#14 - ESTEBAN
J'ai dû changer le nom de la mère de Julien, mais c'est toujours la même personne.
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— Mmh... Béatrice, il faudra que tu me donnes la recette de ces lasagnes, elles sont toujours plus formidables que dans mes souvenirs.
Cons tente désespérément de décharger l'atmosphère de sa lourde tension sexuelle, mais rien n'y fait. Julien, échevelé, fixe son assiette, et Estéban est trop préoccupé pour lancer des boutades. Sous la table, Béatrice frotte sa cuisse à la sienne, et il est de plus en plus convaincu qu'elle le fait volontairement.
— Bien-sûr, Cons, tout ce que tu veux.
Jouir ne l'a pas apaisé. Loin de là. D'habitude, son corps se détend, il se sent plein, repus, prêt à dormir, mais l'organisme qui l'a accompagné toute son enfance semble avoir subitement changé, il y a deux jours, car l'éjaculation, qui avait jusqu'à présent été son seul véritable salut, ne fait désormais qu'empirer la situation.
— Alors, qu'est-ce que vous allez faire en Suède qui soit si urgent ? Julien n'a rien voulu me dire !
— Tu ne m'as jamais demandé ce qu'on allait faire là-bas ! Tu voulais fouiller dans nos messages.
La cuisse de la mère de Julien sur la sienne augmente une érection déjà désagréable et, complètement démuni, il n'a trouvé aucun moyen de lui cacher la chose.
Béatrice baisse les yeux, presque innocente, et remarque une jolie bosse compressée par un jean trop serré. Estéban se mord les lèvres, les joues roses, sans oser la regarder dans les yeux. Il est beau, vraiment très beau, beau comme les garçons de séries télé dont elle était amoureuse, adolescente. Ses boucles noires encadrent son visage halé. Ses yeux sont brillants, luisants. Il est affamé, et ce qui était jusqu'alors un simple fantasme se change dans son esprit en une obligation. Elle a envie de lui depuis longtemps. Par respect pour Julien, elle n'avait pas songé à agir plus tôt, et caressait seulement son rêve du regard. Mais Julien ne la respecte plus. Il l'ignore, passe ses journées dans sa chambre, quand il daigne être à la maison, ne lui raconte plus rien, toujours fourré à faire on ne sait quoi avec ses amis. Julien est ingrat. Julien la chasse de sa vie, et Béatrice est fatiguée d'être une bonne mère.
— Un ami de ma famille...Un ami de ma famille est décédé, et cet été, il avait rencontré Julien et Estéban, qu'il avait beaucoup appréciés. On s'est dit qu'on se devait de revenir pour lui tous ensemble, même si on ne le connaissait pas très bien.
Encore une succession de conneries qui ne tiennent pas de debout. Béatrice n'est pas dupe. Elle sait pertinemment ce qu'ils vont faire là-bas, pourquoi ils ressentent le besoin d'être si loin, si tranquilles, ensemble. Et lui, il est là, devant elle, tout tendu et suppliant. Pas question de passer à côté d'une occasion pareille.
Estéban soupire péniblement quand elle se met à titiller la bosse à travers le tissu. Son cerveau fonctionne par à-coups. Cons. Sa mère. La bagarre. Il avait été fou de rage. Il ne peut pas faire pareil. Il ne peut pas l'imiter, en étant, lui, pleinement consentant, assujetti à ses désirs douloureux. Il était prêt à tuer son ami de longue date pour moins que ça, et la femme est sur le point de le branler en face de son fils. Et il va la laisser faire, il le sait déjà. C'est tordu.
— Oh, je suis désolée.
Elle déboutonne le jean d'une main habile, petite, délicieusement blanche. Le sexe jailli sous ses yeux gourmands, émerveillés par la disproportion et la vaillance du monstre nervuré, au gland perlé d'envies liquides.
— Non, ce n'est pas grave. Nous ne le connaissions pas très bien, et je ne l'avais pas revu depuis mon enfance. Je me souviens qu'il m'amenait au parc... C'est sûr que ça va laisser un vide. Je suis content qu'Estéban et Ju m'accompagnent.
