Chapitre 1

Québec, Canada, 10h54

Alicia, sept ans

 

Lorsqu’elle se réveilla, Alicia avisa sa fenêtre fermée, et comprit qu’elle avait seulement rêvée la nuit dernière, encore. Elle se redressa en s’étirant comme un chat, et se leva en étouffant un bâillement. C’est alors qu’elle se rendit compte que ses parents n’étaient pas venus la réveiller pour l’école. Il devait être très tôt. Elle se dirigea donc à la cuisine d’un pas tranquille. Elle ouvrit la télévision pour regarder ses émissions du matin, mais dès qu’elles commencèrent, elle su que quelque chose n’allait pas. Elle connaissait le programme des lundis matins par cœur, et savait que Dora l’Exploratrice ne passait certainement pas cette journée là, du moins pas aussi tôt. Elle regarda l’heure qui était affichée sur le téléviseur, et se raidit. Quasiment onze heures ! Elle était très en retard. Elle bondit sur ses pieds et couru dans la chambre de ses parents pour les réveiller. L’enfant grimpa sur le lit et secoua l’épaule de sa mère. Sauf que celle-ci ne se réveillait pas. Elle commença à paniquer, secouant plus fermement.

-       Maman ? Maman ! l’appela la fillette avec un ton angoissé.

Mais la mère ne réagissait pas. Elle se tourna vers la place qu’occupait habituellement son père, mais ses yeux ne rencontrèrent que du vide. Ne restait plus qu’un solution : Cédric. Son frère allait savoir quoi faire, il savait toujours quoi faire. Cédric, son grand frère de quatorze ans, son héros. Maintenant qu’elle y pense, soit il a lui aussi décidé de faire la grasse matinée ce matin, soit il est à l’école. Mais dans le dernier cas, il serait venu lui souhaiter une bonne journée, alors ça ne collait pas.

Elle se rendit bien vite à la chambre de son ainé, et se figea devant la porte, la main posée sur la poignée. Elle ne savait pas trop pourquoi elle hésitait, mais un mauvais pressentiment lui tordait le ventre. Finalement, elle se décida à ouvrir, et elle entra. La première chose qui accrocha son regard fut le corps un peu trop familier étendu sur le sol, près du lit. Elle s’en approcha et tourna la tête pour voir de qui il s’agissait. Elle poussa un petit cri terrifié en voyant qu’il s’agissait de son père. Le visage de celui-ci était figé dans une expression terrifiée, et les yeux étaient grands ouverts. Malgré son jeune âge, Alicia avait vu beaucoup de films d’action, et savait ce que ça voulait dire quand on trouvait quelqu’un ainsi avec le regard vitreux. Les larmes vinrent lui piquer les yeux, et son regard fit le tour de la chambre.

Son esprit revint alors à sa mère, qui ne se réveillait pas malgré tout. Était-elle morte elle aussi ? L’enfant se mit alors à pleurer bruyamment. Elle voulait se montrer forte, mais son cœur encore fragile ne tenait pas le coup. Son père était mort, sa mère l’était sans doute, et de son frère, il n’y en avait plus aucune trace.

Ce furent les voisins qui la trouvèrent ainsi, quelques heures plus tard, encore en train de pleurer dans la chambre vide, près du corps de son père. Ils avaient entendus les pleurs provenant de la fenêtre ouverte et étaient entrés par la porte, qui n’était jamais verrouillée malgré les nombreux avertissements et conseils qu’ils avaient prodigués aux parents. La police et les ambulances vinrent sur les lieux, et firent les mêmes constats que la fillette. Celle-ci était désormais orpheline, et son frère était porté disparu. On soupçonna un enlèvement, ainsi que deux meurtres, sauf qu’il n’y avait aucune trace de lutte, et les médecins ne comprenaient pas comment les parents avaient pu mourir. Alicia ne parla à personne de son étrange rêve, qui n’en était peut-être pas un, finalement, et garda pour elle seule ces informations et son chagrin.

Montréal, Canada, 13h05

Alicia, huit ans

Première famille d’accueil

 

Ottawa, Canada, 12h12

Alicia, huit ans

Troisième famille d’accueil

 

Toronto, Canada, 14h50

Alicia, dix ans

Huitième famille d’accueil

 

New York, États Unis, 7h26

Alicia, douze ans

Onzième famille d’accueil

 

Chicago, États Unis, 23h10

Alicia, quatorze ans

Dix-septième famille d’accueil

 

San Francisco, États Unis, 11h08

Alicia, seize ans

Vingt-troisième famille d’accueil

 

Phoenix, États Unis, 16h41

Alicia, dix-sept ans

Vingt-cinquième famille d’accueil

 

