitterai pas Naples, un point c'est tout. Partez de mon bureau, maintenant, j'ai du travail.

Seth pouvait voir la frustration qui pendait aux lèvres de Jay, cramponné à un point que ses poings serrés firent pâlir sa peau. Il n'émit cependant aucun son et se contenta de tourner le dos pour partir. Non. ça ne pouvait se passer comme ça. Son capitaine avait raison, il marquait des gros points, il fallait partir. Mais comment partir sans pour autant ruiner tout le travail accompli jusqu'à présent ? C'était là qu'une idée lui éclata dans la tête telle une ampoule. Jay avait déjà ouvert la porte qu'il s'avança vers le bureau.

- Général de Brigade Natoli, ne voyez pas en ceci un manque de respect mais... Je crois qu'il y a un moyen pour nous tous de nous rétracter sans rien abandonner pour autant.

- Ah oui ? Pourtant ce que ça insinue est plutôt contradictoire...

- Seth, viens.

Mais le Sergent ignora son officier et s'approcha d'encore un autre pas.

- Il y a des endroits ici qui sont inaccessibles pour l'ennemi. Des endroits que vous devez surement connaître par cœur. Là où on pourra se réfugier, se ressaisir, soigner nos blessés tranquillement tout en sachant que ça nous protégera. 

- A quoi est ce que vous pensez, Sergent Robinson ?

- Je pense à Monte Cassino.

Le Général resta un instant béat avant d'éclater de rire. Un rire totalement forcé mais qui le faisait quand même plier en deux. Seth se dandina d'un pied à l'autre, pas vraiment à l'aise de s'avancer comme ça devant un aussi grand officier sans forcément y être autorisé. 

- Vous vous foutez de moi, pas vrai ? Monte Cassino ? Sérieusement ? Il en est absolument hors de question !

- Et pourquoi ça ?

- Parce que cet endroit est déjà tombé entre les mains des Américains durant la seconde guerre mondiale ! Et ce qu'ils en ont fait, c'est... Le Vatican attend encore des excuses de la part de Roosevelt ! Je n'autoriserai pas qu'ils viennent à nouveau saccager cet endroit de prière ! Que Dieu m'en soit témoin ! 

- Général, la position de cette abbaye est excellente contre l'ennemi... En plus d'être en hauteur, la forteresse est impénétrable ! 

- C'est une excellente position.

Seth et le Général de Brigade se tournèrent vers Jay qui était revenu dans le bureau pour s'attarder sur les plans des environs. Le doigt pointé sur Monte Cassino, au Nord-Est de Naples, il avait l'air impressionné.

- Dans tout les cas, on doit quitter Naples... 

- Autant que ce soit pour une bonne raison. 

- On les attendra à Monte Cassino. On restera toujours ce qui les sépare eux avec le mur militaire.

Natoli prit son front à deux mains et se mit à faire des petits allers retours devant son bureau. Le silence se faisait pesant, à un point où Seth faisait attention à à peu près tout ce qui l'entourait. Le petit tic tac de l'horloge, le doux murmure d'un PC allumé, l'air chaud des conduits d'air qui soufflait légèrement à travers les feuilles...

C'était à la limite d'un vieux thriller !

D'ailleurs Seth entendait presque une musique stressante lui souffler dans les oreilles. 

Le Général Italien finit quand même par s'arrêter, si brusquement que le jeune homme manqua de peu de sursauter sous la surprise et le stress.

- Laissez moi un jour, que je puisse au moins en parler avec mes officiers ainsi que le Conseil.

Jay ne put s'empêcher de sourire, visiblement aussi rassuré que Seth qui se râcla la gorge pour se débarrasser de la boule d'angoisse qui s'y était logé.

- Merci de nous avoir écouté, Général.

- ça ne me ravit pas et j'en ai le vomis qui me monte à la gorge rien que de penser à ce que leurs sales pieds viennent frôler mes terres mais... Je n'ai pas vraiment le choix, n'est ce pas ?

- Cet endroit ne nous facilite certainement pas le combat.

L'homme jura en Italien avant de se rasseoir d'un coup sec dans son fauteuil, manquant de peu d'en faire vriller les vis.

- Partez maintenant, laissez moi digérer cette affaire.

Les deux militaires Texans hochèrent respectueusement la tête et s'en allèrent en fermant sans un bruit la porte derrière eux. Quand ils se trouvèrent dans le couloir, Seth souffla un bon coup, son cœur toujours aussi palpitant du stress provoqué. 

- Dis moi, Seth, comment tu savais pour Monte Cassino ?

- J'adore l'histoire. Dès que je pouvais, je lisais des bouquins sur la guerre et j'ai retenu la bataille de l'Abbaye. Je suppose que ça sert en fin de compte, nous qui nous passions à nous plaindre que ça n'allait jamais nous servir...

- Et bien bravo... Sérieusement, comment je n'ai jamais su ça sur toi ?

- Ah, ça c'est simple... Au Nigéria, vous étiez trop occupé à courir après Nala. 

Jay feignit un regard sévère et lui assainit un petit coup dans le bras avant de redevenir sérieux et de bifurquer sur le couloir qui les mènerait vers le hall principal.

- Dans tout les cas, il faut qu'on aille se préparer pour ce qui nous attends. Mais fais toi discret, le temps que le Général l'annonce de lui même.

- A vos ordres.

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Pour ceux qui savent pas, il y a une fiche de présentations de personnages au début du tome 1 et du tome 3 de Regiment of Halley ainsi que le premier tome de Here we go again, si ça vous intéresse d'aller un peu voir comment je m'imagine ce pauvre petit monde que je ne cesse de tourmenter, hésitez pas ! 😁

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