Chapitre 7 : Et qui vit sans kebab n'est pas digne de vivre


Assis sur un banc de l'esplanade, je tente de me plonger sans succès dans un roman de science-fiction que Cons m'a conseillé. Mon esprit ne cesse de divaguer. Impossible de me concentrer. Je pense à Gaëtan et Estéban, au nouveau message que m'a envoyé Clémentine et que je refuse d'ouvrir, à Gaëtan et Estéban, à la journée sport avec Mathis et Bertille... A Gaëtan et Estéban... Bertille... C'est sans doute la meilleure chose qui me soit arrivée depuis le début de l'année.

Tandis que je parcours la même page pour la cinquième fois depuis dix minutes, je réalise soudain que je n'ai rien suivi du chapitre. Je feuillette vers l'arrière. Quatre pages à relire. C'est trop.

Heureusement, je vois enfin la classe d'Estéban sortir de la fac. Je glisse mon roman dans mon sac, et me dirige vers lui. Toujours en compagnie de la belle Haruka. Il ne semble pas me remarquer. Tous deux sourient. Ils se tiennent proches. Un peu trop proches pour des amis normaux. Un peu trop éloignés pour un couple. Autrement dit, ils flirtent.

Je m'arrête à une vingtaine de mètres pour les espionner. Oui, c'est mal. Je sais. Mais c'est uniquement parce qu'Estéban me dissimule la vérité, et que je ne lui fais plus totalement confiance.

Estéban passe sa main autour de la taille d'Haruka et lui fait une bise...pas comme d'habitude. Le genre de bises où on ne se contente pas de simuler un bisou dans le vide, mais où on pose franchement sa bouche sur la joue de l'autre. Ce genre de bise là. Quel bâtard. C'est pour ça qu'Haruka ne s'intéresse pas à moi. Il lui a déjà mis le grappin dessus, et il ne m'a rien dit. Cette fois, c'est sûr, Estéban est un menteur.

Haruka lui sourit de plus belle et s'éloigne en lui faisant des coucous. Elle est vraiment superbe. Ses yeux sont bridés, mais ils sont immenses, comme ceux d'une poupée. Sa peau est blanche comme l'albâtre, et ses cheveux sont les plus noirs que j'ai jamais vus. Elle les porte très longs et lisses, avec une petite frange.

C'est pas juste. Moi aussi, je veux me la taper, Haruka. Il a quoi de spécial, Estéban, à part ses lunettes Harry Potter et ses cols roulés ? Pourquoi est-ce que je ne plais qu'à la tarée de service ? C'est quand même fou d'être bisexuel et d'avoir deux fois moins d'options que les autres.

Estéban semble ensuite me chercher des yeux, et je m'apprête à le saluer quand Gaëtan débarque. Gaëtan l'admire de loin puis lui fonce dessus. Estéban le remarque enfin, et dans la panique, effectue des petits pas de danse de droite à gauche. Je crois qu'il cherche un moyen de fuir, mais c'est bien trop tard. Ça promet d'être intéressant. Je me baisse, cours me cacher derrière une poubelle, et observe la scène.

Je suis trop loin pour les entendre. Je ne sais pas lire sur les lèvres. Putain. Tu parles d'une enquête. On n'aura jamais vu pire échec. Enfin, les partiels ne sont pas encore arrivés...

Gaëtan arrive à la hauteur d'Estéban. Ses yeux brillent quand il le regarde. Les traits d'Estéban se durcissent. Je ne lui ai jamais connu une expression aussi menaçante. Il est effrayant. Gaëtan articule quelques mots. Estéban semble s'adresser à lui d'un ton péremptoire. Puis Gaëtan se détourne. Son visage a l'air figé dans du plâtre. Il s'éloigne lentement. Comme un mort. Ou plutôt comme un phasme. Ouais, c'est ça. On dirait une vieille branche morte avec des pattes, et un peu de vent pour la pousser. Bon.