Je n’en peux plus. Je suis épuisée, moralement, physiquement, psychologiquement, pastoralement, magiquement, universellement… enfin bref, je suis crevée, et comme j’ai autre chose à faire que de créer une liste de mots n’ayant de sens qu’à mes yeux mais n’ayant aucun lien entre eux, je préfère le dire comme ça. Simple, efficace, parfait. J’étais arrivée dans ma vingt-cinquième famille d’accueil depuis ce soir là, ce soir là où l’ombre m’était apparue, ce soir là où mon cauchemar a véritablement commencé. Ça fait des années que j’erre un peu partout en Amérique, de famille d’accueil en famille d’accueil, des plus gentilles aux plus détestables. Si je change aussi souvent, c’est soit parce que ladite famille d’accueil me repousse, soit parce que je fugue, soit parce qu’elle a entièrement été tuée de façon inexplicable durant la nuit. Généralement, je fugue avant que ça ne se produise. Bien sûr, je commençais à être connue, et les familles d’accueils se faisaient de plus en plus rares à m’accepter. La majorité me craignait, plusieurs me soupçonnent de tuer ceux qui m’adoptent, mais c’est du grand n’importe quoi ! C’est l’ombre qui fait ça, je le sais, je la vois. Mais à chaque fois que ça arrive, il est trop tard. Elle a fait son œuvre, et fuit avant que je ne puisse l’arrêter. Le pire, c’est que je ne peux même pas supposer quand elle va venir, puisqu’elle ne semble pas connaître la notion du temps. Ce qui m’agace fortement.

C’est rendu que je ne m’attache plus à personne, je n’ai aucun ami et je fais tout pour repousser les autres. D’un part, parce que la majorité des élèves vont découvrir mon passé en faisant des recherches sur internet et me rejeter en me traitant de tueuse en série, et d’autre part parce que tous ceux auxquels je tiens meurs de « façon inexpliquée ». Et si vous vous demandez pourquoi les autorités ne mènent pas une enquête à mon sujet, et bien c’est parce qu’ils sont convaincus que le meurtrier de mes parents est après moi et qu’il cherche à m’isoler pour mieux me tuer. Prenant sur eux et voulant jouer les super héros, ils m’envoient dans des villes différentes à chaque fois que c’est nécessaire, et elles commencent à être tellement espacées les unes des autres que je crains d’être envoyée sur un autre continent avant la fin de l’année si ça continue à ce rythme.

-       Hey, salut !

Je ne pris même pas la peine de répondre à la jeune fille qui venait d’arriver près de moi. Elle l’examinant du coin des yeux, je peux dire qu’elle a des cheveux bruns et des yeux verts pétillants de malice. Pendant un instant, je crus me reconnaître en elle avant que « la tragédie » ne frappe ma famille. Je secouais la tête, sentant de mauvais souvenirs affluer, et poursuivis ma route encore plus mélancolique.

-       Je m’appelle Éliane, et toi ? demanda-t-elle en souriant.

-       Ça ne te regarde pas, claquais-je.

Elle semblait tellement blessée que je me sentis coupable, même si je ne comprends pas vraiment pourquoi. Après tout, je fais ça depuis des années maintenant, alors pourquoi je devrais avoir des remords envers elle ? Malgré tout ce que je pourrais dire ou penser, je décidais de m’expliquer… en partie.

-       Désolée, soufflais-je. Je m’appelle Alicia. Et je préfère être seule.

-       Je pourrais aisément comprendre mais je vois bien que ça ne va pas, répliqua-t-elle. J’aimerais pouvoir te changer les idées, peut importe ce à quoi tu pensais il y a quelques minutes, et comme je suis très têtue, je suis certaine que j’y parviendrais sans trop de problèmes.

-       Amuse toi bien ! maugréais-je. Je parie que je suis encore plus têtue que toi.

-       Je parie le contraire, rétorqua-t-elle avec un sourire en coin.

-       Tu ne devrais pas, répondis-je en souriant aussi.

Oui, aussi étonnant que ça puisse paraître, j’avais souri. Ça faisait des années que ça ne m’était plus arrivé. Pendant un moment, je considérais l’idée de l’avoir comme amie, mais la repoussais aussitôt. Si je faisais ça, nous allions sans doute en souffrir toutes les deux, et elle risquait de mourir. Et je ne voulais pas ça. Puis, durant les jours qui suivirent notre « conversation », je me retrouvais bien malgré moi à parler bien plus souvent avec elle, à rire et à agir comme une adolescente normale. J’avais l’impression de revivre avec Éli à mes côtés. Mais ça ne durerait pas. Chaque matin, j’ai peur qu’on ne m’apprenne sa mort, chaque fois qu’elle arrive en retard, je frôle la crise d’angoisse… ce qui arrive pas mal tous les jours. Je suis souvent nerveuse, quoique plus détendue qu’auparavant, et elle semble le remarquer. Elle a bien tenté quelques questions sur mon passé, mais avait battu en retraite devant ma douleur palpable. Et, après quelques temps, nous sommes devenues inséparables.

Voilà pour ce premier chapitre! 

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