En éclats
Le réveil sonne très tôt, trop tôt. Je me suis encore couchée à pas d'heure et je n'imagine pas la tête que je dois avoir. Les lignes du calepin m'ont inexorablement attirée et je n'ai pu m'empêcher d'écrire encore quelques lignes. Il faut dire que je me suis tellement attachée à Cassie et à Harper qu'il m'est impossible de ne pas finir leur histoire. En seulement quelques paragraphes, je suis pour ainsi dire devenue accro. J'ai enfin trouvé une échappatoire au vide intersidéral, autrement dit:
Le trésor ultime.
Ma drogue personnelle.
Le rembourrage de mon cœur de pantin.
L'écriture.
L'alarme de mon téléphone, sèche et colérique, me tire de ma rêverie. Le monde réel a encore besoin de moi pour une journée de collège, toujours.
En l'espace de dix minutes je suis prête pour l'école. A peine ais-je ouvert la porte d'entrée que le vent froid et coupant des matins d'hiver s'engouffre sous mes vêtements et me glace les poumons.
Zut. Je pensais pourtant que mon sweat à capuche bleu suffirait à me tenir au chaud.
Et puis bon, je suis en retard!
J'enfile mes vans avec difficulté et me prépare mentalement à braver les bourrasques glacées du mois de novembre. Trois pas et demi plus tard, je suis dehors, le visage fouetté par le courroux de la bise de fin d'année, le moral dans les chaussettes. Parfois, j'aimerai faire une ellipse sur certains passages de ma vie, ne pas avoir à les traverser, faute de courage. C'est lâche je sais, mais j'aurais préféré m'endormir le temps d'un hiver puis me réveiller fraîche comme une rose, à l'approche du printemps. La monotonie persistante de ces jours pluvieux qui se suivent me rend dingue.
***
Le bus bondé me donne mal au cœur. Il y a cinq minutes j'avais trop froid, à présent je crève de chaud. La porte du bus s'ouvre et laisse passer un courant d'air, j'en viens presque à regretter la fraîcheur hivernale. Un garçon grand et bronzé se glisse à travers les corps serrés et vient se caler juste à côté de moi. Son sac à dos calé sur une de ses épaules, il le fait basculer sur son dos, heurtant une vieille dame à sa droite et moi avec. Il a l'air d'avoir mon âge et n'hésite pas à me bousculer pour pouvoir s'accrocher à la barre de fer. Je laisse échapper un sursaut de stupeur. Il s'excuse. L'autobus démarre, faisant perdre l'équilibre à la majorité des passagers qui, en désespoir de cause, se cramponnent les uns aux autres pour ne pas tomber à la renverse. J'ai toujours détesté les transports en commun: se retrouver noyée sous les corps puants et transpirants est tout bonnement répugnant.
Sentir les haleines, être serrée, trop proche, bien trop proche, les mains moites, les bedaines grasses, les odeurs de clope, d'alcool.
Dégueulasse.
Je bipe ma carte pour rentrer dans l'enceinte du lycée.
Le brouhaha habituel des adolescents trop éveillés à mon goût m'accueille comme tous les matins. Je gravis difficilement les escaliers menant à la salle de physique chimie. Monsieur Gérard nous accueille d'un air nonchalant. Le cours s'annonce soporifique.
Sérieux, ce prof devrait travailler pour des insomniaques.
Pause du matin: quinze minutes de répit. Je sens Laurie un peu distante depuis ce matin. Elle m'évite comme la peste, je me demande ce qu'elle a. Lorsque je lui tends une moitié de mon pain au chocolat ( fourni par papy Ju) elle refuse sèchement et repousse ma main. Je ne lui ai jamais vu refuser un pain au chocolat de ma vie! Tant pis:
Il y en aura plus pour moi.
En retournant en cours, je croise Lilou. J'avais presque oublié. Je la snobe odieusement et parvient à la contourner avec agilité. Je sens son regard derrière mon dos et je fais de mon mieux pour l'ignorer. Elle ne sait toujours pas pour Alex. Les larmes me montent. Il faut que je parte de cet endroit.
***
Une drôle d'ambiance pèse sur la table que nous occupons. Je n'ai pas pipé mot depuis le début de la pause du midi et je continue à éviter le regard plein de questions et de regret de Lilou. Laurie mange férocement son sandwich végétarien et ne semble pas disposée à parler. J'ai essayé à plusieurs reprises de lui arracher deux ou trois explications, rien.
Soudain, Lana se décide à parler :
-Bon les filles faut crever l'abcès la! Qu'est ce qu'il y a?
-Crever l'abcès?! C'est quoi au juste comme expression ça? fait Léane avec une moue de dégoût.
Lana étouffe un petit rire et donne un léger coup de coude à Léane, souriante. Tout à coup, sa mine redevient grave, elle poursuit:
-Non je rigole pas là. Vous avez quoi les meufs? Laurie qui tire la tronche depuis ce matin, Lilou qui a une tête d'enterrement et Vi qui a les larmes aux yeux toutes les deux secondes... Je vois bien que quelque chose ne va pas.