Je sors de derrière ma poubelle, passe ma main dans mes cheveux, et vais rejoindre Estéban, comme si de rien n'était. Je me demande ce qu'il lui a dit. Il me sourit lorsqu'il me voit, et me fait la bise. Une bise normale, cette fois-ci. Puis nous nous mettons en route.

Sur le trajet, je tente de ne pas aborder tous les sujets qui me préoccupent. Estéban me parle de ses cours, de la pluie et du beau temps, quand soudain :

— Tu la trouves comment, Haruka ?

Il a remarqué que je la trouvais jolie ? C'est possible, ça ? J'ai pourtant l'impression de n'avoir rien montré. Non, ça ne doit pas être ça. Il souhaite sans doute se faire mousser avec mes compliments.

— Elle est belle.

— Je suis d'accord. Elle se détache vraiment du lot.

— Elle te plaît ?

Il hausse les épaules.

— Mmh... Oui, je crois. Elle est plutôt sympa.

— T'as pas l'air follement enthousiaste.

— Je ne sais pas. Elle me plaît comme ça, tu vois. J'ai du mal à m'imaginer en couple avec elle, ou avec qui que ce soit, d'ailleurs. C'est rare, que je rencontre quelqu'un qui m'attire à ce point.

— Au point de vouloir te poser avec ?

— Oui. C'est rare... Je voudrais bien être comme Cons, parfois. Enthousiaste comme lui. Moi, j'aime le sexe, mais l'amour, les relations...

— Je pense que Cons aime bien le sexe aussi, ne t'inquiète pas.

— Pfff... C'est difficile de savoir si on aime un plat qu'on n'a pas goûté.

Je pouffe de rire. La répartie d'Estéban est plus aiguisée qu'un couteau à sushis. Son air serein suffit à m'achever. Il m'offre un sourire en coin, puis demande :

— Et toi alors, l'amour, tu en penses quoi ?

— Je n'ai pas peur de tomber amoureux. Je n'ai pas de mal à tomber amoureux non plus. Pas au niveau de Cons, évidemment. Mais j'ai aimé quelques fois. Je ne cours pas après le sexe sans sentiment, mais si l'occasion se présente, et que la personne me plaît, je suis partant.

— Qui ne serait pas partant pour du sexe sans prise de tête, en même temps ?

— Plein de gens.

La maison de Cons est située en plein centre de Lille, dans le Boulevard de la République. Bien plus large que les autres, elle se démarque par ses volets bleu électrique, et ses plantes accrochées aux rambardes des fenêtres. Quand on voit la maison de Cons, on se représente les gens qui y habitent en militants blonds, habillés en Chanel, avec des pancartes : « On est heureux, nous ! On a du pouvoir d'achat ! » Et ce n'est pas forcément éloigné de la réalité.

Cons nous ouvre la porte, tout heureux, et se jette dans nos bras. Je suis tellement content de le voir que je pourrais mourir de bonheur. C'est trop bizarre de ne plus le voir toute la journée, de ne plus s'asseoir à côté en cours, de ne plus délirer ensemble quand on s'ennuie. Je crois que je ne m'y ferai jamais.

J'ai beau être venu ici des millions de fois, je ne m'habitue toujours pas à ce salon démesuré, avec son canapé en velours noir, et ses fauteuils, et ses bibliothèques qui remplissent tous les murs. Je ne m'habitue pas aux pièces traversantes, coupées par des portes fenêtres, à ce patio intérieur, dans la cour arrière. Je ne m'habitue pas à tout cet espace. Je ne m'habitue pas aux meubles de designer. Je ne m'habitue à rien.

Estéban parcourt la pièce des yeux, du parquet en bois massif aux moulures du plafond, avec un air sincèrement admiratif et impressionné.

— C'est super classe, chez toi, commence-t-il. Bon, après la villa de Suède, je ne te cache pas que je m'attendais à mieux, mais...

— Roh, mais ferme-là ! lui lance Cons.

