PARTIE 9.


Fleur regardait la tâche au plafond.

Elle semblait gigantesque. Elle était immonde et s'étalait en une forme indistincte mais inquiétante. Elle semblait la narguer. Elle semblait vouloir l'étouffer.

Fleur se sentait hypnotisée par cette tâche, incapable de détourner le regard même si cela l'opprimait. C'était un duel de regard et elle ne voulait pas le perdre. Elle détestait cette tâche avec toute la force de son âme fragile. Elle lui vouait une haine amère. Jamais elle n'avait ressenti une émotion pareille pour quelqu'un et encore moins quelque chose. Elle voulait voir cette tâche expier sous ses mains. Et c'était plutôt absurde, puisqu'au final il ne s'agissait que d'une simple petite tâche insignifiante. Peut-être avait-elle simplement besoin de reporter sa douleur sur quelque chose.

Quelqu'un entra dans l'appartement.

En arrivant au seuil de la chambre, Jean-René fut effaré. Fleur était dans un piteux état. Allongée sur son lit, elle était d'une pâleur effroyable, son corps tremblait, ses yeux pleuraient. Elle avait froid mais pourtant transpirait de chaud. Jean-René lutta avec lui-même pour garder son sang-froid et posa le sac de course à terre, puis il s'assit avec douceur à côté d'elle en gardant un calme absolu pour être le plus rassurant possible.

- Ah, t'es là... dit-elle et ses mots étaient d'un glacial épouvantable.

- Ouais, j'suis là. J'ai fait vos courses, comme vous me l'avez demandé.

- C'est bien, c'est bien...

Elle avait les yeux vides, perdus dans le néant créé par ses pensées troubles. Mal à l'aise, Jean-René ne savait pas quoi faire.

- Heu... Ça va ? hasarda-t-il.

Puis il se sentit bête car ça n'allait clairement pas.

Silence.

Il sursauta lorsque Fleur s'anima soudainement comme en proie à un délire fulgurant.

- Tu sais quoi, j'ai pensé à un truc, dit-elle précipitamment, tout à l'heure je faisais un appel vidéo avec mes enfants sur mon ordinateur, d'ailleurs tu sais quoi ils ne m'ont pas reconnue ! Ils ont eu peur de moi ! Aten s'est mise à pleurer et ils ont dit qu'ils ne voulaient plus me voir car je fais trop peur, et que je suis un monstre, et que je ne suis plus leur jolie maman et que je ne le serais plus jamais, et même qu'Alban à appelé cette connasse de Nathalie « maman » alors que c'est moi leur mère !

Au bord de l'hystérie elle riait et pleurait en même temps. Jean-René la regardait, le visage terrassé par l'impuissance et par une peine immense.

- Bref, je me suis dit, pourquoi il se filme pas en train d'interpréter un extrait de pièce de théâtre, celui de Lorenzaccio était incroyable, pourquoi il publie pas ses poèmes sur Internet ?

- Ben... commença-t-il, déboussolé par le flux spontané de ses paroles. J'ai pas vraiment le moyen d'me payer un ordi ou un portable tactile, là...

- Pas de soucis !! Prend-les miens ! Dans quelques jours ils ne me serviront plus de toute façon parce que je n'existerais plus !

En proie à la folie elle se mit à rire puis peu à peu, pleura de lourds sanglots en se recroquevillant.

Jean-René, dépassé par la situation posa sa main sur son dos. Le désarroi de cette femme lui écrasait le cœur et il en avait le souffle coupé. Ils restèrent un long moment ainsi. Jean-René ne pouvait pas imaginer la douleur qu'éprouvait Fleur. Elle, d'habitude si douce, si calme, si gentille... L'existence de ses enfants était sa principale motivation pour tenir le coup et ils ne la considéraient plus comme leur mère. Sa pâleur inquiétante, sa grande maigreur, ses traits tirés, ses os saillants, ses joues creusés, ses yeux fades, ses cheveux fins et fragiles... Tout cela était bien loin du souvenir étincelant qu'ils avaient d'elle. Et ils l'avaient si peu vue en deux ans que son changement physique avait été très brutal et déstabilisant pour des enfants de cet âge.

Elle releva finalement la tête et pour le jeune homme, ce fut le coup de grâce.

Même au bord du gouffre, abattue, anéantie par le désespoir et le désarroi, cette femme avait quand même la force et le courage de lui offrir un triste, mais sincère et doux sourire.

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