Béatrice n'hésite plus. Elle empoigne le membre, caresse le sommet du gland et s'amuse à le décalotter entièrement. Estéban fait de son mieux pour ne pas réagir, continuer de manger comme il peut. Sauf que la nourriture n'a plus aucun goût. Il est dans une merde noire. La mère de Julien le masturbe. Il adore et déteste ça tout à la fois. Elle sait s'y prendre. La compression, la rotation de son poignet, tout est étudié pour le faire jouir là, devant ses deux meilleurs amis, à table. Il est affreusement gêné par le plaisir qu'il prend. Elle est trop bonne, trop forte. Eux deux, face à lui, sont trop attirants, à mentir et rire, s'amuser sans se douter de rien. Ils sont séduisants, tellement séduisant que face à leurs visages, il pourrait jouir sans même se toucher.
Elle a fini par trouver le mouvement qui le fait toujours venir en quelques secondes, il se surprend à résister, d'abord, puis s'abandonne à sa main. Plus vite ce sera terminé, plus vite elle le laissera tranquille.
— Oui, bien-sûr... Tu aurais pu me prévenir, Julien !
Et la jouissance ne tarde pas. Estéban éjacule quand Béatrice prononce le nom de son fils. Elle l'a fait exprès. Il est sûr qu'elle l'a fait exprès. Satisfaite, elle retire sa main du membre avant que le sperme ne la souille.
— Pardon, maman.
D'abord paralysé, réalisant ce qui vient d'arriver, Estéban fixe son assiette vide plusieurs secondes, les yeux écarquillés, halluciné. Puis il range son membre mou dans son pantalon, et referme les boutons précipitamment.
— Oh, vous avez l'air bouleversés, mes pauvres enfants.
Elle regarde Estéban qui refuse de croiser ses yeux. La chose l'amuse et l'excite terriblement. Jamais elle ne se serait crue capable de faire une chose pareille.
— Merci pour ces lasagnes, elles sont vraiment... souffle Cons.
— Ne t'inquiète pas, c'est normal. Allez vous reposer, vous avez une grosse journée, demain.
— Merci, Béatrice, répond-t-il d'un air grave.
Estéban bondit le premier de sa chaise pour ne pas avoir à supporter un tête-à-tête avec elle. Il se sent monstrueux, odieux, sale. Il en veut encore. Comment regarder Julien dans les yeux après un événement pareil ? Cons avait l'excuse de n'avoir rien voulu, mais lui, il sait pertinemment à quel point, au-delà de l'embarras et de la certitude de faire quelque chose de mauvais, il avait envie qu'elle le masturbe, et même pire, qu'elle le suce, qu'elle s'assoit sur lui contre cette table, devant eux. C'est ça, le problème qui fait qu'il se déteste autant. Il n'a aucune limite. Il finit toujours par tout gâcher.
— Je vais me doucher, dit-il, une serviette et son jogging de nuit sous le bras, un pied déjà hors de la chambre.
— D'accord, répond Julien.
Un peu plus calme qu'avant, mais toujours lubrique, Cons demande :
— Tu es sûr que tu ne veux pas d'aide ?
— Non, non. Ça va aller.
Il court jusqu'à la salle de bain et s'adosse à la porte, désespéré. L'érection est revenue. Il n'y a pas de verrou. Pourvu que Béatrice ne vienne pas lui demander des comptes. Il souffle, se déshabille et se rue sous l'eau. La chaleur lui fait du bien. Il augmente la puissance du jet pour masquer ses gémissements. Sa dernière douche sans masturbation remonte à plusieurs années. C'est un combo gagnant, un passage obligé. Estéban a accepté depuis longtemps que son pénis le contrôlait avant son esprit.
— Salut.
Il sursaute, se cramponne au mur. Il ne l'a pas entendue entrer. Béatrice se tient devant lui, entièrement déshabillée. Elle est belle. Elle a le corps qui glisse doucement vers la maturité. Les vergetures, les rides qui apparaissent, la poitrine qui s'affaisse, la cicatrice de césarienne sur le bas de son ventre. Estéban n'a jamais vu de corps comme le sien. Il oublie tout, fasciné.
— Vous m'avez fait peur.
— Qu'est-ce que tu es sexy...
Il est jeune, grand, élancé, parfait. Son corps finement musclé respire la jeunesse, l'impatience vigoureuse. Il a peu de poils. Ses hanches sont étroites. Elle l'a regardé se masturber un moment, puis elle a craint de ne pas avoir le temps d'en profiter.
— La porte ne ferme pas, se défend-t-il en reculant, pour se donner bonne conscience.
— Je sais. C'est ma maison.