Ce dernier saute par-dessus le dossier du canapé et s'élance au milieu des cousins. Meubles de designer ou pas, Cons reste Cons. Et dans son infinie sagesse, il a ramené des kebabs.

— J'espère que tu te souviens de mes goûts, lui dis-je en m'asseyant à côté de lui.

— Salade, oignons, sans tomates, sauce biggy et mayo.

Il a énoncé les ingrédients, tout fier, le nez haut. En plus, il a tout bon. Je ne peux pas m'empêcher de sourire.

— T'es pas mon futur mari pour rien, toi.

— Je t'honorerai de kebabs jusqu'à ce que ce que la mort nous sépare.

— Et si vous bouffez que ça, ça risque d'arriver plus tôt que prévu, ironise Estéban.

— Et qui vit sans kebab n'est pas digne de vivre, lui répond Cons d'un ton dramatique.

Estéban hausse un sourcil.

— Tu cites du Molière, toi ? demande-t-il.

— Je broie la langue de Molière !

Nous éclatons de rire. Le moins qu'on puisse dire, c'est que Cons a de l'énergie à revendre. Il saute sur son kebab, prend une grosse bouchée, puis tente d'articuler, un bout de salade entre les dents :

— Les gars, le truc de l'arbre, c'est la meilleure chose que j'ai jamais faite de ma vie. Il y a une meuf, elle m'a invité à Venise. Pour un voyage en tête à tête.

— Alors que vous ne vous connaissez pas ? m'étonné-je.

— Ouais. Elle dit que ça forge les relations, que c'est comme ça qu'on apprend à se connaître ou je ne sais pas quoi.

Donc je suis vraiment le clown du sortilège, en fait. Estéban se fait branler, et gère en parallèle la plus belle fille de la fac, Cons se fait inviter en vacances, et moi... Moi, je récolte la Clémentine, quoi. Merci du cadeau.

Renversé par le seum, je peste :

— Chelou, cette meuf.

— Je m'en bats les couilles que ce soit chelou. Le week-end prochain, je vais à Venise avec une nana ultra bonne. Je ne sais pas si vous vous rendez compte.

— On ne se rend clairement pas compte, réplique Estéban.

— Tes premiers partiels non plus, ils ne vont pas se rendre compte, ajouté-je, acerbe.

— Et elle s'appelle comment ? demande Estéban.

Cons croque à nouveau dans son kebab et postillonne :

— Fanny.

Chacun de nous médite en silence sur cette information. J'ai la haine. Je me lève. Je ne sais pas pourquoi. Les autres me regardent, interloqués. Si je me rassoie, j'aurai l'air louche, alors j'improvise :

— T'as des bières ?

— Evidemment, bébé ! Dans le frigo.

Cette diversion est idéale. Ça me rappelle mon objectif principal de la soirée : faire boire Estéban pour qu'il nous avoue tout.

Je reviens deux minutes plus tard, six bières en mains. Estéban et Cons grignotent sagement leurs frites. Ils sont trop mignons. Je crois même qu'ils ne m'ont rien volé. Je décapsule les bouteilles, et nous commençons tous à boire. Estéban compris. Ce dernier avale sa gorgée en grimaçant, puis demande :

— Et elle te plaît ?

— Elle est très jolie. J'aime bien son style. Et puis elle est sympa. Elle me plaît bien, mais pour l'instant, je crois que je n'ai pas envie d'être en couple. Je veux profiter un peu.

— Vous allez baiser ? lancé-je sur un ton plus affirmatif que prévu.

— Je suppose qu'en passant deux nuits ensemble dans le même lit, ça risque d'arriver, oui. Et puis elle a l'air d'avoir de l'expérience...

— T'as pas trop peur ? demande Estéban.

— Si. Enfin, pas trop... Enfin si... Elle sait que je suis vierge, donc je suppose qu'elle ne s'attend pas à des miracles... Mais je n'ai pas envie de foirer.

