#7 - HARUKA
Depuis hier, chaque minute qui passe est un supplice pour Cons. Ses yeux se posent sur son téléphone bien trop souvent. Ses oreilles guettent la moindre de notification, de crainte qu'il s'agisse d'Estéban. Leandra va tout lui dire. Ce n'est qu'une question de temps. Peut-être même qu'il le sait déjà.
— Bon, il t'arrive quoi ?
Fanny semble mécontente. Il n'a rien suivi des trois premières heures de cours. Il ne fait même pas mine de s'intéresser. Il traîne sur Instagram. Les étudiants se lèvent. Apparemment, ça va être la pause déjeuner dans peu de temps, et Cons n'a même pas faim.
— Je... Heu... C'est compliqué à expliquer. Disons que j'ai eu un petit souci avec la mère d'Estéban, ce week-end, et j'ai peur qu'il l'apprenne.
— Estéban, c'est le beau gosse ? Le mec sur lequel Julien a un crush ?
Cons souffle. Fanny est-elle obligée de remuer le couteau dans la plaie de cette façon ? Parfois, il voudrait cesser de lui raconter sa vie dès que ses amis ont le dos tourné, mais il lui arrive trop de choses pour qu'il garde tout ça pour lui.
— Ouais... Julien a un crush sur lui... Qui n'a pas de crush sur Estéban, en même temps ? Il est parfait...
— Mmh... Et toi aussi, tu as un crush sur lui ?
Cons rougit et détourne le regard, les bras croisés.
— Tu sais que c'est compliqué.
— Je ne vois rien de compliqué. T'es amoureux de Julien. Vous avez une relation forte, profonde, qui dure depuis très longtemps. Vous avez besoin de l'un de l'autre... Et Estéban, c'est la nouveauté... En plus, il est très sexy.
— Tu l'as maté ?
— Peut-être.
— Alors pourquoi tu fais semblant de ne pas savoir qui c'est ?
— J'aime bien dire que c'est un beau gosse.
— T'es chiante, Fanny.
Cons se renfrogne. Il a envie de rire en même temps. Le mélange des deux émotions lui déforme les lèvres en un rictus incompréhensible. Fanny pouffe de rire.
— Il s'est passé quoi avec sa mère ?
Cons tente de mentir.
— Elle m'a embrassé.
La tentative échoue. Il ne sait pas comment font les gens. Lui, il n'arrive qu'à dire la vérité, ou des demi-mensonges, mais inventer une histoire de toutes pièces n'est pas son fort.
— Quoi ?! vocifère Fanny.
— Elle m'a embrassé.
— Mais... Je...
Fanny est désemparée. Elle qui croyait avoir tout vu découvre semaine après semaine une anecdote incroyable de son ami Constantin. Parfois, elle voudrait croire que tout est faux, mais soit ce garçon est le plus grand mythomane de son siècle, soit sa vie est extraordinaire. Et comme elle expérimente chaque jour le comportement nymphomane des autres filles avec lui, elle le croit. Elles n'ont que son nom à la bouche quand elles ne sont pas occupées à le dévorer des yeux.
— Bon... Constantin... Tu es un garçon très charmant, à n'en point douter, et tes capacités sexuelles sont tout à fait satisfaisantes, surtout pour un débutant... Mais ton succès, il n'est pas normal. Tu fais quelque chose.
Cons voudrait mourir tout de suite pour ne plus avoir à faire face à l'existence. Mourir ou chasser Fanny. Il avait prévu d'emporter son secret dans la tombe, mais plus le temps passe, et plus il se dit que son cadavre, on pourrait le déterrer pour le profaner, tant le pouvoir de l'arbre fonctionne.
— Tu ne vas pas me croire si je te raconte.
— Ah, crois-moi, même si tu me parles d'une drogue spéciale, ou d'un génie dans une lampe merveilleuse, je boirai tes paroles.
— Sérieusement ?
Le poids de ce secret pèse trop lourd sur sa conscience. Dans le pire des cas, elle le laissera tomber parce qu'il l'aura effrayé. Il a trop envie d'avouer.
— Je te le jure sur la tête de ma sœur, lance Fanny en levant une main.
Cons la regarde de haut en bas, avec une mine dramatique. Fanny en frémit d'impatience.
— Cet été, avec Estéban et Julien, on est parti en vacances en Suède. C'est mon pays du côté de ma mère. Le deuxième jour, je vais faire les courses pour préparer de vrais petits plats. Je ne me voyais pas me goinfrer de pizzas à bas prix pendant deux semaines. Parce que je connais Estéban et Julien. Ils mangent n'importe quoi. Ils ne prennent pas un gramme, et puis ce n'est même pas vraiment bon, et ils s'en fichent. Alors que moi, si je mange des pizzas tous les...
— Concentre-toi sur l'histoire, s'il te plaît.
— Pardon. Donc je vais faire les courses. Et là, je vois un vieux du village. C'est petit comme coin. Ce type-là, je le connais de loin, tu vois ? Et il me reparle d'une vieille légende qu'on nous racontait quand on était gamins. La légende, c'est que dans la montagne, il y a des arbres très particuliers, différents des autres, qui réalisent les vœux des gens. Apparemment, on est censé les reconnaître quand on en voit. Et là, le vieux me dit que c'est vrai, et il m'indique comment trouver l'arbre. Moi, je me dis que c'est cool, qu'on va s'amuser. En plus, ça faisait des années que je n'avais pas fait de randonnée dans la montagne, et ça me manquait beaucoup, parce qu'enfant, on en faisait tout le temps avec ma famille et...
— Cons.
— Oui ! Bon ! Heu... Donc j'emmène Estéban et Julien dans la montagne. Ils sont lents. Ils ne croient pas au truc de l'arbre. Moi, forcément, j'ai entendu ces histoires toute mon enfance, alors j'y crois un peu.