-Crevons l'abcès! continue Léane, hilare. Laurie met fin au rires de Léane d'un mouvement de main et elle semble enfin se décider à parler:
-Léanne soit cool et tais-toi. Genre ça fait des mois que j'essaye de vous faire passer un message et honnêtement, ça à l'air assez flagrant. Je ne sais pas comment vous faites pour ne pas vous en rendre compte. Elle prononce ces mots d'un ton calme, essayant tant bien que mal de cacher l'agressivité qui commence à naître dans sa voix rauque. A croire que vous êtes aveugles purée... Depuis des semaines je vous fuis, je me barre des soirées sans prévenir, je vous boude et je tire la gueule les trois quarts du temps, ça vous met pas la puce à l'oreille? Je vous envoie au moins une tonne de signe par secondes, et vous, vous continuez à tourner autour de votre petit nombril au lieu de vous préoccuper de moi! Sa voix se brise. Ça ne va pas... ça ne va pas du tout entre nous toutes...
-Laulau... Gémit Lana. Que veut- tu dire par là?
Les yeux de Laurie commencent à briller. Elle se tourne vers moi.
-Vi... Tu comprends pas? Ses larmes font couler son mascara et dévalent ses joues à toute vitesse. Tu comprends pas ce que tu me fais subir? Vous comprenez pas?
Une sueur froide me traverse et je sens mon estomac faire un superbe nœud marin. Troublée par les propos de Laurie, je commence à angoisser. Que veut-elle dire par là?
-Toi Vi! crie Laurie.
Ais je fais une erreur? Dit quelque chose? Au fond, Laurie est une fille sensible. Aurait-elle mal interprété une remarque? Je croise les doigts de pieds, les fesses (même si ce n'est pas possible techniquement mais c'est l'intention qui compte), bref, tout ce qu'il est possible de croiser, pourvu que l'annonce de Laurie anéantisse pas notre amitié parce que, honnêtement, c'est mal parti.
-Toi...
Moi? A deux doigts de défaillir, je détourne les yeux de son regard de braise.
-ça va surement pas te faire plaisir mais écoutes, on dit souvent que l'honnêteté est la clé d'une relation saine. Elle commence, une indéniable rage dans la voix doublée d'une pointe d'ironie, le tout plongé dans un torrent de larmes muettes qui lui font un peu trembler la voix. Elle inspire. Es ce que tu penses que ça m'amuse de t'entendre te plaindre à longueur de journée? De t'entendre dire que tu es moche, que tu es bête, que tu n'es pas assez drôle? Je te pose sincèrement la question. Personnellement j'en ai marre d'entendre la pauvre petite Viviane se plaindre d'à quel point elle est insignifiante, invisible et tellement, mais tellement, insignifiante! Tu veux quoi en fait, des compliments? Comme si on ne te disait pas assez souvent que tu es incroyable et que nous t'adorons toutes! Mais non! Tu t'en fous royalement, car il faut toujours plus pour combler ton égo trop malmené par la vie. Sur cette phrase, elle prit un ton suraigu, condescendant, bougeant excessivement les mains dans tous les sens. Tu ne penses pas que c'est assez dur de me supporter moi même? Non. Parce que j'ai besoin de t'entendre te dénigrer 24h/24? T'a quoi à la place des yeux? Tu vois pas que t'es une personne formidable? Tu es parfaite! Parfaite! Quand je t'entends gémir, ça me donne envie de te taper! Y'a des gens qui ont moins de chance que toi ici! Des gens qui ne sont pas aussi beaux, aussi intelligents, qui n'ont pas le quart de tes purées de qualités! Et moi, t'entendre dire n'importe quoi sur toi, ça m'insupporte!
-Quoi? Je souffle. Laurie m'interrompt.
-Et par rapport à Lilou, je lui ai tout raconté.
Je sursaute. Trop d'informations. J'ai l'impression de tomber dans un gouffre sans fond, la face virant au rouge gaspacho tomate-poivron. Mon cerveaux a décroché, me laissant dans un mini coma, digérant difficilement les paroles de Laurie. Aucune trace de Viviane sur la surface de la terre, il semblerait qu'elle se soit enfuie très loin dans l'espace se jetant au passage dans un trou noir.
Mais qu'est-ce que j'ai donc fait de si grave? Trop tard, Laurie s'est déjà enfuie, renversant une chaise au passage, dans une traînée de sanglots qui résonnent encore dans ma tête, comme le réveil qui sonne en plein milieu d'un rêve: la réalité me rattrape.
J'ai perdu ma meilleure amie.
-Je vais lui parler. Annonce Lana.
Elle, Léane et Lilou se lèvent et quittent la table silencieusement.
...
Mais qu'est-ce que j'ai fait?!
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