— Quelqu'un pourrait rentrer.
— Ne t'inquiète pas. Tes amis sont bien assez occupés pour nous laisser tranquilles.
— Béatrice...
— Ça fait vraiment très longtemps que j'ai envie de toi, Estéban. Te voir, ce soir, toujours aussi mignon et beau m'a décidé à...prendre les choses en main.
— Ce n'est pas une bonne idée.
— Tu as envie aussi. Je t'ai vu, sous la table, j'ai vu que tu as aimé ce qu'on a fait.
— Non, vous vous méprenez, c'était juste...
— C'est juste que tu adores te taper mon fils, je sais.
Estéban pâlit, interdit :
— Je ne suis pas idiote. Je sais ce que vous faites, tous les trois. Tu peux te cacher derrière ça, si tu veux, mais la vérité, c'est que c'est moi qui t'ai excité tout à l'heure, pas lui, pas Cons. Moi. Tu n'as même pas essayé de te dérober quand je t'ai branlé.
Il déglutit. Elle est tout contre lui. Son dos heurte le carrelage froid du fond de la douche. Elle a recommencé à le toucher, toujours aussi divine et autoritaire du poignet. Ses seins frottent son torse, puis s'écrasent entièrement contre lui quand elle passe sa langue sur ses lèvres. La pointe dure de ses tétons parcourt sa peau humide. L'érection redouble. Il ne parvient plus à se retenir, saisit ses cheveux et les tire en arrière pour l'embrasser plus profondément. Elle pousse un soupir d'extase, s'abaisse, à genoux, pour prendre son sexe dans sa bouche.
— Oh bordel...
Elle est encore plus douée de sa langue. Elle l'aspire, le gobe tout entier, le masturbe en même temps. Elle n'oublie rien. Elle est parfaite. Ses lèvres entourent joliment sa verge.
— Tu mouilles ? grogne-t-il, trop proche de jouir à nouveau.
Elle s'écarte et sourit.
— Tu veux sentir ?
Il hoche la tête, la relève, l'embrasse encore, puis la retourne face au mur. Agenouillé entre ses fesses, il glisse un doigt dans sa fente qu'il ressort entouré de cyprine. Comme elle le regarde du coin de l'œil, il sort largement sa langue pour le lécher, ses yeux plongés dans les siens, puis il glisse entre ses cuisses, aspire le clitoris rose et gonflé, et enfonce les premières phalanges de son majeur au fond d'elle.
Elle gémit. Ses muscles se contractent, enserrent son doigt, le guident vers les zones qu'elle préfère. Il en ajoute un autre contre le premier et masse la partie rugueuse de sa cavité, concentré sur son plaisir, sur ses soupirs de joie. Son propre sexe pulse entre ses jambes, dressé par elle, mais surtout par ce qu'il fait. Il embrasse entièrement sa moitié vicieuse, celle qui s'exalte de pouvoir coucher avec la mère de son ami, qui songe déjà à comment il le prendra après elle, sans jamais lui révéler ce qui est arrivé. Le désir a fini par étouffer la morale, et maintenant, plus rien ne lui importe, plus rien à part la prendre, et la prendre encore, et le prendre ensuite.
Elle finit par jouir, son nom au bord des lèvres, les cuisses contractées autour de ses doigts. Elle n'imaginait pas un garçon si jeune capable de telles prouesses. Il est déjà contre elle, dans son dos, en train d'embrasser sa nuque, dur comme du bois. Elle se retourne, le repousse, l'embrasse. L'eau glisse entre leurs lèvres, roule sur leurs langues qui s'explorent sans pudeur. Il se frotte contre elle, entre ses cuisses et sa fente qui le trempe de désir. Il avait fait pareil, une fois, avec Julien. Le souvenir achève de l'exciter. Il ouvre les yeux, s'apprête à demander à Béatrice si elle « a ce qu'il faut », sauf que son regard tombe sur Cons, qui a ouvert la porte en grand et le fixe, blême.
— Merde.
Béatrice se retourne, trouve l'ami d'enfance de son fils, étouffe un hurlement et s'enroule dans une grande serviette. Estéban coupe l'eau, perdu, agacé. La réalité est aussi froide que le vent du couloir qui s'engouffre dans la salle de bain.
— Je... Je vais aller m'habiller, murmure Béatrice, gênée, consciente tout à coup de ce à quoi elle a consenti.