Fanny soupire. Cons est incapable de raconter une histoire de manière synthétique, sans se perdre dans des détails inutiles.
— T'as trouvé l'arbre, vous avez fait un vœu, et il a fonctionné ?
Cons écarquille les yeux.
— Comment t'as deviné ?
— C'était la suite logique.
— Mmh... Peut-être. Bref, je les ai forcés à souhaiter de pécho des gens, pour me faire plaisir, parce que ça me soulait d'être le dernier puceau du groupe.
— Et comme des cons, ils ont accepté.
— Il faut dire que j'ai bien insisté... J'avais très envie que ça marche, mais je n'imaginais pas que ça fonctionnerait vraiment, tu vois ?
— Je vois très bien... Et c'est pour ça que je t'ai trouvé si spécial, qu'on a couché ensemble, que tu t'es tapé Mélissa, et qu'un quart de la promo t'harcèle de nudes tous les jours...
— Je suis désolé, Fanny... Le vœu qu'on a fait, c'était seulement d'être un peu plus séduisant aux yeux de ceux qui nous plaisaient déjà, mais j'ai l'impression de manipuler tout le monde.
Il a envie de pleurer. Il déteste ce sentiment de tromper les autres, de duper ses amis. Fanny lui tapote l'épaule.
— Je ne me sens pas manipulée. J'aurais été malheureuse de passer à côté d'un mec comme toi. T'es l'une des plus belles personnes que j'ai rencontré ces derniers temps.
— Oh... Toi aussi, Fanny.
Il ne peut s'empêcher de sourire et soupire de soulagement. Avouer son secret lui fait un bien fou. Il se sent mieux, plus léger.
— Et donc tu penses que le pouvoir de cet arbre a fonctionné, dit-elle.
Il hausse les épaules.
— Les garçons n'y croient pas... Moi, je me dis que je ne suis vraiment pas assez sexy pour attirer autant de gens, alors je ne vois pas d'autre explication à mon succès
Fanny fait la moue, pensive.
— Je ne suis pas d'accord avec toi. Je trouve que t'as un charme bien à toi. T'es séduisant... Bon, peut-être que là, les proportions sont exagérées, mais ce n'est pas parce que tu manques de sex-appeal.
— Tu crois ?
— Ouais.
Cons passe de morose à tout heureux. Il ne sait plus pourquoi il se sentait si mal, puis il se souvient de la mère d'Estéban.
— Et du coup, je me suis engueulé avec Julien, comme je t'ai expliqué par message, et ce que je ne t'ai pas dit, c'est qu'après, j'ai parlé à Leandra... Et cette chose-là est arrivée...
— Le bisou, murmure Fanny.
— Ouais.
— C'est digne d'un film porno, quand même, ce scénario. Surtout que quinze minutes avant, t'étais en train de rouler des pelles à tous tes potes...
— Pas la peine d'en rajouter.
Fanny éclate de rire. Elle, l'arbre, elle y croit. A force de voyages, elle a vu des phénomènes inimaginables. Ce n'est pas le scepticisme typique du monde occidental qui l'arrête. Elle se demande dans quelle mesure elle pourrait profiter de ce pouvoir magique, et l'idée lui traverse l'esprit. Il y a bien un fantasme qu'elle n'a jamais réalisé.
— Une orgie !
Cons fronce les sourcils.
— T'as le syndrome de Gilles de la Tourette ?
— Mais non ! — Elle rit — Ne me dis pas que tu n'y as pas pensé !
— Mais pensé à quoi ? s'agace Cons.
— A une orgie !
— Je...
— Profites-en ! Au lieu de te taper les gens un par un, prends-les tous en même temps !
Le manque d'entrain de Cons ne la déride pas.
— T'as conscience que j'étais puceau il y a encore deux semaines ? Mon plus grand fantasme, c'était juste le sexe. Missionnaire classique avec une femme. Rien de plus...
— Eh bah tu n'es plus puceau maintenant, il est temps d'évoluer !
— Fanny...
— Réfléchis ! Ça va être génial. Tous ces corps unis qui ressentent la même chose au même moment. L'amour qu'on partage entre les membres du genre humain, c'est...
— Religieux quand c'est toi qui en parles.
— Ouais... Mystique... A la limite du sacré...
— Je ne crois pas que ce soit une bonne idée.
— S'il te plaît ! Personne ne va te refuser !
— Mais...
— Je savais que ça te plairait !
— Heu...
— Je t'aide si tu veux. J'ai des plans avec deux ou trois gars ici. Je suis sûr qu'ils seront chauds. Toi, tu t'occupes du reste. Ramène tes deux potes si tu veux, ce sera l'occasion d'explorer des trucs.
***
— Non.
Ils ont été catégoriques. Julien lève les yeux au ciel. Estéban semble un peu déçu. Cons aurait parié qu'une idée pareille l'aurait branché.
— J'aurais bien aimé, mais le faux couple avec Julien, c'est une rumeur compliquée à mettre en place. Si une orgie se greffe par-dessus, ça risque de tout foutre en l'air, explique-t-il.
— Et puis j'en ai marre de me faire agresser par tous mes potes dans les couloirs, râle Julien. Je ne vais pas foncer sciemment dans la gueule du loup.
— Qui t'a agressé à part Clémentine ? demande Estéban.
Julien souffle. Il n'avait pas envie d'aborder le sujet et d'exposer son camarade, mais comment pourrait-il cacher quoique ce soit à Cons et Estéban ?
— Mmh... Je suis allé pisser pendant la pause, et là... Mathis...
— Oh putain ! Je le savais ! Il est gay ! hurle Estéban.
Cons et Julien l'observent, interloqué. Il se râcle la gorge et prend un air professionnel.
— Je m'en doutais... Vu les trucs homophobes qu'il balance et la façon dont il matait Julien à l'hôpital, je me suis douté qu'il se passait un truc.