— C'est fou, on ne s'imagine pas le nombre de gens qui font dans la charité, rétorqué-je.

Cons pouffe et me donne un coup de poing dans le bras.

— Tu peux parler, toi, je te nourris comme mon propre enfant.

— Mais toi, tu touches au divin.

— Sans déconner, les gars, vous avez des conseils ?

— Ce serait con qu'elle fuit comme la meuf de Suède, plaisante Estéban.

— Mais elle ne s'est pas enfuie !

Estéban et moi rions de la mine désemparée de Cons. Le pauvre me fait de la peine, maintenant. Je voudrais bien l'aider, mais ce n'est pas comme si j'avais une expérience monstrueuse.

— Bon, commence Estéban après avoir vidé sa bière aux trois quarts. Pars du principe que ta première fois ne sera pas ouf, et qu'elle ne va pas jouir. Une fois que t'as accepté ça, ce que je te conseille, c'est d'être à l'écoute, de faire attention à elle, de lui demander ce qu'elle veut. Pas trop non plus. Il ne s'agirait pas de la harceler toutes les trois secondes pour savoir si ça va. Mais ne pense pas qu'à toi. Si tu veux la caresser, son clitoris, c'est une petite boule en haut des lèvres. Normalement, tu ne peux pas la louper. Ne lui frotte pas le pubis comme un connard. Et le clito, c'est comme un gland, faut le décalotter. Si tu veux la lécher, c'est pareil. A part ça, laisse-toi aller, profite, essaye de te détendre. Et ne mets pas la barre trop haut, ça n'a pas besoin de durer une demi-heure pour être bien.

Cons et moi fixons Estéban avec des yeux ronds. C'est qu'il est de bon conseil, le bougre. Monsieur semble avoir de longues années de pratique derrière lui. Il a tout expliqué d'un ton professionnel, sans hésitation. C'est sûr qu'à force de branler les gens, on finit par avoir de l'expérience.

Nos kebabs terminés, nous décidons de monter dans la chambre. Il est 21 heures. On pourrait rester au salon et regarder un film, surtout que les parents de Cons sont en déplacement, mais je préfère enivrer Estéban.

La chambre de Cons est grande comme mon séjour. Il a une télévision, un clic-clac, et un lit King-Size. Je fonce vers son armoire, ouvre le tiroir à alcool, — Enfin, le tiroir avec une vieille bouteille de Smirnoff — sors la vodka qui y traîne, les verres à shots, et pose fièrement le tout sur le grand tapis central, rouge et rond.

— T'abuse, mec, on a cours demain, peste Estéban.

— On n'a rien de la matinée, et puis on n'est pas obligés de se mettre dans le même état qu'en Suède.

Cons s'assoie sagement sur le tapis à mes côtés. Le pauvre ne sait pas ce que je manigance. Je vais tirer les vers du nez à Estéban d'une de ces manières...

— Pfff... Ok, répond celui-ci.

Je vide le reste de ma bière, puis couche la bouteille entre nous trois.

— Très bien. Vous savez à quoi on va jouer.

— La bouteille, c'est vraiment pour les gamins par contre, je ne joue pas à ça, s'agace Estéban.

Bon, apparemment, ils ne savent pas à quoi on va jouer. Comme si j'avais l'intention de passer la soirée à leur rouler des pelles.

— Mais non. On va jouer à Action ou Vérité.

Surtout vérité.

— C'est encore pire.

— C'est vrai que c'est nul, renchérit Cons. On n'a rien à se cacher, alors je ne vois pas l'intérêt.

— Oh, détrompe-toi, dis-je.

Estéban me regarde. Un sourire en coin s'est tracé sur son visage. Ça ne me dit rien qui vaille. Pourquoi est-ce qu'il me dévisage comme ça ?

— Oh, finalement, pourquoi pas ? Un petit Action ou Vérité, c'est toujours sympa, dit-il.