Cons la regarde sortir, reporte ses yeux sur Estéban qui dégouline d'eau chaude. Ils s'observent sans parler, tendus. Du silence naît une distance solidifiée qui éloigne leurs deux corps, un mur noir d'accusations, de pardon et de colère entremêlées. Cons décide finalement de le briser le premier :
— Louise est venue jusqu'ici. Elle est montée sur le toit du premier étage pour parler à Julien par la fenêtre. Elle a un couteau. J'ai verrouillé la porte d'entrée, et j'ai appelé la police, mais je crois qu'il va falloir l'arrêter avant qu'il ne soit trop tard. Je ne sais pas pendant combien de temps Julien réussira à la retenir. Je vais monter sur le toit par l'extérieur. Rejoins-moi quand...quand tu seras prêt.
Estéban reste muet de surprise, assailli par une culpabilité inattendue et violente, surpassant le remord qu'il ressentait déjà pour avoir voulu goûter l'origine après le fruit. Il imagine Julien, en larmes, qui tente de garder en vie cette fille qu'il a aimé, qu'il aime peut-être encore, et il se voit, lui, sous la douche, à peine embarrassé d'embrasser sa mère à pleine bouche, entre autres choses.
— Cons...
— Quoi ?
— Désolé.
Cons hausse les épaules.
— On a tous fait des trucs honteux, moi le premier. Je ne dirai rien à Julien... Il faut que je...
— Oui. Vas-y.
Louise a hurlé jusqu'à ce qu'on lui administre un sédatif pour l'emmener à l'hôpital. Julien est défait. Béatrice ne comprend plus grand-chose aux événements. Cons prépare avec elle des chocolats chauds pour tout le monde et lui vend une version édulcorée des aventures de Julien, sans mentionner l'arbre une seule fois.
— Mon fils a combien d'ex-copines folles, exactement ? D'abord Clémentine, ensuite Louise. Si je ne suis au courant que de ces deux-là, combien y en a-t-il de plus ?
— Pas beaucoup plus, répond Cons en faisant la moue.
Elle le saisit par le bras, soudain inquiète, quand il s'apprête à héler ses deux amis, assis sur le perron de la maison. Julien a posé sa tête sur l'épaule d'Estéban. Ils n'ont pas l'air de parler.
— Tu ne lui diras rien, promis ?
— Promis.
— Constantin, tu me connais depuis longtemps... Je ne sais pas ce qui m'a pris de m'emporter comme ça. Je ne me reconnais plus.
— Ce n'est pas ta faute. Tu n'as pas à t'en vouloir. Et il n'y a pas mort d'homme.
Elle lui fait les gros yeux.
— Roh, quand même, Cons, c'est pas terrible.
Il rit.
— Ah ! Je ne te félicite pas, mais je te pardonne.
— Et tu m'as vu toute nue, souffle-t-elle. J'ai honte.
Il avance résolument vers les garçons, le plateau chargé de chocolats, et réplique pour lui-même :
— Ce n'était pas si mal.
***
Rebelote. Julien tente de réguler sa respiration, les ongles plantés dans les genoux. Maintenant qu'il a pris l'avion deux fois, il sait à quoi ressemblent des turbulences. Il sait aussi qu'il a horreur de ça.
— On n'a pas encore décollé, Ju. Tu peux ouvrir les yeux.
Cons le prend dans ses bras et parvient à lui faire décrisper ses doigts. Estéban les observe du coin de l'œil. Il écoute de la musique. Depuis hier, il n'a pas su se montrer complètement naturel. Il reste distant, silencieux, trop mal à l'aise pour regarder Julien dans les yeux, qui lui sourit sans se douter de rien, embrasse les lèvres qui ont touché celles de sa mère, aime cet esprit qui a adoré le trahir de la pire des façons. Il finit par enchâsser sa main à la sienne, colle leurs fronts ensemble, et murmure douloureusement :
— Je t'aime, Julien.
L'autre écarquille les yeux, surpris :
— Je t'aime aussi.
Estéban grimace, les yeux brillants, saisit son visage entre ses deux paumes et lui offre un baiser plein d'une culpabilité que Julien prend pour de la passion, indifférent aux regards surpris de leurs voisins de bord. Julien se laisse faire, heureux de cette attention inattendue. Il souffle, toujours serré contre lui :
— Je suis sûr que tout ira bien. Ne t'inquiète pas.