— Il s'est passé quoi exactement, avec Mathis ? demande Cons, la mine sombre.
— Eh bien, il se trouve qu'il nous a vu, ce matin, Estéban et moi... Et la semaine dernière, quand il m'a demandé si j'étais gay, j'ai dit non, principalement parce que je ne me sentais pas de m'embrouiller avec lui, et puis parce que je ne suis pas gay... Les filles m'attirent. Et du coup, il s'est énervé. J'ai cru qu'il allait me frapper. Sauf qu'il m'a plaqué contre le mur et qu'il m'a embrassé.
Cons et Estéban fixent Julien sans répondre, le temps de digérer l'information. Aucun des deux ne sait comment réagir. Julien voit une colère qu'ils tentent tous les deux de masquer leur froisser les traits. Il dit :
— Vous avez l'air plus choqués que moi.
— C'est choquant, en même temps, réplique Cons.
— Oui, renchérit Estéban. Il t'a embrassé.
— Il l'a embrassé.
— Oui, c'est ce que je viens de vous dire, s'agace Julien. Pourquoi vous réagissez comme ça ?
Cons se concentre sur ses spaghettis pour réfléchir tranquille, sans avoir à rendre des comptes à tout le monde. Estéban se gratte la tête, puis demande :
— Et ça t'a plu ?
— Non. Pas vraiment. Enfin, il sent très bon et il a des lèvres pulpeuses, alors j'ai trouvé ça agréable mais... Il manquait quelque chose. Je crois qu'il ne me plaît pas beaucoup.
— A moi non plus, il ne me plaît pas, souffle Cons.
— Tu ne le connais même pas, réplique Julien.
— Je n'ai aucune envie de connaître un gars homophobe qui va rouler des pelles à mon meilleur ami sans sa permission.
— Mais ce n'est pas facile pour lui non plus ! Mathis vit dans un contexte familial ultra homophobe, de ce que j'ai compris. Il a dû passer sa vie à lutter contre lui-même. Moi, ça me fait de la peine. Il m'a dit qu'il ne comprenait pas pourquoi il n'arrivait pas à me résister alors qu'il y était toujours parvenu jusque-là, avec les autres mecs.
— Mmh... grogne Cons.
Il a arrêté de manger et foudroie ses deux amis du regard. Julien n'ose plus soutenir son regard, tant il est surpris de le voir aussi menaçant.
— Sans le pouvoir de l'arbre, Mathis aurait peut-être passé toute sa vie dans le placard, fait remarquer Estéban, dans l'espoir d'apaiser la situation.
Lui aussi sent l'aura négative qui émane de Cons. Son expression dégage une telle violence contenue qu'il se demande si son ami a la capacité de sécréter des phéromones. Il ne l'a encore jamais vu en colère. Et si Cons était plus intéressé par Julien qu'il ne l'avait imaginé ? N'est-il pas en train de le blesser, avec cette stupide histoire de couple ?
Tout ce qu'espère Estéban, c'est de se rapprocher de Julien. Bien-sûr, il songe aux répercussions positives sur Haruka, Gaëtan, Clémentine, et Mathis, le nouveau de leur petite troupe de fans, mais ce n'est pas son premier objectif. Parfois, Estéban se sent loin du monde, déconnecté. Il a du mal à s'ouvrir aux autres pour créer des liens profonds. Cons est le premier à être parvenu à l'approcher si facilement. Peut-être qu'il est le seul. Il est sociable et chaleureux pour eux deux. Il le ramène dans le monde des humains, à l'immédiat, aux émotions directes, brutales. Et puis grâce à lui, il a rencontré Julien, et Julien, il a très envie de le connaître.
Constantin ne l'a pas intrigué longtemps. Depuis qu'ils se sont rencontrés, il le voit comme l'ancre d'un bateau, ou un phare. Comme une personne indispensable qui lui remet les idées en place et les pieds sur terre. Il croyait avoir fait le tour de la question, mais depuis la Suède, il a le sentiment de découvrir un homme nouveau chaque jour. Il se demande si Cons ne fait pas seulement semblant d'être un garçon très simple, si sous cette surface lisse, apaisante et attirante, ne se cache pas un volcan prêt à entrer en éruption.
— Peut-être que les effets de l'arbre ne sont pas complètement négatifs. Peut-être qu'ils révèlent aux gens ce qu'ils sont vraiment, dit Julien.
— Oui, ou alors, depuis le début, l'arbre n'a aucun effet, et nous relions des éléments qui n'ont rien en commun à une source hypothétique.
Julien fronce les sourcils. Estéban aussi. Depuis quand Cons s'exprime de cette façon ? Fait-il parti de ces gens qui déploient des trésors de vocabulaire dès lors qu'ils sont en colère ?
— Tu veux me rejoindre en licence de philo, Cons ? demande Estéban, le sourire aux lèvres. Il y a beaucoup de filles là-bas.
— Ça va aller. Je suis déjà surmené.
— Gaëtan sera sans doute motivé pour participer à ton orgie. Il me semble même qu'il m'a dit avoir déjà participé à ce genre...d'événements.
— Mais je ne le connais pas, se plaint Cons. C'est déjà bizarre de proposer ça à un pote, alors un inconnu...
Cons ne sait pas quoi faire de cette histoire. Aux dernières nouvelles, il n'a jamais dit « Oui » à proprement parler, mais Fanny est quand même parvenue à l'embarquer dans son délire. Il souffle. Pourquoi est-il incapable de refuser quoique ce soit ? Repousser Leandra lui a demandé un effort surhumain, tant il craignait de la blesser par son rejet, et il n'a été capable que de bégayer devant la proposition de Fanny.
Il se déteste. Tout l'agace. Cons ne s'est jamais senti très possessif. Découvrir ce sentiment au travers de cette histoire de baiser entre Julien et Mathis le trouble. Il ne s'imaginait pas pouvoir ressentir de telles choses. Il ne s'imaginait pas pouvoir être jaloux d'Estéban, ou de son camarade de licence.
