on ne voit les étoiles que dans la nuit noire
« Rien n'est plus réel que ces grandes secousses que deux âmes se donnent en échangeant cette étincelle. » Victor Hugo - Les Misérables
c'est sur cette idée folle
cette étincelle bizarre de l'esprit
que nous nous sommes réellement vues
pour la première fois
nous nous croisions dans les couloirs
chaque jour
à chaque heure
entre chaque cours
et une fois en classe
nous nous oubliions
elle était cette fille étrange
aux cheveux bleu électrique
presque muette
cachée derrière sa frange
assise au fond de la salle
à droite
près du radiateur
j'étais cette fille étrange
aux cheveux presque blancs
maladivement timide
cachée derrière mes livres
assise tout devant
juste à côté
du bureau et du tableau
auparavant
jamais je n'avais remarqué que son prénom
tyl
est le nom d'une étoile
de la constellation du dragon
(comme le mien
zaniah
est une étoile de la constellation
de la Vierge)
nous étions deux étoiles
qui ne savaient pas briller
deux étoiles
perdues dans les méandres
de cet indémêlable univers
dans lequel nous nous noyions
sans savoir qu'en nous tenant la main
nous pourrions remonter à la surface
et puis il y a eu
cette histoire de carnet
pendant le cours de français
nous possédions exactement
le même
une couverture noire identique
des spirales identiques
des pages (légèrement jaunes) identiques
nous devions y consigner
un flot de pensées
et ce lundi-là
tout
a
changé
il a suffi d'une erreur (minime)
un quiproquo (infime)
un professeur distrait
aux yeux fatiguées
par tant de cahiers lus et corrigés
et ces deux carnets-ci
qu'il a
malencontreusement
échangés
voici comment je me suis retrouvée
à glisser dans mon sac
un carnet qui ne m'appartenait pas
le soir venu
le carnet ouvert
et sur la page de garde
une autre étoile
un autre prénom
et le mien nul part en vue
la curiosité m'a entraînée
dans sa valse d'adrénaline
et
j'ai
tourné
la
page
pour me retrouver nez à nez
avec des vers
des poèmes comme les miens
(ou presque)
des pensées différentes
certes
mais aucune
majuscule
et j'ai songé
que nous étions deux étoiles inconnues
et que je n'étais plus la seule
à faire la grève de la ponctuation
et c'était peut-être stupide
mais ça m'a fait
chaud au cœur
et c'est ainsi que j'ai fait la connaissance de tyl
ce n'était pas grand chose
au début
juste des sourires échangés
dans les couloirs
et la pensée de sa présence
à l'autre bout de la classe
et je savais qu'elle pensait aussi à moi
et que pour une fois
ni l'une ni l'autre n'étions transparentes
nous n'étions plus invisibles
car nous pouvions nous voir
non pas avec nos yeux
mais avec nos cœurs
qui semblaient battre à l'unisson
comme deux oisillons aux ailes fragiles
sur le même fil électrique
je n'osais pas lui parler
cependant
et elle non plus
probablement
mais un matin de printemps
alors que j'écoutais venir de la fenêtre entrouverte
le chant des oiseaux perchés sur les branches bourgeonnantes
un avion en papier
(copie simple petits carreaux)
a atterri sur mon pupitre
et je savais
je savais qu'il venait de la fille assise à côté du radiateur
de cette écriture ronde et penchée
(que je connaissais déjà)
était écrit
dix-sept heures trente
belvédère de belleville
mon cœur
battait comme un métronome
à prestissimo
lorsque je suis arrivée
le ciel était grisâtre
un peu trop sombre
les nuages gonflés de pluie
l'air était chaud et lourd
comme dans une forêt tropicale
et dans le lointain la tour eiffel paraissait chatouiller les cumulus
lorsque tyl est arrivée
nous nous sommes assises sur les gradins surplombant le parc
et je lui ai demandé
d'une voix minuscule
pourquoi elle m'avait demandée
(à moi)
de venir ici la rencontrer
« parce que tu es comme moi »
a-t-elle répondu
et ça me suffisait
alors j'ai souri
pour la première fois depuis longtemps
et ça a été
comme décapsuler une bouteille de soda
ballotée par les flots d'une mer déchaînée
(autrement dit
un peu trop secouée)
les mots
les phrases
ont jailli de sa bouche
non
ont jailli de son cœur
comme si tout ce temps
elle avait attendu de rencontrer
la seule personne capable de les entendre
et tyl a été pour moi
comme un peintre
qui efface la tristesse de mon visage
pour y peindre un sourire
et des yeux rieurs
il s'est mis à pleuvoir
mais je n'en sentais pas les gouttes
car tyl illuminait toute mon obscurité
et sous ce parapluie de soleil
j'ai ri et j'ai pleuré
mais elle a séché mes larmes
et j'ai séché les siennes
l'addition de nos blessures
les faisait disparaître
et la douleur n'existait plus
il n'y a avait plus que de la douceur
un collier de tendresse
aux perles faites de rires oubliés
de sourires perdus et enfin retrouvés
et puis il y avait cette flamme
qui grandissait en moi
qui me dévorait
qui me consumait
qui me réchauffait
surtout
alors que depuis tant d'années
j'étais frigorifiée
figée dans la glace du quotidien
prisonnière de cette neige amère de morosité
ce feu brûlant
était un arc-en-ciel de couleurs
et de saveurs
auxquelles je n'avais jamais goûtées
désormais
il me semble impossible de m'en passer
et cette flamme s'est métamorphosée
comme un phénix s'échappant de ses cendres
et déployant ses ailes flamboyantes
elle s'est changée en un feu d'artifice
qui a explosé en moi à l'instant précis
où tyl
a posé
ses lèvres
sur
les
miennes
et les passants
qui rentraient chez eux en courant
ne remarquèrent pas
(sur les gradins détrempés
qui se transformaient en une cascade inondant le parc et ses allées)
ces deux étoiles qui pour la première fois
brillaient dans la nuit noire
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