— Oui, répond Estéban d'une petite voix, avant de relancer la musique et de monter le volume au maximum, au moment du refrain.
I think our lives have just begun
(Je crois que nos vies viennent juste de commencer)
And I'll feel my world crumbling,
(Et je sentirai mon monde s'effondrer)
I'll feel my life crumbling
(Et je sentirai ma vie s'effondrer)
I'll feel my soul crumbling away
(Et je sentirai mon âme s'effacer)
And falling away
(Et s'affaisser)
Falling away with you
(Disparaissant avec toi)
Maintenant qu'ils s'envolent, qu'il n'y a plus de retour en arrière possible, maintenant qu'il sait qu'il n'a pas le choix, qu'il doit arrêter l'arbre absolument, par n'importe quel moyen, Estéban se demande si son acte de la veille n'était pas seulement motivé par la peur de souffrir, par la tentative désespérée de se convaincre qu'il ne les a jamais vraiment aimé, et que comme il ne les aime pas, il peut leur faire des crasses dégueulasses, parce qu'il s'en fout, parce qu'il est une feuille dans le vent que personne ne peut saisir, qui ne s'accroche à rien bien longtemps, et qu'il peut haïr, apprécier, baiser, mais jamais aimer, jamais, surtout pas pour de vrai, surtout pas pour le bonheur, surtout pas pour le chagrin.
Sauf qu'il a failli coucher avec la mère de Julien, et il n'a pas ressenti le détachement qu'il attendait, ni une rage qui l'aurait fait fuir, ni une passion nouvelle assez forte pour les oublier, eux. Tout ce qu'il sent, maintenant, c'est le poids de sa bêtise, et il sait qu'il préférera s'enterrer avec son secret que de partager son fardeau en le livrant à Julien. Il sait qu'il ne supportera pas la peine qu'il imagine dans ses yeux. Il est incapable d'assumer son acte stupide, et là, silencieux, il laisse les larmes rouler sur ses joues en écoutant des chansons d'adieux.
Julien s'est assoupi sur l'épaule de Cons qui, les yeux perdus sur les nuages, écoute rêveusement Barenboïm jouer la Pathétique de Beethoven. Le concours du Conservatoire a lieu dans moins de trois mois, et avec cette affaire, il n'a plus la tête au piano. Il ne se concentre plus, respecte bêtement les indications, nuance à peine. Les notes n'ont plus de sens, plus de consistance. Il joue comme un robot : bien pour rien. Son esprit est trop plein d'eux.
— J'ai hâte de venir vivre à Paris avec toi, murmure Julien, les yeux ouverts, toujours penché sur son ami.
— Ça me plairait beaucoup, réplique Cons.
— Je pensais essayer de trouver un petit boulot, le soir, pour payer le loyer, moi aussi. Je pourrais peut-être donner des cours d'histoire à des gosses.
Cons lui sourit :
— Ça me semble être une bonne idée, oui.
— Et puis Estéban commence à avoir pas mal d'abonnés sur Instagram. Il pourra vendre ses dessins. J'idéalise peut-être un peu, mais je me dis qu'à nous trois, on devrait pouvoir s'en sortir et trouver un bel appartement.
D'abord, Cons ne répond pas. Il ne sait pas pourquoi Julien s'évertue à se projeter dans un futur heureux qu'ils ne connaîtront probablement pas, puis il l'observe, découvre ses yeux qui le supplient de rêver avec lui, et il comprend que l'espoir est tout ce qu'il lui reste. Il s'accroche à eux, à leur rêve d'amour, quand Estéban et Cons s'empressent de quitter le navire qui coulent, tentent de se détacher, de détourner les yeux. Il lui embrasse le front et passe son bras autour de lui :
— Je suis sûr qu'on trouvera quelque chose de magnifique, Ju.
Estéban se décide à les rejoindre, enthousiaste. Pourquoi pas, après tout ? se demande-t-il. Pourquoi pas rêver et projeter, économiser ? Tout est probable et envisageable. Eux trois, ils pourraient bien s'aimer pour de vrai.
— Moi, je veux visiter, dit-il. Il y a plein de musées que je dois voir. Je veux absolument aller à Versailles.
— Et Disneyland ! ajoute Julien, des étoiles dans les yeux.
— Et puis il y a des concerts et des spectacles tout le temps, partout... Tellement de restaurants à tester.