Depuis tout à l'heure, il ne se sent pas bien. Il a l'impression d'être sur le point d'imploser. Une force étrange et négative fourmille en lui. Comme la colère. En pire. Il a tenté de se réfugier dans son plat, mais son estomac noué l'empêche d'avaler quoique ce soit.
— Je suis désolé, Cons, je serais bien allé lui demander pour toi, mais je n'ai pas envie qu'il me bondisse dessus, explique Estéban.
— Je demanderai à Bertille si elle veut participer, dit Julien avec un sourire mesquin. Vu qu'elle est une vraie experte du sexe. Ça devrait lui plaire.
Il ricane dans son coin. Cons le contemple, un peu absent, avant de décréter :
— Non, mais en fait, je n'ai pas non plus envie de faire ça. C'est Fanny qui me force, et je dis « oui » comme un débile. Si on me demandait de cacher des cadavres dans mon frigo, je serais capable d'accepter. J'en ai marre de me faire marcher dessus par n'importe qui. J'ai bien assez de fantasmes comme ça, et l'orgie n'est pas au rendez-vous. Alors, Fanny, elle pourra bien se débrouiller sans moi.
Estéban et Julien se regardent sans rien dire. Ils n'ont pas besoin de mots pour se comprendre. Cons qui s'énerve et qui refuse des choses, c'est du jamais vu. Ils croyaient tous les deux qu'il était conciliant de nature, mais apparemment, ils se sont trompés.
Cons tapote un message à destination de Fanny, les sourcils froncés et les pouces hargneux, puis il relève les yeux sur ses deux amis, qui l'observent, atterrés. Et devant leur mine déconfite, l'énervement l'embrase. N'a-t-il pas le droit d'en avoir assez ?
— Et puis d'ailleurs, votre histoire de couple, elle me fait chier aussi. Si vous voulez tant vous pécho, pourquoi est-ce que vous avez besoin de vous cacher derrière des prétextes ridicules ? Pourquoi est-ce que vous avez besoin de d'excuses ? Si c'est à cause de moi, ne vous gênez surtout pas. N'hésitez pas à me dire si vous préférez que je dégage pour profiter de votre petit rencard !
Personne ne répond. Les yeux écarquillés de Julien sont rivés sur son meilleur ami. Il est si inquiet qu'il n'arrive pas à se mettre en colère. Il craint que l'amour se soit brisé entre eux, qu'il ait cassé quelque chose de façon irréversible.
— Qu'est-ce que tu as ? murmure-t-il.
Cons se passe la tête dans les mains pour tenter de se calmer. Il sent qu'il dépasse les bornes, que sa colère lui fait dire des choses qu'il préférerait garder pour lui, mais il ne parvient pas à se gérer. Ce sentiment l'a étreint si peu souvent qu'il ne sait quoi faire de ces paroles acerbes qui lui enivrent l'esprit.
— C'est juste que... J'oscille entre le sentiment d'être en trop, et celui d'être manipulé. Parfois, j'ai l'impression que personne ne m'apprécie pour moi, que je fais des efforts pour faire plaisir à tout le monde, et que ça me retombe dessus. Et c'est ma faute, en plus. Les gens ne me manipulent pas. Ils me demandent des trucs. C'est à moi de dire non, de prendre conscience de ce que je veux et de ce que je ne veux pas. C'est à moi de penser à mes besoins avant de vouloir faire plaisir aux autres... Mais c'est dur, et j'accumule, et j'en ai ras-le-bol.
Julien a l'impression d'avoir été assommé à coups de maillet. Il ne sait plus s'il est agacé, s'il veut pleurer ou lui faire un câlin. Il n'a jamais vu Cons dans un tel état. Personne n'a jamais vu Cons dans un tel état.
— Tu crois que je te manipule ? demande-t-il.
— Non... Bien-sûr que je n'ai pas l'impression d'être manipulé par vous, les mecs... Mais c'est juste... — Il se mord les lèvres, soudain trop conscient de ce qu'il s'apprête à dire — Parfois, j'ai un peu l'impression d'être la cinquième roue du carrosse. Je vois bien qu'il se passe un truc entre vous, mais il y a des moments où j'ai l'impression que je suis le seul à m'en rendre compte. Alors je me dis que je devrais peut-être... Je ne sais pas...
— En fait, toi, tu vois que ce qui t'intéresse, lance Estéban.
— Comment ça ?
Estéban réalise qu'il a parlé à voix haute. Il n'aime pas entrer dans les conflits, mais le discours de Cons l'énerve. Il ne sait pas s'il s'en veut d'avoir eu une attitude qui ait pu le faire se sentir en trop, ou s'il en veut à son ami d'être assez bête pour croire une telle chose, mais cette conversation lui déplaît profondément.
— Tu ne vois pas qu'il se passe des trucs entre tout le monde ? Moi, depuis le début, j'ai l'impression que vous allez vous sauter dessus à toutes les secondes, avec Julien. Ça fait dix ans que vous êtes amis, alors j'accepte votre comportement, je ne fais pas la Drama Queen, et je profite seulement de pouvoir passer des bons moments avec vous. Et comment tu peux te sentir en trop ? Tu ne vois pas qu'il n'y a pas de groupe sans toi ? Tu ne comprends pas que c'est toi qui nous relies tous les trois ? Sans toi, il n'y a rien. Alors, je suis désolé si mon idée vous perturbe autant, tous les deux. On peut arrêter, je m'en fous. Enfin, non... Parce que, vraiment, Haruka, elle est infernale. Mais je ne veux pas qu'on se dispute tous pour une connerie pareille.
— Non. Pardon, j'ai dépassé les bornes..., s'excuse Cons. C'est juste... Je me sens un peu à cran, en ce moment, et je suis énervé, et j'ai du mal à gérer. Je n'aurais pas dû dire ça. Fanny m'a soulé, et je me suis emporté.
