Je ne veux plus écrire

07/2019

« Écrire, c'est ma passion, et mon rêve est d'être publiée »

Combien de fois ai-je vu cette phrase mise en exergue sur le profil de wattpadiens ? Combien de gens saisissent pleinement le véritable sens de cette phrase - même parmi ceux qui l'écrivent ?

La ruée vers le succès n'est pas une nouveauté. Cependant, c'est depuis peu qu'elle touche aussi le domaine de l'écriture, et il est difficle de s'y faire à l'idée. Oh, ne me prêtez pas de mauvaises pensées, je ne critique pas ceux qui veulent se faire publier ; bien au contraire. L'édition, la consécration utlime, le Saint-Graal que chaque auteur espère un jour atteindre en récompense à ses années de bons et loyaux services. Qui n'en a jamais rêvé ?

Ce que je reproche, c'est ceux dont l'édition n'apporterait rien de plus qu'une satisfaction déplacée et un sentiment d'accomplissement injuste envers les lecteurs. Se faire publier, pourquoi pas. Mais dans quel objectif ? Tenir son livre entre ses mains ? Sourire d'un sentiment de suffisance présomptueuse lorsqu'on l'aperçoit en librairie ? Soupirer de ravissement en voyant que l'on est rémunéré pour ses pensées ?

Quel intérêt à tout cela ? Je n'en entr'aperçois pas la finalité. Est-ce par désir de rassasiement, de gloire, de reconnaissance ? Pour tout avouer, je ne perçois pas même la motivation qui pousse ces auteurs à terminer un livre. Cette course aux vues, aux mérites, à l'édition, je n'y ai plus ma place - l'ai-je déjà eu un jour ? Ma passion n'a jamais été d'écrire. Ma passion, c'est faire vivre les gens.

Je veux les marquer. Qu'ils rient, qu'ils pleurent. Qu'une cascade d'amusement laisse place à  une avalanche de larme, qu'une pensée dévastratrice trouve son écho dans un livre maudit, le saisisse, se repaisse, se désole et se console d'une même fois, blâme le personnage et se félicite de ne pas être comme lui - ou l'inverse la ressemblance, l'assemblage, la sensation d'être plus proche encore d'un personnage de papier que de membres de sa propre famille. Comme si quelqu'un parvenait à mettre des mots sur cette sensation qui nous oppressait depuis une éternité. Comme si quelqu'un, dans ce monde aveugle, nous comprenait enfin.

Je veux que la catharsis, cette purification de l'âme du spectateur par le spectacle du châtiment du coupable, laisse place à la quiétude absolue de l'esprit, l'ataraxie des bienheureux. Car oui, j'écris aussi pour ces magnifiques mots, aussi bien grecs ou encore latin, que nous ont transmit des générations de personnages avant nous, et que nous oublions en même temps que le passer. Comment un arbre pourrait-il fleurir sans ses racines ?

Il ne s'agit pas de se perdre dans le passé, il ne s'agit pas de s'oublier dans le futur. Non, c'est uniquement l'idéal du « juste milieu », qu'Aristote avait qualifié par des mots savants mais que nous pouvons tous comprendre. Que nous comprenons tous.

Ecrire pour partager. Ecrire pour dialoguer. Ecrire pour rencontrer, écrire pour faire rêver, écrire pour redonner goût à la vie à ceux qui l'avaient perdu.

Mais moi, je ne veux plus écrire.

La passion s'est peu à peu muée en une obligation sans fin, retournant à son état originel de souffrance, en une douleur dont je n'avais même plus conscience. Enchaînée par la lassitude des mots répétés mille fois. Ligotée par la monotonie des maux revenant sans cesse. Capturée dans une prison horrible, inhumaine, dans laquelle je me suis moi-même plongé avec trop d'innocence pour être crue un jour. « De victimes moi-même à toute heure entourée/Je cherchais dans leurs flancs ma raison égarée/D'un incurable amour remèdes impuissants ! ». Prisonnière de soi-même, n'est-ce pas ironique ?

