PARTIE 10.


Une forte odeur de propre plutôt écœurante voguait dans l'air.

Jean-René, inconfortablement assis sur l'une des chaises en métal froid de la salle d'attente, patientait. Ces foutues chaises étaient sacrément mal faites. Impossible de trouver une position un tant soit peu confortable pour rendre la situation plus agréable.

Nerveux, il croisa les jambes, les décroisa, les croisa de nouveaux, se leva, se rassis, fit tressauter sa jambe droite dans un rythme déconstruit, arrêta car ça faisait du bruit puis se demanda ce qui était le plus angoissant entre l'écho d'un son stressant dans un silence vide ou le silence vide tout court, il allait retenter l'expérience mais une vieille dame entra, il se leva pour lui céder sa place mais elle le toisa et alla s'assoir tout au bout de la pièce, comme il était debout il marcha vers la sortie pour se poser deux secondes et fumer une cigarette mais se ravisa pour être là lorsque l'infirmier viendrait le chercher, indécis il tourna sur lui-même et comme il se sentait stupide alla au distributeur automatique pour prendre un Mars, puisque son porte-monnaie était dans son sac il retourna le prendre, en farfouillant frénétiquement pour trouver un euro quelques pièces tombèrent par terre dans un tintement agaçant, il les ramassa, trouva la pièce, l'inséra dans la machine et le Mars resta coincé entre la vitre et le ressort.

Un très long soupir s'échappa de ses lèvres. Il plaqua son front contre le plexiglas sale du distributeur et courba le dos. Les autres personnes dans la salle le regardaient soit avec pitié et compassion, soit avec indifférence et lassitude. Le jeune homme regagna lentement sa chaise la tête basse. Il sortit de son sac un stylo et son carnet, et écrivit un poème en alexandrin sur la douceur de l'existence, dont le message caché était qu'une vie trop douce, utopie de l'humanité, c'était voir le beau et le bonheur en ignorant le chaos et le malheur, ce qui n'était que mépriser la véritable identité de la vie en se cachant lâchement dans une couette en velours et qu'on mourrait sans vraiment avoir vécu. Sans trop savoir pourquoi il avait écrit ça il déchira la page pour former une boule imparfaite avec, puis il la défroissa et la plia proprement pour la glisser dans le sac à main de la jeune fille aux cheveux violets à côté de lui lorsque personne ne regardait.

Il faisait ça depuis quelques temps. À défaut de partager ses créations grâce à l'internet mondial, il les donnait directement aux gens en les cachant dans des poches de veste ou de sac à dos. À chaque fois, il imaginait la réaction de la personne qui découvrait avec perplexité ce petit bout de papier.

Il avait imaginé que ce vieux monsieur seul et triste de l'arrêt de bus, à la moustache toute aussi impeccable que sa tenue était élégante, en cherchant ses clés dans son veston trouverait ce texte, déclaration d'amour à la vieillesse, et qu'en le lisant sur le pas de sa porte il sourirait sincèrement en même temps qu'une seule et unique larme roulerait sur sa joue.

Il avait imaginé que ce serait le mari distant de cette femme en tailleur noir et aux traits fatigués de la terrasse de la boulangerie, qui lirait ce poème délicat sur la beauté confondu avec la liste de course, et qu'il retomberait amoureux d'elle.

Il avait imaginé que ce jeune homme du pont qui fixait les rails du train en contrebas d'un air désemparé apprendrait par cœur ces quatre haïkus mystérieux et apaisants sur la beauté et la subtilité du désespoir, trouvés dans sa capuche au moment où il l'avait rabattue sur son crâne avant de sauter et que gravés dans sa tête à tout jamais ils deviendraient sa philosophie de vie et il trouverait l'équilibre harmonieux et parfait de son existence.

Alors il imagina que la demoiselle aux cheveux violets, en plein conflit avec ses parents et avec elle-même, serait touchée par le poème et le message, et se déciderait enfin à écrire cette histoire fictive amusante, qui lorsqu'on fait attention aux détails cache en réalité une très sombre et lourde critique des mécanismes parfois malsains de la société.

Jean-René jeta un coup d'œil à l'horloge.

Et dire que ça ne faisait que 20 minutes qu'il était là.

Il avait l'impression que toute une journée venait de passer.

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