— Je redoutais que cette idée de couple passe mal. Vraiment, Cons, j'ai l'impression que tu es énervé depuis ce week-end. Si ça te dérange, on laisse tomber.
Cons observe ses amis tour à tour. Il s'en veut soudain de s'être mis en colère. Ce n'est pas après eux qu'il en a, et l'amitié émerge aussi des concessions. Il ne tient pas à s'imposer ainsi entre eux. Il n'a pas envie qu'ils annulent leurs plans à cause de lui.
— Non, ne vous inquiétez pas. C'est un peu bizarre, en ce moment. Je ressens un besoin de m'assumer, et je ne sais pas comment faire.
— Commence par envoyer chier Fanny et son orgie si ça ne te t'intéresse pas, dit Estéban.
— Et si l'un de nous fait un truc qui te soule, parles-en. Ne le garde pas pour toi, renchérit Julien.
— Oui. Vous avez raison... Désolé, les gars.
Ils sortent du restaurant après avoir fini leur déjeuner, et prennent ensemble le chemin de leur bâtiment respectif. Une pluie fine les entoure d'une vapeur d'eau glacée. Julien et Estéban referment leur veste pour la première fois de l'année. Cons a tout le temps chaud. Pour lui, la saison confortable commence enfin.
— Je suis content, pour une fois qu'on a un bout de trajet à faire ensemble, dit Julien.
— Oui. Moi aussi. Ça me fait décompresser. Ce matin, Haruka m'a fait peur. Elle m'a fixé toute la matinée. Je redoute un peu cet après-midi, avoue Estéban.
— Tu n'as pas tellement parlé d'elle, mais elle a l'air dangereuse, fait remarquer Cons.
— Ouais. Je n'avais pas envie d'y penser quand j'étais avec vous. Je trouve que s'inquiéter d'un problème avant qu'il n'apparaisse, c'est commencer à le vivre en avance sans pouvoir rien y faire... Comme une espèce de cauchemar dans lequel on s'enferme volontairement. Alors quand je suis bien, avec les gens que j'aime, j'essaye de ne pas penser à ce que je ne peux pas résoudre... Voilà pourquoi je n'en ai pas parlé. Mais elle est pénible. Sans déconner, j'ai évité ses baisers de justesse une bonne dizaine de fois. Heureusement, elle n'a fait qu'essayer de m'embrasser. J'espérais que les choses se calment avec notre petite mise en scène, et que la déception la pousserait à me fuir, mais je me demande si je n'ai pas empiré les choses.
— Peut-être que dans l'urgence, elle va tout faire pour t'avoir, dit Julien.
— C'est ce que je crains.
— Je n'imaginais pas que la situation était si problématique, lance Cons. Si ça continue, il faudra chercher une vraie solution pour arrêter le pouvoir de l'arbre.
— Si l'arbre a vraiment une responsabilité là-dedans, ponctue Estéban.
— Dans la légende, personne n'explique comment on annule le vœu ? demande Julien
— Disons qu'en général, l'histoire s'arrête quand le héros a obtenu ce qu'il désirait, répond Cons. Donc la légende ne dit pas que tous les vœux se retournent contre les exaucés. Elle dit seulement que si notre cœur est pur, alors le vœu apportera du bonheur.
Estéban fixe Cons comme s'il avait sorti une énormité. Il songe à la fois où ils avaient fumé un pétard dans les toilettes du lycée, et étaient parvenus à embarquer la surveillante, qui les avait pris sur le fait, dans leur connerie, pour éviter un avertissement, puis au jour où Cons avait tanné Estéban tout un après-midi pour qu'il dessine les filles de la classe qu'ils trouvaient sexy dans leur plus simple appareil. Estéban avait fini par céder, puis il y avait pris goût. Ils avaient pouffé de rire les deux dernières heures de cours. C'était devenu leur jeu préféré jusqu'à la fin de l'année.
Un jour, pour la première fois, Estéban avait dessiné un mec. Cons était resté muet environ deux minutes. Il avait regardé Estéban, puis le dessin, puis sa feuille, puis le prof, et ainsi de suite, dans le désordre et la confusion. Il avait fini par dire : « J'avoue qu'il est canon... » et Estéban avait compris qu'il s'était fait son premier meilleur pote.
Quelques mois plus tard, il avait dessiné Cons. Cons avait rougi avant de rire, et il s'était plaint : « Je suis pas si gros ! » qu'il avait dit. Estéban avait répondu : « Ouais, mais t'as une belle teub. » Cons avait rougi deux fois plus, puis il avait plié le croquis pour le ranger dans sa poche. « Je peux pas te le laisser. Pervers comme tu es, tu vas le salir. » Estéban n'a jamais su ce qui était advenu de son œuvre. Encore aujourd'hui, il se pose la question, et maintenant qu'il repense à toutes les bêtises qu'ils ont fait au lycée, pendant que Julien était dans une autre classe, il se demande comment Cons s'est imaginé pouvoir être éligible au vœu. Il voudrait rire et s'énerver tout en même temps. L'inconscience de son ami le dépasse.
— Mais qui a le cœur pur, ici ? vocifère-t-il. T'es sérieux, Con ? Julien a fait sa première fois dans une salle de classe avec une meuf de vingt-six ans quand il était mineur. Moi, je suis une cause perdue, et toi, ton vœu c'était de pécho des gonzesses ! Et je n'avais même pas besoin de ça pour savoir que t'es un type sale ! De quelle genre de pureté tu parles ?
— Mais je sais pas ! On est des mecs gentils !
— C'est quoi le rapport entre la gentillesse et la pureté ? Et puis même ! Toi, tu es un ange. Julien est un peu perdu, mais il suit ta voix, mais moi, d'où je suis gentil ? Tu m'as bien regardé ? C'est gentil qui te vient à l'esprit quand tu me vois ?
