Le docteur
(Mai 1987, orphelinat de Rose et Emma)
Rose ne savait plus vraiment quoi penser du Dr Adams.
Au début, elle l'avait trouvé gentil et attentif. Contrairement à la plupart des adultes, il l'écoutait réellement, semblant vraiment s'intéresser à ce qu'elle disait et ce qu'elle faisait. Bien que ses questions sur le fait qu'elle n'avait pas beaucoup d'amis étaient un peu douloureuse pour la fillette.
Elle s'était même dit qu'elle s'était peut-être trouvé un ami.
Mais au fil du temps et de leurs discussions, Rose comprit petit à petit ce qu'il faisait.
Ce n'était pas pour rien qui lui demandait souvent des nouvelles sur ses cauchemars, sur pourquoi elle n'arrivait pas à se lier aux autres, sur son obstination à attendre ses vrais parents. Ou du moins, Grand-mère et Rouge.
Grand-mère et Rouge l'aimaient, elle le savait. Elles l'avaient sûrement laissé pour une raison. Rose devait juste comprendre laquelle, et attendre qu'elles reviennent. Elles ou ses parents...
Le Dr Adams lui posait tant de questions pour essayer de comprendre. Car ce n'était apparemment, pas très normal. Les autres enfants se faisaient facilement des amis. Les autres enfants ne faisaient pas toujours et encore le même cauchemar, la nuit. Les autres orphelins voulaient absolument être adoptés. Peut-être parce qu'ils savaient pourquoi ils étaient là ? Rose, elle, ne comprenait toujours pas pourquoi.
C'était parce qu'elle n'avait pas de parents ni d'adultes pour prendre soin d'elle, oui, mais elle ignorait pourquoi c'était ainsi.
Mais depuis qu'elle avait compris son manège, Rose était moins enthousiaste pour leurs "sessions". Elle se renfermait sur elle-même, restait sur ses gardes, maintenant qu'elle voyait que le Docteur avait une raison de plus de devenir ami avec elle. Elle avait l'impression qu'il voulait l'aider à se sentir mieux et à s'intégrer, mais pourquoi ne rien lui dire ? Pourquoi dire qu'il aimait juste lui parler, jouer avec elle, et voulait être son ami ?
C'était peut-être la vérité. Il était devenu son ami, et maintenant, il voulait l'aider. C'était ce que faisaient les vrais amis, ils s'entraidaient.
Mais maintenant, Rose n'était plus si sûre de rien. Alors elle continuait les sessions avec le Dr Adams – la directrice voulait qu'elle le fasse de toute façon – en faisant comme d'habitude avec plus de prudence, jusqu'à ce qu'elle ait déterminé s'il était vraiment son ami et ne voulait que son bien.
Il avait été assez heureux d'apprendre qu'elle s'était fait une amie, Emma. Rose l'était également. Même si elle avait évité de le montrer, elle se sentait assez seule, jusqu'à ce qu'Emma arrive. Bien qu'Emma était plus jeune qu'elle, elle était son amie et Rose était déterminée à prendre soin d'elle.
C'était ce que faisait les amis. Et Emma était spéciale, comme elle. De plus, pour une raison inconnue, Rose avait le sentiment qu'elle se devait de rester auprès d'Emma. C'était comme une mission. Une mission qu'elle était heureuse de remplir.
Malgré un début difficile entre elles, elle aimait Emma. Elle était gentille, sincère, riait de ses blagues et écoutait ses histoires tirées de ces rêves.
Le Dr Adams avait été vraiment heureux de la nouvelle, même s'il avait essayé de ne pas trop le montrer. Sûrement parce que c'était la première fois que Rose formait un véritable lien d'amitié avec quelqu'un, même si c'était une petite de 3 ans ½.
Même si maintenant, elle était un peu méfiante quant aux intentions du docteur, elle appréciait quand même sa compagnie, déjà pour la simple et bonne raison qu'il ne semblait pas la trouver folle ou juste trop imaginative, quand elle lui parlait de ses faibles souvenirs de son ancienne maison. Elle était heureuse d'être enfin prise au sérieux, contrairement aux grands enfants qui se moquaient de ses rêveries et des autres adultes lui souriant simplement avec indulgence. Ils croyaient que cela suffisait pour qu'elle croit qu'ils la prennent au sérieux, mais Rose savait très bien que non.
Oui, Rose était plus sur ses gardes, mais elle voulait lui faire confiance. Il était clairement son adulte préféré, jusque-là.
Mais cela cessa lorsqu'elle surprit une conversation entre lui et Mme Brown.
Elle avait toujours été curieuse, et en entendant son nom prononcé, elle avait encore plus envie de savoir ce qu'ils disaient.
« ...elle est très consciente de son environnement, et comme elle comprend ce que j'essaie de faire, elle se referme pour ne pas en dire trop, comme un mécanisme de défense. Elle voit que je veux la faire parler, mais n'en comprend pas forcément la raison, que c'est pour l'aider, donc elle veut être prudente et se protéger. »
C'était le Dr Adams.