— Con et la bouffe, saison 2, épisode 3.
— C'est sûr que la bouffe, c'est pas assez distingué pour monsieur « Les musées et Versailles » ! A qui tu mens, Estéban ? Tu vas passer tes journées à te branler dans ta chambre. Moi, au moins, je suis honnête avec moi-même.
— Comment ça, honnête ? Personne ne t'a jamais vu dans les salles de concerts de Lille. Et tu m'attaques, mais si on parlait de ton abonnement premium à Pornhub, hein ? Je ne savais même pas que des gens payaient pour ça.
Cons, outré, pointe sur Estéban un doigt accusateur :
— Les vidéos sont mieux, et tu en sais quelque chose. T'étais bien content quand je t'ai refilé mes codes. D'ailleurs, j'ai pu constater que tu t'en sers bien. Ma page d'accueil est remplie de recommandations très sales. Tu veux qu'on parle à Julien des horreurs que tu regardes ?
— Oh, Con, fais attention à toi. Moi aussi, je vois ce que tu regardes, et c'est loin d'être reluisant.
Cons croise les bras, fâché.
— Je n'aurais jamais dû te filer ces putains de codes.
— Tu es trop généreux, ça te perdra.
C'est au tour de Julien de s'énerver.
— T'as passé les codes de ton compte à Estéban et pas à moi ? Je ne savais même pas que tu t'étais abonné au premium.
— C'est pas un truc dont on se vante, en général, grommelle Cons.
— Pour la défense de Con...
— Arrête de m'appeler comme ça !
— Pour sa défense, reprend Estéban, j'ai découvert ça par hasard en fouillant dans son téléphone, et le deal pour que je ne te raconte rien, c'était qu'il me file les codes.
— Pourquoi tu ne voulais pas que je le sache ? demande Julien à Cons, qui observe les nuages avec obstination.
— Parce que je ne voulais pas que tu me prennes pour un pervers.
Julien éclate de rire.
— Mais je te prenais déjà pour un pervers !
— Je sais bien ! C'était pas la peine d'en rajouter !
— Et pourquoi tu as fouillé dans son téléphone, toi ?
— Ah ! s'exclame Cons. C'est une bien bonne question, ça !
Estéban hausse les épaules.
— J'étais curieux. Je voulais trouver des trucs croustillants. Con n'avait qu'à pas le laisser traîner.
Cons s'apprête à répliquer quand la voix du pilote le coupe :
— Ici votre commandant de bord. Je vous informe que nous atterrirons à l'aéroport de Stockholm-Arlanda à l'heure prévue. La température extérieure est actuellement de deux degrés Celsius. Le ciel est couvert, avec des risques de précipitations. Veuillez boucler vos ceintures jusqu'à l'arrêt de l'appareil. Notre équipage et moi-même vous remercions de votre visite. La compagnie Air France vous souhaite un agréable séjour et espère vous revoir très bientôt.
Les trois garçons s'attachent, blêmes, rattrapés par le peu de temps qu'il leur reste, soudain conscients que quoiqu'il advienne, demain, tout sera différent. Cette fois-ci, aucun d'entre eux ne trouve les mots pour se rassurer, et en silence, ils regagnent la terre.
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La fin du récit approche à très grands pas. Le prochain chapitre sera peut-être le dernier, mais il n'en reste pas plus de deux avant le point final de ce roman. La prochaine étape, ce sera de le corriger. Il y a beaucoup à faire. Des quelques passages que j'ai relu, il y a des problèmes de répétitions, des formulations qui ne me plaisent plus. Et puis, il va sans doute falloir raccourcir le livre, alors j'espère trouver de la matière à enlever, car pour l'instant, je n'ai pas grand chose en tête que je souhaite supprimer.
Sinon, je vous parle de ça un peu sur un coup de tête mais... J'ai l'envie imprévue d'écrire une nouvelle fanfiction Hunter x Hunter. L'idée germe pas mal dans ma tête, en ce moment, et je dois avouer que j'y pense beaucoup. Entre ma correction de Nigra Sum et celle-ci, ça pourrait être sympa d'écrire à nouveau une histoire juste pour le fun. J'ai pas mal d'idées. L'arc narratif est globalement clair, et je pense que ça pourrait être très sympa... Dites-moi si ça vous tente. Votre avis comptera beaucoup dans ma décision de me lancer là-dedans ^^
Bisous !
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