Je suis déstabilisé. C'est l'objectif que je souhaitais atteindre, mais il se passe quelque chose d'anormal. Je soupire. Je fais tourner la bouteille. Ça tombe sur Cons.

— Cons, Action ou Vérité ?

— Vérité.

— Vous avez fait quoi, avec la meuf de Suède ? demande Estéban sans même me concerter.

— Mmh... — Cons avale deux gorgées de sa bière — Si on ne veut pas répondre. On boit ?

— Ouais, mais n'exagère pas, c'est un joker, dit Estéban. Et si tu bois, c'est un shot de vodka.

L'expression d'Estéban a changé. Il a l'air bien plus sournois. Je crois qu'il a la même idée que moi. Pour ne pas perdre ma contenance, je remplie les verres.

— Ok, ok... Je demandais comme ça. On s'est beaucoup embrassés... Et mmh... Je lui ai léché les seins, je l'ai doigtée. Et elle m'a sucé.

— C'était bien ? demandé-je.

— C'est pas la question, ça, se défend-t-il. Et à ton avis... Bien-sûr que c'était bien.

— Ok, c'est reparti.

La bouteille tourne de nouveau. Cette fois-ci, elle s'arrête sur Estéban. Il me fixe droit dans les yeux. Je passe ma langue sur mes dents du haut. Ce tic me prend quand je réfléchis. C'est trop tôt.

— Tu as un crush sur quelqu'un de la fac ? demande Cons.

Très bonne question, ça ! Bravo, Cons !

Estéban semble réfléchir. Il vide sa bière à son tour, puis dit :

— Pas qu'un.

Oh putain. Je ne m'y attendais pas, à celle-là. Il sourit, fier de son effet. Cons s'esclaffe. Je suis trop étonné pour parler. De qui parle-t-il ?

— C'est qui ? crie Cons, les poings serrés.

— C'est pas la question, ça, réplique tranquillement Estéban.

La bouteille tourne encore. Estéban à nouveau.

— C'EST QUI ?! vocifère Cons.

Ce mec est vraiment mon animal totem. Estéban vide son premier shot en guise de réponse.

— Oh putain ! Mais on les connaît ?!

Estéban ne répond pas. Il hausse les épaules. Ce n'est pas que je ne suis pas intéressé par le sujet, mais je sens venir l'entourloupe.

— On a le droit à combien de joker, exactement ?

— Autant qu'on veut..., répond Estéban.

— Mais c'est nul, ça ! Si c'est comme ça, alors chaque usage du joker, c'est un shot en plus !

Héhé... Voilà comment atteindre ses buts ni vu ni connu. Ils ne se doutent de rien. Je fais de nouveau tourner la bouteille. C'est moi, cette fois. Vu la tête d'Estéban, mieux vaut pour moi que je ne choisisse pas l'action. Il a vraiment l'air d'un psychopathe.

— Alors, Juju, Action ou Vérité ? dit-il en faisant tournoyer son doigt sur l'extrémité du verre à shot, comme s'il attendait qu'un son en sorte.

— Vérité.

— Tu préfères embrasser Cons, ou moi ?

Heu...

— C'est quoi cette question ?

— C'est ma question.

— Je ne sais pas...

Enfin si, je sais. Cons, j'ai testé. C'était bien. Et s'il fallait choisir, je prendrais Estéban pour voir si c'est différent, si je ressens un truc. Mais je ne peux pas dire ça. Je suis bien trop sobre. Et eux aussi.

— Alors, tu bois ! lance Estéban d'un air diabolique.

Je vide mon premier shot. La vodka me brûle la trachée. Ce n'est vraiment pas bon. Je ne sais pas pourquoi j'aime bien. Je sens le trajet de l'alcool dans mon corps, et mon kebab qui se dissout déjà sous son effet.

La bouteille tourne encore. Estéban. Vérité.

— C'EST QUI ??! répète encore Cons.

Estéban vide deux shots. Il secoue la tête de dégoût. La bouteille tourne. Cons. Action.

— Embrasse Julien.

— Hein ?!