Cons hausse les épaules en guise de réponse. Julien pouffe de rire dans son coin.
— Parfois, je peux être vraiment sombre... Je ne dirais pas que je suis un mauvais gars mais... Pfff... Quand je te dis que je suis une cause perdue, crois-le.
— Je crois que tu te fais beaucoup plus ténébreux que tu ne l'es vraiment, dit Julien.
— Tu crois ?
— Bah oui. Tu es toujours prêt à donner des conseils aux autres. Tu réconfortes tes amis quand ils ne sont pas bien. Quand tu fais des mauvais choix, tu culpabilises longtemps. Alors oui, peut-être que tu as un petit côté calculateur, mais ça ne te rend pas mauvais.
— Tu sais, Julien, les gentils garçons comme toi devraient se méfier.
Julien frissonne de la tête aux pieds et ne dit plus rien. Estéban s'auto-satisfait de son effet et sourit en lui-même. Cons réfléchit.
— C'est à cause de toi si le vœu a capoté, dit-il.
— Sans doute, oui. J'ai tendance à faire capoter les trucs, moi.
— Oui, enfin, en l'occurrence, il a bien marché, le vœu, lance Julien.
— Trop bien marché, répondent Cons et Estéban à l'unisson.
Ils arrivent au carrefour qui les sépare. Julien saute dans les bras de Cons. Estéban reste en retrait.
— S'il y a un problème, je suis là, hein. Tu le sais. Hein que tu le sais !
— Oui, Ju. T'inquiète pas, va.
— D'accord...
Ils se saluent de loin. Julien et Estéban partent en direction de leur bâtiment.
— J'étais en train de me demander pourquoi on n'était pas aussi proches, au lycée, commence Estéban, les mains calées dans les poches pour contrer le froid qui lui pince les doigts.
— On était plutôt amis, quand même. C'est vrai qu'on traînait surtout ensemble à cause de Cons.
— Oui.
— J'étais un peu jaloux de vous voir si proches... Vous étiez ensemble quand je voyais d'autres gens. C'était horrible de ne pas être dans votre classe.
— Moi, je dois avouer que j'étais content. J'ai eu peur de toi pendant longtemps. Et j'étais jaloux aussi, quand vous quittiez l'école ensemble pour dormir l'un chez l'autre.
— Pourquoi t'avais peur ?
Estéban lève les yeux sur les nuages amoncelés au-dessus de sa tête. Ils sont clairs. La lumière du soleil les transperce et illumine la rue d'un éclat particulier. Parfaite colorimétrie pour la première scène d'un film d'horreur.
— Cons a été mon premier véritable ami. Avant, je me faisais des potes, on finissait par coucher ensemble, et puis on ne se parlait plus. Je trouvais la plupart des gens bêtes et prétentieux... Après dix-sept ans sans fonder de sincère amitié, tu peux imaginer que j'avais un peu lâché l'affaire, et jusqu'à rencontrer Cons, je croyais que ce n'était pas fait pour moi. Je recommence à me poser la question, depuis quelques temps.
— Pourquoi ? On est bien amis, nous trois.
— Tu trouves ? Notre relation, c'est l'idée que tu te fais de l'amitié ?
Julien se mord les lèvres. Une fois de plus, sa tête se remplit des baisers avec Cons, de la nuit avec Estéban, de son estomac qui se tord un peu, de plus en plus, à chaque fois qu'il les voit, de son cœur qu'il peut entendre battre à leur approche. Il ne répond pas.
— De toute façon, je n'y crois plus depuis longtemps, à cette notion de merde, lance Estéban. « L'amitié », ça empêche plein de gens d'être heureux.
— Alors notre relation, tu l'envisages comment ?
— Je n'envisage rien. Tout ce que je veux, c'est qu'on soit ensemble, tous les trois. Quand je suis avec vous, je me sens équilibré. Le reste vient au second plan. J'espère juste que ça ne vous dérange pas que je sois là.
Julien plante ses yeux turquoise dans les siens, d'abord surpris, puis presque agacé.
— Bien-sûr que non ! s'exclame-t-il. C'est merveilleux que tu sois là !
Estéban se sent rassuré. Profondément. Bien plus qu'il ne l'aurait imaginé. La réponse de Julien explosait de sincérité. Il sourit, s'ébouriffe les cheveux, puis ils marchent en silence jusqu'à l'établissement.
Une fois arrivés devant l'école, Julien souffle pour se donner du courage. Il attrape la taille d'Estéban, le sert dans ses bras, et lui fait un bisou dans les cheveux. Ils sentent bon. Ils sont doux. Julien se dit qu'il pourrait s'endormir dedans.
Estéban le suit des yeux quand il papillonne jusqu'à l'intérieur du bâtiment, puis il prend lui-même le chemin de son amphithéâtre, le cœur léger. La semaine prochaine démarre enfin le cours d'Histoire de l'Art, le seul en commun avec Julien. L'établissement a trouvé une remplaçante au professeur prévu. Estéban est ravi.
Il s'assoit dans son amphithéâtre, au fond, comme toujours, moins vigilant que d'habitude. Gaëtan lui passe devant sans même le regarder, ce qui rend Estéban plus extatique encore. Sa technique semble faire effet. Il se réjouit jusqu'à ce qu'Haruka dépose ses affaires à côté de lui.
— Ça va, Estébou ? demande-t-elle.
Il fronce les sourcils, outré par ce surnom ridicule. Comment a-t-elle eu l'audace d'ainsi gâcher son beau prénom ?
— Heu...
Sans attendre de réponse, elle attrape son visage et lui colle un baiser baveux en plein sur la joue. Il a tout juste eu le temps de décaler sa tête pour éviter que leurs bouches ne s'écrasent l'une contre l'autre. Estéban ne comprend rien. Son cœur monte et descend dans sa gorge. Pourquoi Haruka agit-elle comme s'il ne s'était rien passé ?