« D'accord, mais est-ce qu'elle va mieux ? Y a-t-il des progrès ? »
« Eh bien, elle s'est fait une amie, et... »
« Oui, la petite Emma. Je suis contente qu'elles se soient trouvées, qu'elles aient toutes les deux quelqu'un sur qui compter, Rose a été longtemps solitaire... Mais je veux parler plutôt de ces cauchemars. Elle en a encore, bien qu'à un niveau moindre. »
Et ça, c'était la directrice.
« Je pense qu'il y a clairement un traumatisme derrière. Rose est très jeune, et quoiqu'il se soit passé, elle l'a visualisé de cette manière dans son esprit, et il prend donc la forme de ce cauchemar. Etant donné qu'on peut difficilement identifier la cause à partir de l'imagination d'un enfant, je pense que seul le temps aidera à apaiser ses rêves. »
« Bien, mais combien de temps ? »
« C'est impossible à dire. Rose a...une imagination très active. »
« Oui, je sais. Elle enchante les plus jeunes avec ses histoires, mais j'étais un peu inquiète qu'elle s'y accroche autant, car ça l'a poussé plusieurs fois à refuser de voir une famille d'accueil. Alors que c'est une petite fille adorable, gentille, intelligente, et encore petite, je suis sûre que des familles aimeraient l'adopter... »
« Oui, Rose m'a dit que c'était parce qu'elle attendait que sa famille ou Rouge vienne la chercher. »
« Rouge ? »
« Elle dit qu'une femme avait pris soin d'elle avant d'être à l'orphelinat, une femme toujours vêtue de rouge, d'où le surnom. »
« Ce ne serait pas un souvenir de sa mère ? »
« J'y ai songé, mais Rose est catégorique sur le fait que ce n'est pas sa mère, néanmoins que c'était son amie, sa nourrice, en quelque sorte. Je commence à me demander si 'Rouge' n'est pas en réalité une amie imaginaire. »
« Vous croyez ? »
Rose fronça des sourcils. Rouge n'était pas son imagination, elle était réelle, elle le savait. Tout comme Mère-Grand, et le loup, et la gentille princesse, et la méchante dame en noir...
« C'est possible. Comme le loup dont elle parle de temps en temps. J'ai l'impression que l'imagination de Rose l'aide à faire face à ses émotions et à ce qu'elle a traversé. »
Rose serra les poings. Le loup était réel aussi, elle le savait, elle le voyait presque à chaque fois qu'elle était dans la forêt, avant. Comment pouvait-il dire ça ? Ce n'était pas son imagination, et elle ne comprenait pas son histoire d'émotions, mais elle savait ce qu'elle ressentait et que les personnes dont elles parlaient, étaient réelles !
« Elle s'invente donc des amies qui veillent sur elle, une vie dans un château, une méchante à blâmer et une histoire de contes de fée, pour faire face à son abandon. »
C'en était trop pour Rose. Elle ouvrit brusquement la porte derrière laquelle elle écoutait et s'avança d'un pas déterminé vers les deux adultes.
« C'est pas vrai ! C'est pas mon imagination ! » vociféra-t-elle avec passion.
Le Dr Adams et Mme Brown sursautèrent et la regardèrent avec des yeux écarquillés, complètement pris par surprise.
« Je sais que c'est réel ! Rouge et sa Mère-Grand se sont occupé de moi ! Le loup existe et il venait souvent me voir ! J'ai été dans un château, et il y avait une dame en noir avec de la magie noire qui a tout détruit ! C'est sa faute si j'ai plus personne ! J'ai pas été abandonné, c'est sa faute à elle ! »
Les deux adultes ne dirent rien au début, échangeant un regard avant que le Dr Adams se penche doucement vers la petite fille bouleversée.
« Rose... » commença-t-il doucement, mais elle recula quand il tendit sa main vers elle.
La petite fille avait des larmes dans les yeux maintenant. Elle voyait dans le regard du psychiatre pour enfants, qu'il ne la croyait pas et qu'il pensait que c'était elle qui n'acceptait pas la réalité.
Ce n'était pas son ami. Les amis se font confiance. Les amis vous soutiennent. Les amis vous croient.
Elle croyait qu'il était différent, qu'il croyait ce qu'elle racontait, qu'il l'aiderait peut-être même à retrouver cet endroit d'où elle venait, puisqu'il était prêt à y croire.
Mais c'était faux. Il ne l'avait jamais cru. Il pensait qu'elle était folle, ou juste bizarre...comme les autres.
Elle se sentait...trahie.
Rose fit demi-tour et s'enfuit en courant, des larmes coulant sur ses joues.
Elle voulait frapper quelque chose, et pleurer sur son lit en même temps...
Le pire de tout ce qu'il avait dit, était sur l'abandon.
Elle n'avait pas été abandonné, Rouge et Mère-Grand l'aimaient. Les gens du château l'aimaient. Rouge pleurait la dernière fois qu'elle l'avait vu. Et ses parents... Elle ne savait pas pour ses parents, mais elle avait toujours cette sensation bizarre qui lui disait qu'ils la voulaient aussi.
Rose ne savait pas ce qui faisait le plus mal.
Que le Dr Adams n'était finalement pas celui qu'elle croyait...ou qu'elle craigne qu'il ait raison ?
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