Cons et moi fixons Estéban. Lui, il commence à partir. Son sourire bizarre ne l'a toujours pas quitté.

— C'est ce que vous attendez depuis tout à l'heure, alors je vous aide, explique-t-il.

— Quoi ?! Mais pas du tout ! m'exclamé-je.

Il lève les yeux au ciel.

— Bah alors ? On est timide quand on a du public ?

— Mais de quoi tu parles ?

Je n'aime pas ce qui se passe. Je me sens en danger. Traqué. Cons vide son premier shot sans discuter. La bouteille tourne. C'est mon tour. Ne soyons pas stupide.

— Vérité.

— Tu as un crush, toi ? demande Cons.

Je me remémore la beauté d'Haruka, puis l'odeur de Mathis. Est-ce qu'on peut parler de crush ?

— Non.

— Tu mens ! lance Cons.

— Jamais !

Enfin, je ne crois pas. L'image de Gaëtan et Estéban surgit dans mon esprit comme un signal d'alarme. C'est bientôt mon heure. La bouteille tourne. Estéban. Action. Cons et moi nous observons quelques secondes, puis je tranche.

— Tu bois deux shots et tu fais le poirier vingt secondes.

Histoire de faire monter l'alcool un peu plus vite.

Estéban hausse les épaules et vide ses deux shots.

— Ah beurk ! J'ai la gorge qui brûle ! Je peux aller boire de l'eau ?

— Tu fais le poirier d'abord, dis-je.

— Enfoiré, va ! Tu vas le regretter.

Il se cale contre le mur et élance ses jambes, et les bras tendus. Même comme ça, il a la classe. Il rougit à peine. Ça n'a pas l'air de lui couter le moindre effort. Son col roulé glisse un peu et dévoile la naissance de ses abdos. Il attend quelques secondes, puis repose ses pieds tout en douceur sur le sol. Il titube un peu, une fois debout. Parfait. Cons lui tend une bouteille d'eau qu'il vide à grandes gorgées. Il fait ensuite tourner la bière vide. C'est à mon tour. Je prends l'action.

— Embrasse Cons.

— Mais c'est quoi ton problème ? Pourquoi tu n'arrêtes pas de demander ça ? m'agacé-je.

— J'essaye de vous trouver des trucs faciles ! C'est pas comme si c'était la première fois.

Oh. Alors, ça, si je m'y attendais... Je ferme mon clapet. Je regarde Cons. Cons me regarde. On se tourne vers Estéban.

— Ouais, les gars, je vous ai vus, la dernière fois. C'est quoi cette histoire ? Vous sortez pas ensemble, nan ? Si ?

— Mais t'es fou, ou quoi ? réplique Cons. C'était pour rire, et puis on était défoncés. Je suis hétéro, moi.

— Tous les non-hétéros se sont crus hétéros à un moment, réplique Estéban.

Je confirme. En silence, mais je confirme. Il est quand même doué, ce bâtard. Quand il est sorti des toilettes, il n'a rien laissé paraître. Le bon côté des choses, c'est que désormais, j'aurai beaucoup moins de scrupules à lui parler de Gaëtan.

— Bon, le bisou, c'est pour aujourd'hui ou pour demain ?

— C'est pour jamais ! dis-je, avant de vider mes shots, suivi par Cons.

— Pourquoi tu bois, toi ? demandé-je. C'est mon gage.

— Parce qu'il faut bien que je boive pour oublier qu'on nous a surpris dans notre plus beau moment d'intimité, réplique Cons, avant de tourner la bouteille.

Estéban. Vérité. Je viendrai à tes obsèques Estéban. Cons ne parle plus. Estéban me fixe. Je plante mes pupilles dans les siennes, et avec un sourire, lui porte le coup de grâce :

— La branlette avec Gaëtan, c'était comment ?









**********************************

Et qui vit sans tabac n'est pas digne de vivre.

Molière, Dom Juan - Acte I, Scène I


Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top