Il s'efforce d'aborder une mine détendue, malgré sa panique, et dit avec un grand sourire :
— Oui, Julien et moi...
— Oh oui, ton meilleur ami, je vous ai vu ce matin sur l'esplanade. Vous étiez mignons. Tu dois beaucoup l'apprécier.
— Oui, mais ce n'est pas...
— Vous ne devriez pas faire de telles choses en public... Enfin, je ne veux pas avoir l'air fermée d'esprit, mais ça peut prêter à confusion, tout ça... Ça va parce que c'est un garçon, mais avec une fille, on aurait pu croire que vous étiez en couple.
— On est en couple ! s'écrie Estéban, un peu trop fort, s'attirant les foudres de quelques têtes du rang devant lui.
Haruka l'observe avec un grand sourire figé.
— Qu'est-ce que tu es drôle, Estéban !
— Je... Je ne suis pas...
— Tu ne recules devant rien pour me faire de bonnes blagues !
Les pires scénarios s'enchaînent dans son esprit. Comment a-t-elle deviné ? L'espionne-t-elle, elle aussi, partout où il va ? Était-elle là, cachée dans un coin, le soir où Julien et lui ont pris leur décision ?
Non. Non. Ce n'est pas rationnel. Ce n'est pas possible. Lui non plus ne doit pas devenir un taré paranoïaque à cause de l'histoire avec Clémentine. Clémentine avait un problème. Clémentine était malade. Haruka ne fait que croire ce qui l'arrange.
— Je suis tout à fait sérieux, Haruka.
— Je ne te crois pas.
— Eh bah merde !
S'il tente trop fort de lui faire gober cette histoire, il risque de se griller bêtement. Mieux vaut ne pas insister. Il se reconcentre sur le cours comme il peut, essaye de contenir ses soupirs d'agacement, jusqu'à ce qu'Haruka revienne à l'assaut.
— Vous étiez potes, et du jour au lendemain, vous formez un couple qui s'affiche devant tout le monde ? Je n'y crois pas.
Cette fois, Estéban ne se retient pas. Il souffle sans retenue, la regarde comme s'il était prêt à la tuer, et articule avec le calme qui lui reste :
— On s'est rendu compte qu'on s'aime, c'est tout.
— Comme ça, d'un coup ?
— Mais peut-être qu'il s'est passé des trucs entre temps que tu n'as pas vu ! Et puis je n'ai pas à me justifier, merde ! J'aime Julien et il m'aime. On sort ensemble. On est heureux. Point barre.
— Et nous deux, qu'est-ce que tu en fais ?
Elle a l'air sur le point de pleurer, maintenant.
— Quoi, nous deux ?
— Nous aussi, on était presque en couple !
— Non, c'est faux.
— C'est vrai ! Tu as vu toutes les fois où on a failli s'embrasser ? Ton Julien, je ne t'ai pas vu l'embrasser une seule fois !
Estéban pince l'arrête de son nez, dépassé par la ténacité d'Haruka. Il ne veut pas forcer Julien, même si un baiser lui semble dérisoire à côté de la branlette nocturne qu'ils se sont mutuellement offerte. Il va devoir trouver d'autres moyens d'être convaincant.
— Il a peur de m'embrasser en public.
— Moi, je n'ai pas peur. Avec toi, je n'ai peur de rien. J'ai envie de t'aimer, d'être à toi. J'ai envie de toi, je...
— Si tu m'aimes, alors pourquoi est-ce que tu ne fais pas attention à mes sentiments ?
— Au contraire ! C'est parce que je fais attention à tes sentiments que je sais qu'ils sont là, quelque part, qu'ils m'attendent... Il suffirait d'un rien pour qu'ils s'éveillent également en toi...
— C'est ce que tu crois ?
— C'est la seule vérité... Sens à quel point mon cœur bat vite...
— Heu... Non.... Haru...
Elle a attrapé sa main pour la plaquer sur son sein. Estéban écarquille les yeux, choqué, paniqué. A-t-elle conscience que tout le monde peut les voir ? Il veut s'écarter, mais elle maintient sa paume de ses deux bras, et le force maintenant à lui malaxer le mamelon. La réaction d'Estéban ne se fait pas attendre. Son corps réagit malgré lui. Il n'apprécie même pas ce qui se passe.
— Ça te plaît ? murmure-t-elle.
— Il faut que tu arrêtes.
— Tu aimes.
— Non, Haruka.
Elle agrippe son entrejambe de la main droite et sourit. Elle a senti. Evidemment. Estéban repousse son effroi pour agir. Haruka esquisse un premier geste de masturbation, et il profite du manque de pression de sa paume gauche pour se dégager de l'étreinte forcée.
Il se lève d'un bond, érection ou pas. Le bruit ameute la moitié de l'amphithéâtre, et le tiers le plus proche de lui pouffe de rire. Merde. Il pleurera plus tard. Il fusille Haruka du regard, prend ses affaires et sort de la salle.
Une fois dehors, Estéban enfile sa veste à toute vitesse, sort son téléphone et se met presque à courir dans les couloirs. La porte de l'amphithéâtre claque. C'est Haruka. Il jure, tape un texto plus vite que jamais, et grimpe dans les étages pour tenter de la semer, vers la salle de Julien, priant pour ne pas se tromper de lieu.
Estéban :
Aide-moi Haruka folle.
14h23
Il avance dans le couloir du deuxième étage, essoufflé, réalise qu'il cherche l'amphithéâtre 304. Un étage plus haut, nécessairement. Il se retourne pour rebrousser chemin. Haruka arrive sur le palier.
— Pourquoi tu montes si haut ? Il y a des toilettes aussi au sous-sol.