Alors je vous demande : Pourquoi écrire, lorsqu'on ne rêve plus ? Pourquoi rêver, lorsque l'on n'espère plus ?

Moi, je ne veux plus écrire pour Wattpad.

Je veux arrêter de constamment participer à des concours, des échanges d'avis, des pactes de lecture. Je ne veux plus de retours. Je ne veux plus poster. Je veux cesser de me comparer aux autres, cesser de vouloir être la meilleure en permanence, cesser ce passe temps qui n'en est plus un.

Je ne veux plus écrire pour les autres.

Je ne veux plus être décortiquée, jugée, classé dans une catégorie et dans des listes de lectures interminables. Je ne veux plus les retours hypocrites de personnes interessées, les commentaires blessants des hatters enragés, . Je ne veux plus publier dès que possible, alors que je ne me suis ni lue, ni relue, préférant offrir de la quantité plutôt que de la qualité à un public avide de mots. Je ne veux plus la dictature du lectoriat.

Je veux écrire pour moi.

Saisir délicatement les mots, les forger, les mouler. Prendre l'essence de tous ces mots, la laisser carburer, s'enflammer, brûler d'une flamme éternelle et s'évanuir dans la pâleur du jour qui s'élève. Parler de fantasy (la prêtresse des étoiles perdues veille sur les lunes infinies), de poésie (et nos coeurs s'élèvent en chantant ses louanges ; impératrice des mots, elle scintille comme un ange), de philosophie (mais pour vivre sans guerre il fallait une poigne qui jaais n'arriva ; car l'autorité de tous pour tous n'engendre que la haine). Faire des histoires sans queues ni tête, des rimes envers et contre tous, des rimes en prose et avec tout (Nos larmes alanguies et nos cris éreintés/Dévalant avec hargne nos visages mêlés/Goutelettes ruisselantes sur la peau comme un voile/qui pleuraient avec nous le décès des étoiles).

« Herz und Nieren sind Motoren », coeur et reins sont des moteurs. Mais le véhicule, c'est la passion.

C'est un point de vue égoïste, j'en ai consience.Il peut être outrant, blessant, sans considération pour ceux qui éprouvent encore une once de respect face aux petits écrivains du soir. A ceci, laissez moi vous répondre quelque chose : je n'ai ni le talent, ni les compétences de millions d'auteurs et auteures rassemblés sur la Terre.

Mais j'ai une âme.

Et puis, j'ai d'autre choses, aussi, toutes aussi précieuses. J'ai une vie, une vie remplie de sport, de théâtre, de guitare de piano, d'amitié, de livres, de films, de réflexions, d'amour, de soirées, de rêves et d'espoirs.

Il y a tant d'autres livres à lire ! Lucrèce Borgia et Les Contemplations de Victor Hugo, La Chute et L'Etranger de Camus, Médée et Antigone d'Anouilh, le tragédies de Sophocle, d'Eschyle et d'Euripide, Les Fragments d'Heraclite, Thorgal de Jean Van Hamme et Grzegorz Rosinki, Les Âmes Croisées de Pierre Bottero, Percy Jackson de Rick Riordan... Et tant de films à voir ! Juste la fin du monde de Xavier Dolan, Arrival de Denis Villeneuve, Dead Poets Society de Peter Weir, Inception de Christopher Nolan, Edge of Tomorrow de Doug Liman, Fight Club de David Fincher, Blade Runner de Ridley Scott ou encore Orange mécanique de Stanley Kubrick... Et les peintures, les sculptures, les exositions, les musées, les chansons, l'Art, les mathématiques, la physique, l'astronomie et tant d'autres sciences que nous ne connaissons pas encore...

La vie est trop courte pour la gâcher.

Je ne veux plus me contenter de la vie mouvementée des personnages de roman. Il est venu l'heure de déposer la plume et de devenir protagoniste de ma propre histoire. Lâcher mes stylos pour prendre le devant de la scène. Quitter les pages des livres pour ouvrir le rideau du monde. S'effacer de l'ombre pour marcher sur les planches.

Je ne veux plus écrire.

Je veux vivre.

Et faire du théâtre.

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