Estéban ne répond pas. Il se remet à marcher à toute vitesse, s'engouffre dans un escalier de secours, et commence à monter les marches. Dans la panique, il attrape un poing de côté. Ça fait un mal de chien. Depuis combien de temps n'en a-t-il pas eu ? Il court régulièrement. Un truc si bête ne lui est pas arrivé depuis plusieurs années. Pourtant, le truc bête lui broie l'estomac en deux comme si une pierre s'y était logée. Il presse sur son ventre, et recommence à monter.
— Tu veux qu'on se trouve un coin rien qu'à nous, c'est ça ? Si tu m'attends, on peut chercher ensemble !
Elle l'a rattrapé. Elle est au bas des marches. Bordel. Il doit trouver Julien avant qu'elle ne le choppe. Sinon, il va avoir un problème. Et si elle avait un couteau et qu'elle le menaçait ? Et si Julien ne sortait pas de l'amphithéâtre pour le sauver ?
Il chasse les mauvaises pensées et se met à courir, la main compressée sur son poing douloureux. Plus que quelques marches. Il commence à transpirer.
— Estéban ? Tu cours ?
Il arrache quasiment les battants de la porte, fonce dans le couloir, le traverse entièrement, Haruka sur les talons. Sauf que Julien n'est pas là. Et Estéban n'a plus de solution. Il se retourne. Haruka continue à marcher vers lui.
— Il y a des toilettes à cet étage ?
— Non, Haruka ! Je ne veux pas de toi ! Qu'est-ce que tu ne comprends pas là-dedans ?
— Ça devient ridicule. Pourquoi est-ce que tu m'aurais emmenée jusqu'ici si ça ne t'intéressait pas ? Et puis tu bandes encore.
Estéban jette un coup d'œil à son entrejambe dure comme du bois. A force de courir, il l'avait oublié.
— Putain, jure-t-il.
— Pourquoi tu fais semblant de ne pas être intéressé ?
— Je ne fais pas semblant !
— Je te comprends. C'est difficile d'accepter qu'on s'est mis en couple avec la mauvaise personne.
Elle arrive à sa hauteur, l'agrippe par les épaules et plaque sa main sur son érection ridicule qui lui pompe la moitié de son énergie, et redouble de vigueur au moindre contact.
Il veut la repousser, mais au moment où il s'apprête à heurter ses épaules, Haruka se trouve tirée en arrière. Elle titube jusqu'à la moitié du couloir, dévoilant Julien, les traits froncés de colère, en train de tendre son bras pour protéger Estéban.
— Qu'est-ce que tu fous ? Toi aussi, t'es tarée ?
Estéban écarquille les yeux. Il n'a jamais vu son ami dans cet état. Rouge de colère, la veine du cou menaçant d'exploser, il rugit sur Haruka avec des airs de lionne qui protège ses lionceaux.
— Tu ne devais pas être là ! Ça aurait dû être Estéban et moi ! crie Haruka. — Elle se replace sur ses pieds pour tenter de garder une contenance. — Tu t'es mis en travers de notre chemin !
— Tu veux que je me mette en travers de ta gueule pour voir ?! Ça va pas d'agresser les gens dans les couloirs ? Il veut pas de toi ! On sort ensemble ! Qu'est-ce qui n'est pas clair ?
— C'est faux ! Vous avez inventé un mensonge !
— Ne me tente pas parce que je suis vraiment à deux doigts de m'énerver, Haruka. Il va falloir que tu t'en ailles.
Sa voix a baissé d'un cran. Il est deux fois plus menaçant, redressé, le menton haut, les yeux remplis de mépris et d'une compassion insensée. Estéban déglutit. Haruka le regarde sans plus rien dire.
— Prends ton honneur et barre-toi avec, au lieu de t'humilier toute seule, lance Julien, un peu plus calme.
Une larme roule sur la joue d'Haruka. Sa mâchoire tremble. Elle sert les poings, puis ses yeux se détachent de ceux de Julien pour se planter dans ceux d'Estéban.
— Je n'arrêterai jamais de t'attendre. Quand tu seras prêt à faire face à l'amour, je serai là.
Et elle part enfin. Julien soupire de soulagement quand ses pas se sont éloignés dans l'escalier, puis il se tourne vers Estéban.
— Ça va ? demande-t-il. Je suis désolé de ne pas être arrivé plus tôt.
— Tout va bien... Merci de m'avoir sauvé la vie. Je n'arrivais plus à la gérer toute seule. Tu as été impressionnant... Je ne t'imaginais pas si...
— Dominant ? Majestueux ? Superbe ?
— Mmh... On peut dire ça.
Julien se renfrogne un peu.
— Elle m'a rendu dingue. Je te jure que j'aurais pu la frapper.
— Heureusement qu'on en n'est pas arrivé là. Ça t'aurait causé des soucis...
— Ouais... Enfin, elle était en train de t'agresser sexuellement. Je n'allais pas rester les bras croiser pour satisfaire la bien-pensance.
— Mmh... A ce propos...
— Quoi ? Ça va pas ?
— Heu... Si, si... C'est juste que...
Estéban baisse les yeux sur le problème. Julien suit son regard.
— Oh...
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J'espère que ces 7185 mots sauront me faire pardonner de ce délais plus long qu'à l'accoutumée. De toute façon, vu la fin, vous me détestez encore plus mais tant pis. Je prends cette responsabilité. Je n'avais prévu que le chapitre termine comme ça... Je ne sais pas du tout ce qui va arriver au prochain ! ^^
En ce moment, je me tâte à ouvrir un livre de conseils d'écriture. Je ne me sens pas très légitime, et puis il y en a déjà beaucoup sur Wattpad, mais depuis que je suis ici, vous avez été très nombreux à me demander des conseils, donc j'y réfléchis. Je me dis que je pourrais expliquer comment je procède, sur quoi je me concentre, sur les erreurs courantes qu'il faut éviter, et sur les soucis que j'ai repéré tout au long de mes pérégrinations Wattpadiennes... Est-ce que ça vous intéresserait ?
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